Accroupie dans une cabine de toilettes, je repense aux regards qui pesaient sur moi pendant toute la durée des cours. Et dire que je vais devoir subir ça à nouveau une fois la pause déjeuner terminée, puis les jours suivants, encore et encore, jusqu'à ce que. . . jusqu'à ce que quoi, en fait ? Quand bien même je finis diplômée, mon projet professionnel m'a été volé. C'est Vanessa qui pourra le réaliser grâce au financement dont elle bénéficiera. Je n'ai donc plus aucune raison de rester ici. Cette université, ces cours. . . Ils ne me servent plus à rien.

Je me redresse et m'apprête à ouvrir la porte, lorsque j'entends des éclats de voix : des filles viennent d'entrer dans les toilettes. Je suspends mon mouvement, attendant qu'elles partent. J'entends l'eau du robinet couler, pendant que l'une d'entre elles demande aux autres :

- Qui sait qui est à la une des réseaux ?

- Tu veux parler de Malicia ?

- Qui d'autre ?

- Elle qui tenait à exceller en tout, elle a eu ce qu'elle voulait : la voilà qui excelle à faire le buzz.

- Ça suffit, rétorque une voix que je reconnais bien. Personne ne souhaîte faire le buzz de façon aussi négative. Qui voudrait se faire insulter à longueur de journée sur les réseaux sociaux ?

- Tu prends sa défense, Acacia ? réplique la seconde fille à avoir pris la parole. Ne me dis pas qu'elle est encore ton amie !

- Non. Elle ne l'est plus et c'est justement pour ça que je veux qu'on arrête de parler d'elle.

- Quand même. . . insiste celle qui a lancé le sujet. Je me demande comment tu as fait pour être amie avec elle pendant tant d'années. . .

- Elle cachait bien son jeu, leur explique la jeune femme aux cheveux couleur caramel. J'ai certainement été la plus surprise d'entre vous. Je ne la pensais vraiment pas comme ça, sinon, jamais je n'aurais accepté d'être amie avec elle.

À l'entente de ces mots, j'ai l'impression qu'on me broie le coeur. Ça n'empêche bien sûr pas son interlocutrice de continuer :

- Si tu veux mon avis, la plus surprise de tous était certainement sa soeur. Être trahie de la sorte par un membre de sa propre famille ! À la place de Malicia, je serais morte de honte !

- Vu l'air calme qu'elle arborait en cours, elle n'a pas la moindre once de remords, lâche celle qui reprochait à mon ex-meilleure amie de me défendre.

- C'est bon, les filles ! Je ne veux plus jamais reparler d'elle, c'est clair ? Allons en cours.

- Ne te fâche pas, Acacia ! On ne fait que te livrer le fond de notre pensée, s'excuse celle qui a lancé le sujet.

J'entends la porte s'ouvrir à nouveau et la voix de Vanessa demander :

- Vous êtes là, les filles ? Je vous cherchais. Le cours va bientôt commencer, on ne doit pas arriver en retard.

- C'est gentil d'être venue nous chercher.

- Je t'en prie, Acacia. C'est la moindre des choses entre meilleures amies, non ?

Quoi ? !

- Bien sûr ! répond la concernée sur un ton chaleureux. Allons en cours !

J'entends leurs bruits de pas s'éloigner, la porte grincer, puis le calme retombe. Je suis aussitôt prise d'une soudaine nausée, qui m'oblige à me pencher par-dessus la cuvette pour recracher le contenu de mon estomac. Cependant, comme je n'ai rien mangé depuis plusieurs heures, je ne vomis que de l'eau.

Les larmes coulent abondamment sur mes joues, sans que je ne puisse les retenir. Acacia vient-elle de me remplacer aussi facilement par mon prore bourreau ? J'avais compris depuis la veille que notre amitié était finie, mais je pensais que ça l'affecterait au point qu'elle ne prenne plus de meilleure amie jusqu'à un bon moment. Il semble que moi aussi, je la connaissais mal. Notre amitié n'était pas aussi solide que je l'imaginais.

"Ce n'est que maintenant que tu t'en rends compte ?" reprend la voix dans ma tête. "Tu aurais dû réaliser ça au moment où elle a refusé de te croire et a préféré placer sa confiance en Vanessa. Qui est-ce qui abandonne aussi facilement une meilleure amie ?"

- Je n'avais aucune preuve. . .

"Et alors ? Une meilleure amie est censée te croire sur parole. C'est ça, la vraie confiance !"

- Dans ce cas, même ma famille n'a pas confiance en moi. . . Ils ont préféré croire en Vanessa juste parce que tous les éléments tendent à l'innocenter, alors qu'ils savent parfaitement que je suis la plus studieuse des deux. . .

"Là, par contre, tu fais erreur. Tes parents ignorent que tu es plus studieuse que Vanessa, puisque vos résultats à tous deux sont excellents, étant donné que tu l'aidais toujours à faire ses devoirs et à réviser. Bon, certes, aux contrôles, tu t'en tirais toujours avec des points en plus, mais pour tes parents, ça ne signifie pas que tu es la plus studieuse des deux. Certains s'acharnent plus que d'autres sans pour autant obtenir de meilleurs résultats."

- Pourtant, je suis celle qui passe le plus de temps enfermée dans ma chambre à réviser. . . Comment ne peuvent-ils pas le remarquer ?

"Comment le pourraient-ils ? Ils passent leurs journées à travailler. Ils ne surveillent même pas ce que vous faîtes de votre temps. Tout ce dont ils s'assurent est que vos résultats soient bons et, comme ils le sont toujours, ils s'imaginent certainement que vous êtes toutes les deux des filles sérieuses et travailleuses. . . Enfin, maintenant, ils ne pensent ça que de ta soeur. . ."

- Elle n'est plus ma soeur ! hurlé-je.

- Euh. . . Ça va, là-dedans ? me demande une voix surprise.

- Attends, l'interrompt une autre. Ce ne serait pas. . .

J'entends la porte de la cabine voisine s'ouvrir, puis une ombre apparaît au-dessus de moi. En relevant la tête, j'aperçois le visage moqueur d'une fille. Je suis sur le point de lui ordonner de redescendre, outrée par cette attitude indécente, lorsque le flash de son téléphone m'aveugle. Elle vient de prendre une photo de moi ? !

- Ha ha ha ! Regarde ça ! lance-t-elle à celle qui l'accompagne en redescendant. Cette photo va faire le buzz sur les réseaux !

- Euh. . . T'es sûre de toi ? lui répond l'autre sur un ton hésitant. Je veux dire. . . C'est illégal de poster des photos de quelqu'un sans son consentement, surtout si elles sont aussi. . .

- Humiliantes ? Elle n'avait qu'à pas humilier Vanessa hier !

Je l'entends cracher en direction de ma cabine, puis lancer à l'autre :

- Viens, on se tire !

Le calme revient et j'en profite pour éclater en sanglots.