Le pacte - partie deux
Je manque de m'étouffer avec la boisson et plaque ma main devant ma bouche pour tousser, pendant qu'un peu de vin s'échappe d'entre mes lèvres pour tâcher la nappe et les couverts.
- Tes gants vont être difficiles à laver, se lamente-t-il avec une petite moue.
- Au Diable mes gants ! rétorqué-je aussitôt que je reprends mon souffle. Euh. . Je veux dire. . . Qu'est-ce que. . . Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
Il joint ses deux mains pour poser son menton dessus, en me lançant un sourire amusé, puis se présente enfin :
- Mon nom est Lucifer.
- L'ange déchu ? demand-je en levant un sourcil.
- Tss ! lâche-t-il avec une grimace de dédain. C'est en effet ainsi que je suis connu dans la Bible, mais si j'étais réellement un ange, je n'aurais jamais eu le libre arbritre suffisant pour défier Dieu. J'ai toujours été un démon depuis ma création. J'ai seulement réussi à m'élever au niveau des anges grâce à ma piété exceptionnelle et j'ai donc vécu parmi eux, jusqu'à ce que. . .
Son regard s'assombrit, attisant ma curiosité :
- Jusqu'à ce que ?
- C'est sans importance pour notre pacte, déclare-t-il en balayant l'air d'une main. Je t'ai exposé ma proposition. À toi de voir si tu l'acceptes. . .
- Il faudrait déjà que je vous crois, répliqué-je en croisant les bras. Qui me dit que vous êtes bien Lucifer ?
- Je comprends. Tu crains que je ne sois qu'un simple être humain qui tente de t'escroquer, mais dis-moi, un simple humain serait-il capable. . .
Il disparaît subitement dans une tourbillon de flammes, m'arrachant un cri de surprise. Sa voix rententit ensuite dans mon dos :
- . . . de faire cela ?
Je me retourne en sursaut. Il se tient debout, tenant le dossier de ma chaise entre ses mains. Je le fixe avec incrédulité, tentant tant bien que mal de calmer ma respiration agitée. Il esquisse un sourire satisfaction et m'interroge :
- Cette preuve te suffit-elle ?
Je dois me rendre à l'évidence : aucun être humain ne serait capable d'une telle chose. Même le plus doué des illusionnistes n'aurait pas pu faire ça. Ça veut dire que. . .
- Vous êtes bien le Diable, soufflé-je avec un mélange d'incrédulité, de crainte et d'admiration.
- Quelle perspicacité, lâche-t-il sur un ton ironique.
- Pourquoi le Diable en personne aurait-il besoin de l'assistance d'une simple humaine ? lui demandé-je en me levant pour lui faire correctement face.
- Je me nourris des âmes que je récolte. Voilà pourquoi mon travail consiste à pactiser avec les humains pour m'emparer des leurs. Seulement, vous êtes de plus en plus nombreux. L'aide d'une assistante talentueuse ne me serait pas de trop.
- Pourquoi ne pas engager un démon ? Il serait bien plus qualifié que moi, non ?
- Être un démon le rendrait certes naturellement plus puissant que toi, mais cela ne ferait pas automatiquement de lui un assistant plus talentueux, sans compter qu'engager une humaine à mon service me permet de faire d'une pierre deux coups : en plus d'avoir une assistante talentueuse pour m'aider, j'aurai une nouvelle âme à ma disposition, m'explique-t-il avec un sourire malicieux.
- Je vois. Vous faîtes un excellent homme d'affaires ! le complimenté-je.
- Ha ha ha ! Il n'existe pas meilleur buisness man que moi, effectivement. . . déclare-t-il avec fierté.
- J'ai encore une question.
- Je t'écoute.
- Est-ce que ça signifie. . . que nous sommes en Enfer ?
Il pousse un soupir las :
- Diable ! Que les humains sont ignorants. . . Contrairement à ce que la plupart des gens pensent, je ne domine absolument pas l'Enfer. Ce territoire est sous le contrôle de Dieu, comme tous les endroits qu'il a crées.
- Où sommes-nous alors ?
- En plein coeur de Paris, ma ville préférée ! Pouvons-nous revenir à ma proposition, maintenant ? Es-tu d'accord ou pas ?
Je fronce les sourcils. Ai-je vraiment besoin de réfléchir ? En acceptant son marché, j'aurais tout ce dont j'ai besoin et tout ce que je désire. Je n'aurais qu'à l'aider à récolter des âmes en échange et lui livrer la mienne. Voilà qui n'est pas cher payé. . .
La voix de Lucifer m'interrompt dans ma réflexion :
- Je n'ai pas l'habitude de dire ce genre de choses à mes clients, mais tu es la plus unique d'entre eux, alors laisse-moi te prévenir qu'en acceptant ma proposition, tu te condamnes à l'Enfer. Es-tu prête à souffir éternellement pour obtenir ta vengeance ?
Je laisse échapper un rire moqueur, puis déclare :
- Quelle différence ça fait ? Ma vie est déjà un enfer. Votre proposition est donc un véritable cadeau pour moi.
- Si je comprends bien, tu acceptes. . .
- Oui.
- Bien, fait-il en faisant apparaître dans sa main une nuée de flammes, qui se dissipe pour laisser place à un parchemin à l'allure ancienne, qu'il me tend. Voici notre pacte.
Je m'en empare et le lis attentivement pour m'assurer qu'il correspond bien à ce qu'il me promet, puis hoche la tête en l'informant :
- Tout est bon.
Il reprend le document pour le poser sur la table, puis pointe son doigt dessus, dont il fait jaillir une petite flamme. Étonnamment, elle ne dévore pas la surface qui se présente à elle, se contentant de la marquer d'une trace noire. Lucifer signe ainsi le document de son nom, qu'il orne d'élégantes boucles. Il me tend ensuite une plume, dont j'ignore d'où il l'a sortie. Alors que je tends ma main dans sa direction pour la saisir, il me pique l'index avec, m'arrachant une grimace de douleur.
Je prends mon doigt dans ma main pour m'enquiérir de son état, et, en constatant qu'une goutte de sang commence à perler, je proteste :
- Hé ! Qu'est-ce qui vous a pris de faire ça ?
- C'est indispensable pour signer. Je n'accepterais pas un vulgaire encre sur mes contrats. Ton sang est bien plus précieux, bien plus joli et alléchant. . .
Sur ces mots, il s'empare de mon poignet pour lécher lentement le liquide écarlate coulant sur mon doigts. Mes joues s'empourprent, tandis que je dégage brusquement ma main en m'indignant :
- Vous êtes répugnant !
- Peut-être, dit-il avec un sourire amusé, mais je suis aussi ta seule solution.
Je prends une grande inspiration pour recouvrer mon calme et m'empare de la plume, que je trempe dans mon sang pour signer le papier de mon nom.
Lucifer s'en empare et contemple ma signature d'un air satisfait, puis plonge son regard rouge dans le mien pour m'annoncer :
- Félicitations. Tu viens de signer le plus important contrat de toute ta vie : ton premier pacte avec le Diable.
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