Premier client
- Tu as énormément de choses à apprendre et je pourrais passer des heures, voir même des jours, à t'expliquer comment procéder, mais c'est une perte de temps. Je pense que ce serait bien plus rapide et instructif de te faire passer directement à la pratique. Rassure-toi : je t'accompagnerai jusqu'à ce que tu maîtrises le métier.
- Bien, alors par quoi dois-je commencer ?
- Il faut commencer par trouver un client prometteur. Il se pourrait que tu en croises un de façon totalement imprévue au cours de l'une de tes journées ou même de tes nuits. Voilà pourquoi tu dois rester constamment en alerte. Cependant, comme ni moi, ni toi, ne pouvons être partout en même temps, nous nous servons généralement des rapports de mes sujets.
À l'instant même où il finit sa phrase, un tourbillon de flammes se forme à côté de moi, me faisant sursauter. Un démon apparaît. Il s'incline aussitôt respectueusement devant mon patron :
- Bonjour, seigneur Lucifer.
- Mes sujets, m'explique ce dernier sans répondre au nouveau venu, sont tenus, entre autres, de m'informer de toute possibilité de pacte intéressante. J'ai ainsi des sens partout pour rester au courant de tout ce qui se passe dans chaque coin du monde et de l'univers. Maintenant que tu es officiellement mon assistante, ils pourraient apparaître de la sorte à tout moment pour te tenir au courant des potentiels clients qui t'attendent.
- Je dois donc m'habituer aux apparitions surprises.
- Tu as tout compris, me félicite-t-il avec un chaleureux sourire. Bien, ajoute-t-il en reportant son attention sur le nouvel arrivant. Dis-nous ce que tu as.
- Un homme a d'énormes soucis d'argent. Il serait visiblement prêt à tout pour s'enrichir. . .
- C'est un cas classique, commente Lucifer. C'est même l'un des plus courants. C'est parfait pour te permettre de débuter. Où se trouve cet homme ?
- Il vit ici-même, à Paris, répond-il, puis il nous donne l'adresse exacte.
- Bien. Nous n'aurons pas à aller loin, déclare-t-il en se levant. Suis-moi, Malicia. Toi, tu peux repartir, lance-t-il à son sujet, qui disparaît aussitôt dans un tourbillon de flammes.
J'emboîte le pas à mon patron et nous quittons son bureau pour nous diriger vers la porte d'entrée. Un grand homme aux cheveux blancs élégamment plaqués contre son crâne et à la généreuse moustache claire, vêtu d'un costume à queue de pie noir au col orné d'un noeud de papillon, s'approche pour aider le démon à enfiler sa veste. Ce dernier saute sur l'occasion pour me le présenter :
- Voici Tsad, mon majordome. Il s'occupe de la bonne gestion des domestiques et de la maison.
- Je sais ce qu'est un majordome, merci, rétorqué-je.
- Je suis enchanté de faire votre connaissance, mademoiselle, me salue respectueusement le démon avec une courbette.
- Bonjour, Tsad.
- Je te confie la maison et ses occupants, comme d'habitude, lui lance Lucifer.
Pour toute réponse, le majordome acquiesce.
Nous quittons ensuite le bâtiment pour nous retrouver dans une cour recouverte de graviers, à l'exception d'une fontaine encadrée par deux parterres de fleurs à la française. Une luxueuse voiture noire nous attend face à un portail déjà ouvert. Nous prenons place dedans et mon patron donne à son chauffeur l'adresse indiquée par le démon de tout à l'heure. Le véhicule démarre et Lucifer engage aussitôt la conversation :
- Te plais-tu ici ?
- J'ai encore besoin de temps pour me familiariser avec l'endroit, mais ma chambre est bien plus confortable que celle que je possédais et Mimi et Sassa sont aux petits soins avec moi. Je ne manque de rien.
- Tiens, tu as fait plus ample connaissance avec elles.
- Oui, elles m'ont l'air vraiment gentilles. D'ailleurs, pourquoi les avoir renommées ainsi ?
Il tourne la tête en direction de la fenêtre, mais je peux quand même apercevoir son sourire.
- Un simple nom suffit à définir toute une personne avec son corps, sa personnalité, ses goûts, ses sentiments, son histoire. . . C'est fascinant, n'est-ce pas ?
- Qui étaient-elles avant d'être vos femmes de chambre ?
- Ne te soucie pas de qui elles étaient. Ce qui compte, c'est ce qu'elles sont aujourd'hui et ce que je déciderai qu'elles soient plus tard.
- N'est-ce pas à elles de choisir leurs destins ?
- Ha ha ha ! Ces démonnes m'appartiennent depuis le jour où je les ai "renommées", comme tu dis. Elles n'ont pas d'autre maison que la mienne. C'est grâce à moi qu'elles sont devenues ce qu'elles sont et c'est grâce à moi qu'elles deviendront ce qu'elles seront, tu comprends ?
- C'est bien ce que je pensais : les renommer vous a permis d'effacer leur passé pour les soumettre à votre contrôle. Seulement, pourquoi avoir fait cela ?
- Un jour, peut-être, tu sauras, dit-il sur un ton détaché en haussant les épaules. En attendant, nous voilà arrivés.
La voiture s'arrête devant un immeuble quelconque. Nous en descendons et je demande à mon patron :
- Quel étage ?
- C'est le dernier.
Nous profitons du passage d'un voisin pour entrer dans l'immeuble et prenons l'ascenceur. Lucifer me désigne ensuite la porte de gauche en inspirant l'air avec délectation :
- Je sens d'ici le doux parfum du désespoir d'une âme fragile, dit-il en se léchant les babines.
Je sonne et attends quelques secondes, au bout desquelles la porte s'ouvre, révélant un homme dans la quarantaine à l'aspect négligé : cernes, menton mal rasé, cheveux en bataille et vêtements froissés.
- Ouais ? grogne-t-il en plongeant son regard sombre dans le mien.
Je suis sur le point d'ouvrir la bouche lorsque je réalise qu'il ne fixe que moi, comme si j'étais seule sur le palier. . .
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