Premier choix de dette
Comme à son habitude, mon patron reste invisible, profitant du spectacle en toute discrétion. C'est donc sur moi que se fixe le regard de la femme lorsque je manifeste ma présence. Elle recule en sursaut et ouvre la bouche, s'apprêtant à crier, mais anticipant une telle réaction suite à mon apparition inattendue, je me glisse dans son dos à toute vitesse pour plaquer ma main sur ses lèvres, l'empêchant de sortir le moindre son. Les larmes qui coulaient déjà sur son visage redoublent à cause de la peur, pendant qu'elle se met à trembler. Je lui murmure à l'oreille :
- Penses-tu vraiment qu'il viendra ? Il ne s'intéresse plus à toi depuis longtemps. Ça l'arrangerait même carrément que tu disparaisses. Il serait plus libre de ses mouvements.
Face à ces cruelles, mais si véridiques paroles, elle se relâche totalement et se serait effondrée sur le sol si je ne la tenais pas fermement pour l'empêcher de fuir. Son regard est terne, comme éteint. Je la croirais presque morte si je ne la sentais pas respirer.
Je poursuis cependant sans laisser paraître mes pensées, comme me l'a recommandé Lucifer :
- Tu as la possibilité de changer les choses, de revenir dans le passé pour modeler le futur qui te convient. Le veux-tu ?
- Oui ! s'exclame-t-elle en agrippant le col de ma chemise, tandis qu'une lueur d'espoir renaît dans son regard.
- Bien. Tout ce que tu as à faire, en échange, est d'offrir ton âme à mon patron.
- Qui est-il ? D'ailleurs, qui es-tu ?
- Il est le Diable et je suis son assistante, répondé-je avec un sourire inquiétant.
- Hein ? C'est. . . C'est une blague. . .
- Absolument pas et la preuve est que la seule chose que nous exigeons en échange de la réalisation de ton souhait est ton âme. Qui d'autre que le Diable réclamerait une chose pareille ?
- C'est vrai, admet-elle suite à quelques secondes de réflexion. Un être humain réclamerait de l'argent ou d'autres choses plus terre à terre, mais. . . C'est si difficile à croire. . . Enfin, peu importe qui vous êtes, je suis prête à tout pour le récupérer, même vendre mon âme.
- Bien, fais-je en caressant ses cheveux.
Elle se laisse faire, se contentant maintenant de fixer le sol. Au moment où je me tourne vers Lucifer pour recevoir le contrat, il me le tend en précisant :
- Cette fois, c'est à toi de choisir la dette qui lui incombera. Je sais que tu feras un bon choix. Les humains ne sont jamais aussi créatifs que lorsqu'il s'agit de faire souffrir leurs semblables.
Je fige ma main tendue. J'avais oublié la dette. Je regarde cette pauvre femme, tremblante et en larmes. Elle semble si faible, si démunie. Elle a déjà tant souffert, sans même le mériter. Comment puis-je me permettre de la faire souffrir encore plus ?
Sentant ma détermination flancher, le démon me susurre à l'oreille :
- Souviens-toi ce que t'a fait subir l'Humanité. Ils doivent tous payer, sans quoi la punition ne serait jamais à la hauteur de ta souffrance. Je t'ai promis de t'aider à réaliser une vengeance digne de ce nom. Je compte bien tenir ma parole.
"Cette femme ne m'a fait aucun mal. Elle est si occupée qu'elle n'a même pas le temps de commenter quelque poste que ce soit."
- Soit, mais qu'aurait-elle fait si elle en avait eu le temps ? Et puis, admettons qu'elle n'aurait jamais eu la méchanceté d'écrire contre toi, qui te garantit qu'elle aurait eu la gentillesse de te défendre ? Les postes sont devenus viraux, tout le monde les a vus et revus, mais est-ce qu'une seule personne a pris la peine de chercher à comprendre ou de prendre ta défense ? Aucune. C'est ce que font la plupart des êtres humains : tant que les problèmes ne les concernent pas, ils les ignorent et ignorent avec eux ceux qui les subissent. Cet abandon a un prix. Un prix qu'ils doivent payer. N'es-tu pas d'accord ?
Ces paroles me suffisent à voir Simonne avec un regard nouveau : ce n'est pas une femme qui ne m'a fait aucun mal, mais une femme qui m'a abandonnée à mon sort sans rien tenter pour m'aider. Elle doit payer. Et je connais la dette la plus pénible à lui imposer. Une dette qu'elle ne sera pas seule à honorer, car qu'on soit papa ou maman, rien ne peut nous faire plus souffrir que la perte d'un enfant. . .
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