Je boutonne mon chemisier en observant la pluie tomber par la fenêtre de ma chambre. Les branches des arbres sont violemment secouées par le vent, mais le temps à l'extérieur n'est pas aussi chaotique que dans ma tête. Les questions se bousculent à l'intérieur sans que je ne puisse les contrôler. Je me dois pourtant de les laisser de côté un moment, si je veux pouvoir travailler efficacement. Je prends donc une profonde inspiration et quitte ma chambre.

Alors que je me dirige vers le bureau de mon patron, je croise les jumelles, portant chacune une pile de linge dans les bras. Elles interrompent leur discussion pour s'incliner devant moi avec un chaleureux sourire. Je leur réponds par un hochement de tête bienveillant et poursuis mon chemin.

Quelques secondes plus tard, je toque à la porte. La voix du vieux domestique me parvient :

- Entrez, mademoiselle Malicia. Je vous attendais.

Elle n'a plus rien de ce charme froid et charismatique que je lui ai entendu dans le sous-sol de la secte. La vieille voix chaleureuse du majordome que j'ai rencontré est de retour. En ouvrant la porte, je constate aussi que le beau jeune homme brun a de nouveau laissé place au vieux serviteur à la généreuse moustache blanche. Je lui demande donc :

- Laquelle est ta véritable apparence ?

- Je vous demande pardon ?

- Ne fais pas l'ignorant, Tsad. Je sais que tu as parfaitement compris de quoi je parle.

Un sourire malicieux sétire sur son visage, tandis qu'il me répond :

- Je revêtis actuellement une fausse apparence pour l'une de mes missions.

- Quelle mission ?

- Quand les petites Mimi et Sassa sont arrivées dans cette maison, elles n'étaient encore que des enfants. Elles avaient besoin d'une figure parentale et mon maître n'a ni le temps, ni le plaisir de jouer les gentils papas. J'ai donc endossé ce rôle pour lui.

- Hum. . . Je vois mal Lucifer se soucier des besoins de deux petites filles, surtout de leurs besoins émotionnels, s'il n'en tire pas profit. . .

- Quelles perspicacité, mademoiselle Malicia ! me complite le domestique. Effectivement, si nous avons tenu à leur offrir cette figure paternelle, c'est tout simplement pour nous assurer une loyauté sans failles de leur part, car comment être plus fidèles qu'envers ceux qui sont pour nous comme une famille ?

- Trahir sa famille ne pose pas de soucis à certains. . .

- Il faut bien faire la différence entre la famille de sang et celle de coeur. Ce n'est pas du tout la même chose. Je peux vous garantir que ces petites ne nous trahiront pas. Elles sont bien trop attachées à tous les habitants de cette maison, y compris vous.

- Oui, je l'ai bien remarqué, mais j'ai aussi constaté qu'il leur arrivait de trembler face à Lucifer. . .

- Tout comme des enfants tremblent face à leurs parents lorsqu'ils ont fait une bêtise, réplique-t-il en haussant les épaules, mais ce n'est pas le sujet de votre venue ici. Je vais vous apprendre la partie administrative de notre métier : trier les contrats, les classer et les ranger. Cette organisation est indispensable au vu du nombre de pactes que nous concluons chaque jour depuis des millénaires.

- J'imagine bien.

- Bien. Il faut d'abord distinguer les contrats concernant les pactes menés avec les humains et ceux signés avec les démons entrant au service de Monseigneur, car nous recueillons tous les jours de nouvelles âmes damnées et de nouveaux adeptes. Commençons par trier cette montagne de papiers en deux piles différentes.

Quand Tsad parle de montagne de papiers, il ne mâche pas ses mots. Malgré mes nombreux stages en entreprise, je n'avais encore jamais vu autant de paperasse de toute ma vie. Je retrousse pourtant mes manches et me met au travail, bien déterminée à ne pas me laisser abattre et à montrer ce dont je suis capable.

- Je vais vous dire comment différencier facilement les deux. Les pactes réalisés avec des êtres humains ne comportent que les noms de chacun et l'échange conclu. Quant aux contrats signés avec des démons, ils contiennent toutes les informations les concernant.

- Pourquoi cette différence ?

- Quand Monseigneur conclut des pactes avec des humains, il n'a pas besoin de consigner tous ces renseignements sur eux. Il sait déjà tout. Ce n'est pas forcément le cas lorsqu'il recrute un démon. Voilà pourquoi il est toujours méfiant envers les nouveaux venus, juqu'à ce qu'ils prouvent leur loyauté. Enfin, depuis ce fâcheux événement, les critères pour démontrer sa fidélité sont bien plus stricts. C'est une mesure nécessaire, si nous voulons éviter qu'une chose pareille se reproduise, en engendrant des conséquences peut-être plus graves encore que. . .

Il s'interrompt soudainement et me dit avec un sourire désolé :

- Mes excuses, mademoiselle, Malicia. Je commence à être trop bavard. C'est qu'à force de jouer les bons vieux papis, je finis par vraiment m'approprier leurs vilaines habitudes, ha ha ha !

Je fais la moue, vexée qu'il ait cessé de parler au moment le plus intéressant, mais reprends rapidement un air impassible pour me reconcentrer sur mon travail.

Si je n'ai plus aucun secret pour Lucifer depuis bien longtemps, les événements ne cessent de me rappeler que lui est encore entouré de mystères pour moi, mais j'ai bien l'intention de les désépaissir. . . S'ils ne veulent rien me dire, j'irais chercher ces informations moi-même. Mon contrat ne me l'interdit pas, après tout, puisque Lucifer ne m'a jamais donné l'ordre de ne pas fouiner dans ses affaires. Je n'ai donc rien à me reprocher.

C'est avec un sourire malicieux que je finis de trier les différents documents empilés sur le bureau.