Je suis assise sur le bord de mon lit, le corps tendu et crispé, malgré l'agréable chaleur m'entourant. Je n'ose même pas me retourner, encore troublée par ce qui vient de se passer. Je m'attendais à ce que Lucifer ne me laisse pas mourir, même si mon instinct humain a commencé à prendre peur vers la fin, mais je ne m'attendais certainement pas à ce qui a suivi. . . J'ai encore les lèvres et les joues en feu, mais ce qui m'intrigue le plus, ce sont les derniers mots du démon :

"Enfin je t'ai trouvée. . ."

Que voulait-il dire par là ?

- Quelque chose ne va pas ? me demande ce dernier en resserrant son étreinte sur moi, collant mon dos à son torse.

Je lis l'amusement dans sa voix, mais saute sur l'occasion pour satisfaire ma curiosité :

- Que signifiaient vos derniers mots ?

- Je te cherche depuis longtemps, Malicia. J'ai besoin de toi pour atteindre mon objectif, pour que tous mes efforts et mes sacrifices prennent enfin un sens.

- Comment ça ? Qu'est-ce qui vous rend si sûr de vous, d'abord ?

- Tu es la seule humaine à m'accorder une confiance aveugle en connaissance de cause. C'est ce qui t'a poussée à sauter de ce toit et c'est à ce moment que j'ai eu la certitude que c'est bien toi que je recherche depuis tout ce temps. Bien sûr, j'en connais d'autres qui auraient aussi préféré se jeter, mais pas par confiance envers moi, bien au contraire. Ils auraient préféré se sacrifier plutôt que de servir mes desseins. Pas toi. Toi, tu crois en moi, dit-il dans un doux murmure en caressant mon visage du bout des doigts.

Je tressaille, sentant mon coeur s'emballer. Mes poings se resserrent et le son d'un froissement me parvient. Ce n'est qu'alors que je me souviens que je porte toujours le parchemin. Je le déplie. Il est intact, malgré la pluie qui lui est librement tombé dessus, comme s'il était protégé. . . Le nom du démon qui a trahi mon patron m'apparait à nouveau : Joshua Yuda. . .

- C'est vraiment étrange, décidémment, que l'un de vos anciens serviteurs porte un nom hébreu. . .

- Pourquoi ? Que crois-tu ? Que tous les démons naissent ennemis de Dieu et le restent ? Ha ha ha ! La stupidité humaine m'amusera toujours. . .

Je fronce les sourcils, vexée et blessée. Il poursuit sur un ton plus sérieux :

- Comme je te l'ai déjà dit le soir de notre rencontre, les démons sont dotés du libre-arbitre. C'est l'un de nos seuls points communs avec la race humaine. Nous sommes donc, tout comme vous, libres de choisir notre religion. . . ou pas et nous pouvons changer de confession à volonté. Il existe donc des démons de toutes les religions, surtout les trois grandes religions monothéistes.

- Joshua était un démon juif, comprené-je.

Il acquiesce, pendant qu'une interrogation que j'avais depuis longtemps laissée de côté, jusqu'à presque l'oublier, me revient en tête, plus forte que jamais :

- Si vous êtes dotés du libre-arbitre et que vous êtes conscient que défier Dieu vous condamne à l'Enfer, pourquoi vous être retourné contre lui ? Cela me semble totalement insensé. . .

- Et toi, alors ? Pourquoi m'as-tu suivie dans le chemin de la souffrance éternelle, puisque tu es aussi consciente de cela, désormais ?

- Je vous l'ai dit au moment de signer mon pacte avec vous : je suis déjà plongée en Enfer depuis que Vanessa m'a trahie et que ma famille et ceux que je pensais être mes amis m'ont tourné le dos. Cela ne change donc rien pour moi : autant en profiter pour assouvir mon désir de vengeance, conclué-je avec sourire sombre et sans joie.

- Je n'étais pas déjà plongé en Enfer. J'aurais pu continué à vivre sous la grâce divine, mais ç'aurait signifié sacrifier ma fierté et ma dignité, me rabaisser et m'humilier et c'était hors de question ! Ce jour-là, j'ai commis mon premier pêché : l'orgueil.

- Que s'est-il passé exactement ?

Il me fixe en silence avec une expression impassible, comme s'il réfléchissait à s'il allait enfin tout me révéler ou non. Je pose une main sur la sienne en lui disant d'une voix douce :

- Je vous ai prouvé que j'ai toute confiance en vous. Faîtes-en de même pour moi, s'il vous plaît.

- Bien, soupire-t-il avec résignation. Voilà donc ce qui s'est passé, plus de trois millions d'années auparavant. . .