Nils - Le bal 2

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Nils ne venait pas souvent sur l’esplanade. Magnus avait fait construire cette partie du palais, dès son arrivée au pouvoir : il avait tout transformé depuis quinze ans. Il était important d’avoir un lieu prestigieux pour accueillir la cour qu’il avait instaurée autour de lui. Cette salle de réception était donc un lieu hautement politique. Du moins, c’est ce qu'on lui avait toujours dit.

Nils n’en avait pas grand-chose à faire de la diplomatie ; en revanche, il remerciait son père pour cette esplanade qui offrait une vue époustouflante sur la ville. Quelques lumières éclairaient les rues, mais c’était surtout la lueur rose de la nuit qui contrastait avec la masse sombre des quartiers populaires de Valdemar. Le soleil ne se couchait jamais vraiment sur Calabrun et l’obscurité prenait une teinte pastel qui ravissait le jeune homme. Cette couleur rose pâle était ce qu’il préférait dans son pays. Il avait pu voir d’autres duchés, le bleu vif de Gabian surtout l’avait exalté. Mais ce rose de la nuit calabrune était d’une douceur exquise qui feutrait les sons, le froid, l’atmosphère.

La fenêtre se rouvrit derrière lui, délivrant les bruits de la fête. Une jeune fille s’avança sur la terrasse. Elle ne l’avait apparemment pas vu, ou bien elle faisait mine de ne pas le voir. Il ne bougea pas, baissa à nouveau les yeux vers la masse sombre de la ville en contrebas. Il fixa les énormes tuyaux de l’usine de géothermie, éclairée à l’ouest. Des pas s’approchaient.

- C’est magnifique, non ?

- Oui, grogna-t-il, agacé d’être pourchassé jusque dans son refuge glacé.

- Je n’aurais jamais pu imaginer que le point de vue était aussi…

- Tranquille ?, ironisa Nils.

Il jeta un coup d’œil courroucé vers l’intruse. Elle avait des longs cheveux noirs et la peau mate. Ses longs cils lui faisaient un regard de biche et elle souriait, montrant de jolies dents blanches sous ses lèvres pleines. Une jolie fille…

- Pourquoi tranquille ?... Oh ! Je vous dérange, peut-être. Désolée ! Je vous laisse tout de suite… On m’a conseillé de venir voir la vue, parce que je n’étais jamais venue ici, et… Enfin,… je ne voulais pas être importune. Je m’en vais. Pardon !

Nils se rendit compte de sa bévue :

- Non, c’est moi qui vous présente mes excuses. Je suis parfois un affreux goujat. Restez, profitez de la vue. Je me suis montré bien impoli…

- Vous étiez déjà venu ici ?

- Euh, oui. Plusieurs fois, à vrai dire. C’est un belvédère époustouflant. J’aime observer l’agitation des rues en-dessous et le calme des étoiles au-dessus.

- On les voit à peine. Je n’avais jamais vu un ciel si rose… C’est extraordinaire !

- Vous n’êtes pas d’ici ?

- Non, je viens de Cresse…

Le brouhaha de la salle se fit soudain plus intense. Nils se retourna à nouveau pour voir quel intrus venait de franchir la fenêtre. Il fut surpris de constater que c’était son père qui s’approchait, suivi d’un homme qu’il n’avait jamais vu. Celui-ci s’emmitouflait dans un grand manteau de fourrure, comme si sa vie en dépendait.

- Nils, mon fils, je vois que tu as fait la connaissance d’Antonella. Elle est la deuxième fille du Duc de Cresse. Ils nous font l’honneur de nous rendre visite. J’espère que tu t’es bien comporté.

Le garçon leva les yeux au ciel, contrarié d’être percé à jour par son père et d’être ainsi rabroué devant Antonella. Celle-ci fit mine de ne pas entendre le reproche dans la remarque de Magnus et répondit :

- Non, votre Majesté. Votre fils est charmant et il me parlait de votre beau pays de Calabrun. Ce ciel est tout simplement… magique.

Antonella frissonna soudain et Magnus jeta un coup d’œil à son garçon, comme pour l’inciter à réagir. Nils mit un petit moment à comprendre, mais il finit par dire, comme un automate :

- Antonella, venez à l’abri. Vous risquez de prendre froid à cause de notre rude climat. Prenez mon bras, je vous prie. Parlez-moi de Cresse… Je n’ai jamais eu le plaisir de visiter Scarpeio. On dit pourtant que votre capitale est un lieu ravissant…

Nils passa la soirée à discuter avec Antonella, sous le regard attentif de son père et du Duc de Cresse, manifestement satisfaits. Ils dansèrent ensemble à plusieurs reprises, au milieu d’une assemblée mi admirative, mi jalouse. Et le jeune homme profita du bal comme rarement il en avait eu l’occasion. Antonella était une jeune fille délicieuse : c’était une compagnie agréable, vive, qui le fit sortir de sa réserve. La soirée était, pour ce jeune homme assez taciturne, un étonnant moment d’apaisement.

- …Je vous assure que c’est vrai ! Il ne m’a pas lâché d’une semelle pendant toute la semaine ! C’était épouvantable…

- Mais vous n’aviez aucune pitié pour ce pauvre jeune homme !

- Non, les gardes de mon père ont essayé de l’empêcher d’entrer dans le palais, mais il était incroyablement ingénieux, et à Scarpeio, notre palais n’a pas de fermetures. Tout est ouvert pour laisser passer l’air, la lumière… et les importuns malheureusement !… J’ai vécu un enfer !

La jeune fille fit entendre un très joli rire cristallin qui ravit les oreilles de Nils. Il la regardait et la trouvait de plus en plus jolie, à mesure qu’il apprenait à la connaître. Cette soirée était une belle surprise. Et Magnus semblait ravi de voir son fils en pleine conversation avec Antonella.

L’orchestre joua peu à peu des morceaux un peu moins entrainants, indiquant la fin du bal, et Nils fut surpris de constater qu’il n’était jamais autant resté à une soirée organisée par son père. Généralement, il trouvait un prétexte pour se soustraire à ses obligations et fuyait dans sa chambre pour retrouver un peu de sérénité. Là, il n’avait pas vu le temps passer. Magnus les suivaient encore du regard, comme il l’avait fait de nombreuses fois pendant la soirée. Nils choisit de l’ignorer et s’adressa, plein de sollicitude, à sa compagne :

- J’imagine que le roi vous fait loger dans la suite écarlate…

- Oui, nous sommes très bien installés.

- Votre père a disparu. Me permettez-vous de vous raccompagner jusqu’à vos appartements ?

- Ce serait avec grand plaisir, d’autant que le palais est très grand… et je crains de ne pas retrouver mon chemin.

Nils sourit et lui tendit le bras. Antonella s’agrippa à lui et ils marchèrent en silence, côte à côte dans les longs couloirs. Le jeune prince se sentait à la fois surpris et ému face à cette fille. Il se doutait bien que son père y était pour quelque chose, que son assentiment à peine déguisé ressemblait fort à un quelconque accord politique… Mais il se sentait bien pour la première fois depuis très longtemps. Et il le devait au joli sourire d’Antonella.

Ils atteignirent trop vite la porte de la suite écarlate. Nils posa sa main gauche sur celle de la jeune fille qui tenait encore son avant-bras droit. Il lui souhaita :

- Bonne nuit.

Le regard d’Antonella prit une expression étrange, comme si elle était contrariée. Nils eut un mouvement de recul, soudain gêné. Mais la jeune fille se façonna à nouveau un visage joyeux et lui déclara, à travers un sourire toujours aussi éblouissant :

- Je suis un peu fatiguée, Nils. Merci pour cette soirée…

A ces paroles, le prince soupira. Ce n’était que de la fatigue... Elle ouvrit la porte et la referma derrière elle, sans se retourner.

Nils prit la direction de sa chambre, revivant la soirée. Il éprouvait beaucoup de gratitude envers Antonella qui lui avait permis de passer un délicieux moment, lui qui souffrait tant de la présence étouffante de la cour. Oui, c’était la première fois qu’il se laissait aller. Et c’était bien agréable !

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