- Bonjour. Je viens par rapport à l'annonce.

 - Bonjour, très bien. Vous vous... Ah, attendez, euh... Vous avez bien lu toutes les conditions sur l'annonce ?

 - Oui bien sûr. J'ai 34 ans et je fais 1m70. Et je suis un homme, bien sûr.

 - En fait, il fallait surtout un accessoire...

 - Bah, ce n'est pas grave, puisque c'est accessoire.

 - Ne jouez pas sur les mots, voyons... Vous comprenez, nous sommes une petite équipe, alors nous évitons tous les frais que nous pouvons.

 - Vous avez un accessoiriste ?

 - Oui mais elle ne peut pas s'occuper de tous les détails des figurants... Bon, votre nom ?

 - Francis Plâtre.

 - ...Ah, je vois, je crois qu'il y a un malentendu.

 - Comment ça ?

 - Ce que nous voulions c'était un homme avec un plâtre, pas...un Plâtre... Enfin vous voyez. Ca nous évite d'avoir à faire le plâtre nous-mêmes.

 - Vous préférez un plâtre à un Plâtre ?

 - Je ne suis pas sûre de comprendre.

 - Laissez tomber. Bon, je suppose que je me suis trompé de casting, que je ne conviens pas. Je ne vous dérange pas plus longtemps. Merci pour votre considération.

 - Je vous en prie. Bonne journée et bonne chance pour votre prochaine fois.

 Il pleuvait ce jour-là. Il le constata amèrement, en songeant qu'il n'avait pas de parapluie non plus. Il n'avait pas la patience d'attendre sous un porche, et il marcha sous la flotte, qui le trempait jusqu'aux pieds, à travers ses chaussures trouées. Il lui paraissait qu'elle pénétrait même ses os, qu'il se faisait liquéfier.

 Soudain il se fit interpeler par un inconnu d'une quarantaine d'années, qui, une fois arrivé à sa hauteur, constata son erreur :

 - Oh! pardon, je vous ai pris pour quelqu'un d'autre !

 - Mais je suis quelqu'un d'autre.

 - ...De toute façon, c'est quelqu'un qui est dans le plâtre. J'ai fait erreur.

 - Peut-être pas.

 - Ecoutez, monsieur, si, j'ai fait erreur, vous n'êtes pas celui que je connais, et d'ailleurs vous n'êtes pas dans le plâtre.

 - Si nous discutions, vous sauriez que vous me connaissez. Et puis d'ailleurs, figurez-vous que je suis dans le plâtre.

 - Vous êtes vraiment quelqu'un d'étrange. Au sens figuré ?

 - Non, je pense que je suis une personne étrange au sens littéral. N'est-ce pas ?

 - ...C'est vrai. Bon, je dois aller quelque part, passez une bonne journée.

 Francis fut à nouveau laissé à lui-même. Ce dont il avait, du reste, l'habitude. Il avisa un café et entra, demandant "comme d'habitude". Sur quoi on lui répliqua :

 - Vous savez, j'ai beaucoup de clients, moi, je peux pas retenir tous les visages. Qu'est-ce que vous voulez ?

 - Eh bien comme les gens d'habitude.

 - Mais les gens prennent de tout ! ...Vous voulez un cappuccino ? Avec une viennoiserie ?

 - C'est ça, comme d'habitude.

 Assis à sa table, entre deux gorgées de cappuccino, il contemplait négligemment le triste trottoir délavé que piétinait une cohorte de passants anonymes. Il tentait de se figurer leurs motivations, leurs buts, leur direction. Mais il ne pouvait que se figurer.

 Il voudrait bien demander à quelqu'un de la table de côté s'il peut dormir chez lui ou chez elle, mais les gens ne font pas ça, il le sait bien. Ce n'est pas la peine. Il aurait l'air ridicule. Il lui faut ravaler, le croissant ne passe pas.

 Si au moins il y avait un rond-point, ou même la peste... Mais il n'y a que des rues droites.

 "Bon, faut que je me casse, songea-t-il. J'espère que je trouverai un mécanicien en route pour me réparer..."

 Il pleuvait, et pendant qu'il marchait, l'eau lui rentrait par les chaussures trouées.