1 - Réveil

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Le bruit du réveil. Entêtant. Agaçant. Sept heures tapante.

Ronan l'arrêta d'un coup sec, mettant fin à la sonnerie insupportable de ce petit appareil démoniaque. Il y avait du mouvement sous les draps. Et ce n'était pas lui. L'homme se retourna, se retrouvant face à la fenêtre de la chambre. Un rayon de soleil passait au travers des rideaux mal fermés. Heureusement pour lui, ce n'était pas son visage qui était visé, juste le mur gris. Etre réveillé par le réveil, d'accord. Être réveillé par le soleil, c'était franchement plus désagréable. Difficile pour Ronan de quitter la couverture douce et chaude, le matelas moelleux, et la présence qui se trouvait à ses côtés. L'homme tourna légèrement la tête vers cette dernière. Lorelei dormait toujours, la tête à moitié enfoncée dans son oreiller. Est-ce qu'ils avaient bu la veille ? Il ne s'en rappelait pas. Peut-être un ou deux petits verres, mais pas plus...

Nu comme un vers, Ronan se redressa dans le lit, le bas du corps toujours caché sous la couverture douillette. Il poussa un léger grognement avant de se gratter l'arrière du crâne. Quelques bribes de souvenirs lui revinrent en mémoire.

Il était sorti avec Lorelai au Club 42, leur bar préféré. Ils avaient bu. Un peu. Beaucoup finalement ? Elle l'avait embrassé. Puis il l'avait embrassé. Ils étaient rentrés à l'appartement. Ils avaient décidés de jouer un peu l'un avec l'autre. Et ils y avaient pris du plaisir. Beaucoup de plaisir. Ce n'était pas la première, ni la dernière fois.

Ronan lança un autre regard à sa comparse endormie. Cette dernière avait un air paisible et serein dans son sommeil. Un sourire heureux, de ce qu'il pouvait voir, était affiché sur son visage fin. Il ne pourrait jamais se lasser de ce visage innocent, presque angélique. Selon les critères des humains normaux, Lorelai était étrange. L'homme se pencha vers l'endormie, attrapant une mèche de longs cheveux entre ses doigts. Il était clair qu'elle n'était pas humaine. Comme une grande partie de la population d'Equinox.

Lorelai était une nu-man.

Ces "nouveaux humains" ne dataient pas d'hier. Cela faisait un bon moment qu'on en voyait se balader dans les rues. C'était devenu monnaie courante avec le temps. Les premiers avaient été conçus une bonne cinquantaine d'années auparavant. La population humaine n'était pas suffisante sur Equinox, il fallait bien trouver un moyen de les remplacer d'une certaine manière. Leur conception restait un mystère pour le grand public. Le plus souvent, ces nu-mans grandissaient dans des centres spéciaux avant d'être adopter par des propriétaires humains. Il était extrêmement rare que leur enfance et leur adolescence se passent autrement.

Ronan quitta la chaleur des draps de son lit, s'étirant tranquillement pendant quelques minutes. Il laissa s'échapper un énorme bâillement peu élégant avant d'enfiler le premier pantalon qui lui passa sous la main et de se diriger en traînant les pieds vers la salle de bain. Il posa ses mains sur la surface glacée des bords du lavabo avant de fixer sa propre image qui se reflétait dans le miroir accroché au mur. Ses cheveux aussi noirs que le plumage d’un corbeau étaient complètement ébouriffés. Ils retombaient en vrac sur ses larges épaules. Sa peau légèrement basanée lui avait valu quelques problèmes à l’époque où il n’était pas un agent du gouvernement. Ronan se gratta la barbe. Combien de fois avait-il dit qu’il devait la raser ? Et combien de fois avait-il oublié ? Bien trop souvent à son goût. Mais pour sa défense, lorsqu’il y pensait, c'était Lorelai qui l’en dissuadait. Elle lui avait fait comprendre plusieurs fois qu’elle le préférait ainsi. A chaque fois qu’il essayait de se raser en fait. Ses yeux bleus fixaient leur reflet, et dans la salle de bain, il n’entendait que sa propre respiration. Il retira ses mains du lavabo, les fixant un instant. Si sa main gauche était faite de chair et de sang, ce n’était pas le cas de l’autre. Un mélange de plastique et de ferraille, le tout agrémenté d’une touche d'électronique. Et ce, jusqu’à son épaule gauche.

L’homme resta figé pendant quelques secondes, se demandant si aujourd'hui serait un jour aussi ordinaire que les précédents. Il ouvrit alors le robinet. L'eau coula bruyamment, et Ronan s’en passa sur le visage, histoire de se rafraîchir et de se réveiller tout à fait. Il s'essuya d'un coup de serviette puis se rendit dans la cuisine. Ronan mit en route la machine à café qui répandit rapidement une douce odeur dans la pièce. Une fois ce dernier prêt, il s'empara de la tasse brûlante et tira l'une des deux chaises de sous la petite table avant de s'y installer. Allumant la radio qui y trônait, il écoutait les dernières nouvelles tout en sirotant sa boisson.

  • ... mots du gouverneur, Morgan Lirio qui sera présent lors de la célébration du bicentenaire du projet Equinox. Bicentenaire qui est très attendu par bon nombre de personne. C'est la fin de cette édition, à suivre sur...

Ronan écoutait les nouvelles sans vraiment les entendre. Il n’y avait rien de particulier. Tout comme la veille et l’avant-veille. Les informations tournaient autour du Bicentenaire du projet Equinox et rien de plus.

L’homme posa sa tasse à moitié vide sur la table et se massa les tempes, essayant de se rappeler de ses cours de collégien. De mémoire, le projet Equinox consistait à rendre la planète habitable, cela grâce à Matriarch. Un nom bien étrange pour une intelligence artificielle complexe qui régissait simplement les aspects environnementaux de la planète. Matriarch s'assurait donc qu'Equinox soit fertile, irriguée, verdoyante. Un véritable petit Paradis où il faisait bon vivre. Ce qui n'était pas si loin de la vérité finalement.

L'homme était perdu dans ses pensées quand Lorelai débarqua dans la cuisine avec une tête à moitié endormie. Elle faisait une moue un peu ronchonne tout en mettant de l'eau à chauffer dans la bouilloire.

  • Quelque chose ne va pas Lore ? Tu avais pourtant l’air de bien dormir tout à l’heure.C’est c’que j’pensais aussi…

La jeune femme bailla à s’en décrocher la mâchoire, tout en commençant à se préparer une bonne tasse de thé à la vanille.

  • -... C’est c’que j’pensais jusqu'à ce que ce foutu cauchemar revienne me casser les pieds.
  • Le cauchemar habituel ?
  • Ouais, celui-là.

Lorelai s’installa sur la chaise et faisait à présent face à son interlocuteur. Elle fixait sa tasse en soupirant doucement. Sa voix résonna de nouveau dans la pièce.

  • Des fois, j’me demande si c’est vraiment un cauchemar. Si ce serait pas plutôt… un truc comme des morceaux de passé qui viennent faire coucou quand ils en ont envie.

Ronan hocha doucement la tête. C'était tout à fait plausible. Mais il se demandait si ça valait vraiment le coup pour sa comparse de retrouver la mémoire de cette façon. Elle n’avait aucun pouvoir sur son esprit, sa mémoire revenait de temps à autre sans prévenir, mais rien de très net. Lorelai désespérait de savoir d'où elle venait vraiment, même si elle en avait quelques petites idées. Son regard plongea dans celui de l’homme qui se tenait face à elle, puis elle souffla nerveusement.

  • J’sais c’que tu vas dire. Je suis une nu-man. Je suis née dans l’un des BioLab d’Equinox. J’ai pas besoin d’en savoir plus. Merci.
  • Je n’ai rien dit de tel.
  • Mais tu l'as pensé très fort.

Ronan soupira à son tour. Décidément, il était bien loin le temps où la jeune femme n'était qu’une innocente ingénue ne connaissant pas grand-chose de la vie. Cela faisait combien de temps maintenant ? Presque deux ans depuis qu’il l’avait rencontrée. Deux ans depuis qu’il l’avait prise sous son aile et qu'elle lui appartenait officiellement. Lorelai avait su combler sa solitude, mais lui n’avait pas réussi à lui venir en aide concernant son mystérieux passé.

  • Aujourd'hui, on pourrait...

La voix de l'homme s'éteignit alors que la sonnerie de son téléphone retentit dans la pièce. Ronan grogna en parcourant d'un coup d'œil le message que son supérieur venait de lui envoyer. Un message succinct, qui lui indiquait simplement de venir dès que possible au bureau.

  • Je suis attendu pour le boulot. C'est une urgence.

Il se leva de table, puis se dirigea vers la chambre pour se préparer. Il pouvait entendre les ronchonnements de sa comparse de là où il se trouvait. Cette dernière le rejoignit et commença à faire de même. Devant le regard interrogateur de l’humain, elle se justifia :

  • J’vais pas te laisser y aller tout seul. J’suis ton assistante après tout. Mon rôle c’est de t’accompagner partout et de te filer un coup d’main non ?

Ronan termina de boutonner sa chemise, avant de lui répondre avec un léger sourire aux lèvres :

  • Certes, mais tu n’es pas obligée. Je sais que tu n’aimes pas trop “l’ambiance” au bureau… Et je peux te comprendre, moi aussi je n’apprécie pas trop. Moins j’y vais, et mieux je me porte. Je peux toujours expliquer que je t’ai demandé de rester ici.

Lorelai fit une moue boudeuse que n’aurait pas reniée une petite fille et rétorqua sur un ton du même acabit :

  • Mais j'ai pas envie de rester ici sans rien faire. J’m’ennuie quand t’es pas là… J’préfère venir avec toi !

L’agent poussa un soupir. Décidément, cette fille était têtue comme une mule. Mais c'était une des nombreuses raisons pour lesquelles il l'appréciait. Un léger sourire se forma sur son visage alors qu'il vérifiait s’il avait ses clefs.

Une fois prêt, les deux compagnons sortirent de l’appartement et allèrent au parking pour prendre le véhicule de fonction qui les y attendait. Ronan ne trouvait pas de véritable intérêt à avoir une voiture, et c'était son demi-frère qui l’avait poussé à en avoir une. Au final, le compromis qu’il avait imposé était que cette voiture appartiendrait à la section cinq, chose que son frère accepta à contre coeur. L’homme s'installa à la place du conducteur. D'un tour de clef, il démarra le moteur qu’il laissa chauffer quelques instants avant de prendre la route.

Avec un peu de chance, et au vu de l’heure matinale qu’il était, il n’y aurait pas grand monde sur le trajet et ils pourraient être rapidement au bureau de la section cinq.

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