9 - Cauchemar

7 minutes de lecture

La jeune femme ouvrit un œil, puis l’autre. Cela faisait combien de temps qu’elle dormait ainsi, à même le sol ? Quelques minutes ? Quelques heures ? Quelques jours ? La terre glaciale n’était pas agréable, et elle aurait mille fois préféré être dans son lit. Chez elle. Elle se releva lentement, faisant un effort surhumain pour tenir sur ses deux jambes. Elle avait un mal fou à rester debout. Et elle souffrait le martyr. Ses jambes tremblaient à chaque fois qu’elle mettait un pied devant l’autre, avançant doucement dans l’obscurité. Il faisait si sombre autour d’elle. Et là-bas, comme une promesse d’espoir, la lumière. Vive, qui lui brûlait presque la rétine. Mais la lumière était encore loin. La jeune femme avançait donc avec difficulté vers le rayon lumineux, tel un bateau s’approchant d’un phare, ou d’un papillon près d’une flamme. Il n’y avait aucun bruit. Elle entendait juste le son de sa propre respiration saccadée. Et les battements de son coeur qui tambourinait contre sa poitrine au point de lui faire mal.

De plus, elle ressentait un sentiment désagréable. Celui de la peur, palpable, qui se faisait un malin plaisir de la torturer. La peur de mourir. La peur de savoir ce qui était arrivé. A ses amis. A ses proches. Est-ce qu’ils étaient en sécurité quelque part ? Est-ce qu’ils étaient au moins encore vivants ? Elle n’avait aucune réponse à ses questions, et dans l’état dans lequel elle se trouvait, obtenir les réponses relevait du miracle.

Une quinte de toux lui fit cracher du sang. Encore. Bientôt elle n’en aurait plus une goutte s’il continuait à sortir de son corps ainsi. Ce corps trop faible qu’elle maudissait à cet instant. Ce corps qu’elle détestait, haïssait de toute son âme. Ce corps qui disparaîtrait bientôt si personne ne venait l’aider. Peut-être valait-il mieux qu’elle disparaisse ? Elle ne savait pas. Et qui pouvait le savoir de toute façon. Enfin, la lumière était toute proche. Elle tendit alors la main pour l’attraper, comme si elle allait disparaître pour toujours et…

Le bruit de la pluie cognant en rythme sur la vitre de la chambre l’avait réveillée. Elle avait ouvert un œil, puis l’autre, avant d'attraper le réveil sur la table de nuit. Sa vue floue distingua rapidement que qu’il faisait jour. Depuis combien de temps ? Plissant les yeux, elle déchiffra le réveil. Huit heures et demie. Lorelai grogna, puis se redressa lentement sur le lit.

La jeune femme sortit de la chambre, puis se dirigea vers la salle de bain. Elle referma la porte derrière elle et appuya sur l'interrupteur. La pièce s’illumina, agressant ses rétines qui n'étaient pas habituées à la lumière. Lorelai soupira un grand coup, puis se mit face au lavabo. Ce dernier était surmonté d’un miroir, et lorsqu’elle plongea son regard dans le sien, elle se figea un instant. Elle ne se reconnaissait pas. Ce n'était pas elle. Et la voix de Lorelai résonna faiblement dans la pièce.

  • Qui es-tu ?

Aucune réponse. Le reflet du miroir lui renvoyait sa propre image, silencieuse, alors qu’elle aurait voulu savoir. Alors qu’elle voulait comprendre. Alors qu’elle cherchait à reconnaître cette personne inconnue qui lui faisait face. Elle répéta doucement sur le même ton.

  • Qui es-tu ?

Le reflet ne bougea pas, se contentant de la fixer sans rien ajouter de plus. Lorelai leva la main, touchant sa joue du bout des doigts. Elle existait. Elle était vivante. Mais elle ne savait pas qui elle était. Elle ne se souvenait pas. Sa mémoire lui faisait défaut. Pas de nom. Pas de souvenirs. Le vide. Le néant. Quelques bribes la hantaient de temps à autre, mais rien de concret. Rien qui pouvait lui permettre de se rappeler de son passé. De ce qu’il y avait avant Lorelai. De ce qu’il y avait avant qu’on ne l'appelle ainsi. De ce qu’il y avait avant. Avant. La jeune femme ferma les yeux quelques secondes, puis inspira profondément. Une fois. Deux fois. Trois fois. Et lorsqu’elle les rouvrit à nouveau, elle avait toujours la même sensation. Celle de ne pas être elle-même. Celle de ne pas se reconnaître. Celle d’avoir l’impression de vivre avec une inconnue. Et que cette inconnue, c’était elle même.

  • Qui suis-je ?

C’était la question qui revenait sans cesse. Question à laquelle elle désespérait de trouver une réponse. Sa vie avait commencé, dans sa mémoire, il y a quelques années. Une fois échappée de cet endroit, blanc, à l’odeur désagréable, et rempli de flammes et de personnes qui hurlaient. Mais avant ça, elle ne savait pas. Il n’y avait qu’un néant sans fin, un immense trou noir, vide. Vide. De temps à autre elle avait un sursaut, quelques flashes qui lui revenaient, des sensations, une présence familière.

  • Tu es encore à mes côtés. Mais qui es-tu ? Qui es-tu ?

Elle n’avait pas de réponse. Elle n’aurait pas de réponses. Car à chaque fois qu’elle tendait les mains vers les souvenirs, ils s’évanouissaient pour disparaître. C’était un jeu cruel qu’elle avait accepté à contrecœur. Chaque parcelle, chaque bribe qui faisait d’elle ce qu’elle était, se dissipait au fur et à mesure, la laissant dans un flou de plus en plus présent. Aujourd’hui, elle était Lorelai. Une jeune femme un peu perdue dans un monde qui n’était pas vraiment le sien. Mais la veille, elle était qui ? Elle avait été qui ?

Les jours passaient au fur et à mesure, sans lui laisser le temps de reprendre son souffle. La condamnant à continuer sur cette voie. La voix de l’ignorance. Elle vivait dans un monde cruel et sans merci. Mais elle ne le voyait pas forcément ainsi. Ses yeux ne le voyaient pas comme ça. Elle le voyait autrement, d’une façon qui l’arrangeait. D’une façon qui faisait qu’elle ne pensait pas au reste. D’une façon qui lui permettait de survivre. Un monde de sa propre conception.

Sa main tremblante se posa sur son reflet dans le miroir. Froid, presque glacial. Elle glissa doucement, laissant une trace derrière elle. Le miroir se souviendrait, jusqu’à ce que quelqu’un vienne le nettoyer. Lorelai poussa un soupir à fendre l’âme. Est ce qu’elle, son véritable moi passé, avait laissé une trace de son passage quelque part dans ce monde ? Ou auprès de quelqu’un ? Et de toute façon, si c’était le cas, par où faudrait-il qu’elle commence à chercher ? La jeune femme secoua doucement la tête. C’était mission impossible. A moins d’un miracle, jamais elle ne retrouverait ce qu’elle avait perdu. Jamais. Et peut-être que c’était mieux ainsi…

  • Qui suis-je ?

Elle s’imaginait, dans un autre monde, mariée, avec des enfants, vivant une vie paisible et sans histoires. Ou alors marchant simplement dans les rues, parlant avec des amis. Profitant de la vie. Vivre.

  • Est-ce que tu m’as laissé quelque chose ?

Son regard se posa rapidement sur ses bras. De multiples cicatrices s’y trouvaient. Vestige d’un temps où elle n’était qu’un cobaye qui n’avait qu’un simple numéro comme nom. C’étaient les seules choses qui lui restaient. Les seules choses qu’ELLE lui avait laissées. Des cicatrices. Pas de nom. Pas de souvenirs. Juste des cicatrices. Et une douleur qui n’existait pas. Une douleur fantôme. L’une de ces choses qui vous serrait le coeur, le broyant au fur et à mesure que le temps passe. Mais qui ne laissait pas de traces visibles...

Lorelai soupira de nouveau. Elle se passa rapidement un coup d’eau fraîche sur le visage. Pour éloigner les cauchemars. Pour éloigner les souvenirs désagréables. Pour éloigner ce qui lui faisait peur. Car elle avait peur. Peur de comprendre. Peur de savoir. Peur d’être déçue de ce qu’elle était réellement. Et surtout, peur de perdre Ronan si jamais… Si jamais…

La jeune femme prit une grande inspiration, s’essuya rapidement, puis sortit de la pièce d’eau. Son regard se porta sur la pendule accrochée au mur. Huit heure quarante. La nuit avait disparu. Et Lorelai aurait voulu disparaître avec. Bien entendu, elle pouvait disparaître. Elle pouvait simplement ouvrir la fenêtre en grand et se jeter au dehors. Après une courte chute, son corps finirait écrasé sur l'asphalte. Et ce serait terminé. Mais une petite voix en elle, l’en empêchait. Une petite voix, à peine audible, mais assez forte pour se faire entendre. Une petite voix qui lui murmurait qu’elle avait encore des choses à faire, et qu’elle ne devait pas se laisser aller aussi facilement.

  • Repose-toi.

Alors elle fit ce que lui disait cette voix. Elle retourna dans la chambre, aussi discrètement qu’elle en était sorti, puis se réinstalla confortablement sous les draps, encore chaud, du lit. Ses yeux se fermèrent une fois, puis elle repartit se perdre aux pays des songes. Pour se reposer.

Ronan avait entendu sa comparse se lever, et n’avait pas compris pourquoi cette dernière n’était pas venue prendre son petit déjeuner comme d’habitude. Quittant la cuisine où il se trouvait, il se dirigea dans la chambre, pour retrouver la Nu-man au fond du lit. Un léger sourire illumina son visage lorsqu’il comprit qu’elle s’était rendormie. Peut-être que la journée de la veille avait été trop riche en émotion pour elle ? La mission à risque, le passage au bar puis la soirée galipettes avait dû l'achever de fatigue. Sans compter ce cauchemar récurrent qui venait hanter ses rêves un peu trop souvent. Le jeune homme s’installa sur le bord du lit, observant Lorelai sans faire de bruit. Elle était adorable. Ronan ne put s’empêcher de lui caresser doucement la tête, avant de s’amuser avec une mèche de ses cheveux à la couleur si particulière. Son regard se posa ensuite sur le réveil. Cela lui coûtait, mais il faudrait bien qu’elle se réveille à un moment donné. Il décida de lui laisser jusqu’à neuf heure et demie avant de s’allonger à ses côté. Un peu de repos, même très court, lui ferait le plus grand bien à lui aussi.

Annotations

Vous aimez lire Elizabeth Fendel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0