13 - Mauvais pressentiment

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Eva s’était mise sur son trente et un pour ce soir. Car la soirée allait être inédite dans l’histoire d’Equinox et de la cité de Solstice, et resterait gravée dans les mémoires comme étant le bicentenaire du grand projet. La nu-man se trouvait donc à l’Améthyste, suivant son supérieur comme son ombre. Car le gouverneur lui avait demandé de venir et de rester avec lui. Après tout, elle l’avait aidé à écrire le discours qu’il allait prononcer ce soir, et cela aurait été injuste de la laisser sur le banc de touche pendant qu’il récoltait tous les lauriers. Eva se trouvait donc aux côtés du gouverneur, habillée d’une jolie robe noire et très longue, qui mettait en avant ses formes avantageuses. Elle ne cherchait pas à attirer l’attention contrairement à bon nombre de femmes se trouvant dans les parages, et elle jeta un coup d’œil hâtif en direction de sa propriétaire qui se trouvait non loin de là.

Karen Weiss avait horreur de la foule. Elle avait aussi horreur du bruit. La chef de la section cinq n’avait donc aucune raison de se trouver ici, et pourtant, elle avait décidé de faire un effort et de se déplacer. Pour rejoindre ses collègues qui auraient trouvés cela étrange qu’elle ne vienne pas, mais aussi pour garder un œil sur Eva. Pas qu’elle ne faisait pas confiance à cette dernière, mais elle ne voulait pas qu’il lui arrive une bricole. La femme aux cheveux blancs sirotait un verre de vin, non loin de l’attroupement qui s’était formé autour du gouverneur.

Entouré de ses gardes du corps, Morgan avait du mal à avancer sans être arrêter tous les cinq mètres par des gens qui lui posaient des questions, qui voulaient discuter ou simplement lui serrer la main. C’était fatiguant. Pour le moment, il voulait juste rejoindre la grande salle où se tiendrait le dîner puis le discours qui ouvrirait les festivités. Ronan lui avait dit qu’il viendrait, mais il ne l’avait toujours pas vu. Il espérait pouvoir boire un verre avec lui ce soir, entre hommes. Mais vu comment la soirée était partie, ce serait sans aucun doutes bien compliqué pour lui de trouver quelques minutes où il ne serait pas assaillit par des inconnus.

Ronan, de son côté, regarda sa montre pour vérifier l’heure. Il se leva de la table de jeu, tendant son bras à sa compagne.

  • Si mademoiselle veut bien me suivre, le repas va bientôt commencer, et ce serait dommage de le rater vu que nous y sommes invités.

Lorelai étouffa un rire avant de prendre le bras de son amant en se levant à son tour.

  • C’est pas faux. Et puis, j’ai une de ces faims ! Je pourrai dévorer n’importe quoi !
  • Tu manges beaucoup ces derniers temps… Tu vas finir par prendre du poids si ça continue.

La jeune femme lui fit une moue boudeuse que n’aurait pas reniée une enfant.

  • Prendre du poids ! C’est pas un ou deux kilos en plus qui vont me faire du mal ! Si ?
  • Un ou deux, non, mais plus…

Ronan laissa sa phrase en suspens pendant un instant avant de la conclure.

  • … quoi que plus, ça ne me dérangerait pas tant que ça. Je pourrais mieux attraper tes hanches, si tu vois ce que je veux dire…

Il tourna son visage vers celui de Lorelai en faisant un petit clin d’œil amusé en la voyant devenir rouge comme une pivoine. Cette dernière ne savait plus où se mettre, balbutiant sans grande conviction :

  • Je… Hmm… Tout le monde… peut t’entendre…
  • Bah… Leur avis m’importe peu.

La salle où allait avoir lieu les festivités était immense, et il fallait montrer patte blanche pour pouvoir y entrer. Heureusement pour le duo, ils avaient des cartons d’invitations VIP, ce qui fait qu’ils n’eurent aucuns problèmes, contrairement à d’autres qui furent recalés aussi sec. Le couple fut installé à une petite table où ils furent rapidement servis en boisson, le temps que tous les convives prennent place.

Pour loin dans la grande salle, le gouverneur avait finalement pris place à une grande tablée, Eva à ses côtés. Il y avait d’autres personnes, plus ou moins proches de Morgan, qui discutaient de tout et de rien. Une voix interpella le jeune homme.

  • Eh bien monsieur le gouverneur, j’espère que vous n’avez pas le trac.

Morgan se tourna vers Arthur Casey. Il avait eu un rendez-vous la veille avec cet homme, dirigeant de la firme Elegia, un homme mûr, avec quelques mèches de cheveux blanc et un regard bleu indéfinissable. C’était ce qui avait mis Morgan un peu mal à l’aise hier.

  • Le trac ? Non, non… Tout va bien. Pour le moment en tout cas.

Le gouverneur se saisit de son verre de vin qu’il porta à sa bouche, buvant quelques gorgées de la boisson. Il n’aimait pas l’alcool en général, mais appréciait le vin. Et quelques verres n’allaient pas lui faire de mal. Son interlocuteur lui fit un large sourire, dévoilant des dents blanches impeccablement entretenues.

  • Tant mieux, tant mieux… Vous aviez l’air tellement tendu hier que j’ai cru que vous alliez faire un malaise.
  • Vous m’avez trouvé tendu ? Vraiment ?

C’est vrai, en y repensant, Morgan avait eu un peu de mal à garder sa contenance devant cet homme. Mais il fallait le comprendre : ce n’était pas tous les jours qu’on rencontrait Arthur casez, le grand dirigeant de la société Elegia. La firme s’occupait de beaucoup de choses sur Equinox. Tout d’abord de l’entretien des BioLab et de leurs machines, puis de la retraite bien mérité des nu-man considérés comme « inutiles » à la société car trop vieux ou trop blessés pour continuer à travailler. Les propriétaires venaient les déposer dans des centres spécialisés où ils vivaient jusqu’à ce que la mort vienne les récupérer. Et enfin, la société Elegia s’occupait d’un projet qui permettait aux familles modeste de pouvoir manger à leur faim. Leurs pains de viande artificielle s’écoulaient facilement auprès de la population.

La voix d’Arthur le sortit de ses pensées.

  • Oui, très tendu. Vous n’y avez peut-être pas fait attention, mais j’avais l’impression d’être un maître et que j’attendais la leçon de l’élève récitée au mot prêt sous peine de punition.

A peine termina-t-il sa phrase qu’il éclata de rire, alors que le gouverneur se sentait plus gêné qu’autre chose. Il allait ouvrir la bouche pour parler, mais les serveurs commençaient à servir les entrées. Le jeune homme laissa tomber, préférant alors se concentrer sur la nourriture. Il allait avoir besoin de prendre des forces avec ce qui l’attendait plus tard dans la soirée. Morgan avait l’habitude de faire des discours, mais c’était toujours un grand moment de stresse intense.

Lorelai s’était jetée sur son entrée, sous les yeux ronds de son compagnon. L’assiette avait l’air appétissante, certes, mais la nu-man ne prenait clairement pas de gants pour manger. Pour elle, c’était comme à la maison. Les règles de savoir-vivre lui étaient étrangères, et Ronan s’étouffa presque en contenant ses rires quand elle se démena pour décortiquer ses crevettes avec les doigts, n’hésitant pas à salir la nappe blanche et immaculée d’une sauce écarlate.

  • On dirait une gamine qui ne sait pas manger.
  • Peut-être, mais c’est chiant aussi… Quelle idée de servir des crevettes non décortiquée ! Et après tu vas me dire que c’est un restaurant huppé ou un truc du genre.

Elle avala goulument sa crevette avant de s’en attaquer à une autre sous le regard amusé de l’agent. Ce dernier faisait tourner son vin dans son verre, se concentrant sur ses pensées.

  • Après le repas, Morgan va faire son discours et après ce sera la fête. Un concert est prévu, tu veux rester pour y assister ?

Lorelai secoua la tête négativement. La bouche pleine, elle avala avec difficulté avant de répondre à son interlocuteur.

  • Nan, j’suis pas intéressée. Après, on va aller dans notre chambre, et tu vas me payer c’que tu m’dois…

Elle plissa les yeux, fixant son amant du regard, avant de finir sa phrase :

  • … avec ton corps.

Un léger sourire sournois apparu sur le visage de Ronan, alors que ses yeux ne quittèrent pas ceux de sa comparse. Il acquiesça alors d’un simple signe de tête.

  • Ce programme me va. Alors faisons comme ça.

Il porta le verre à sa bouche pour avaler quelques gorgées de vin. Ca ne valait pas un bon Martini à ces yeux, car il n’était pas féru de vins. Il lança un regard autour de lui. La salle était pleine, et on commençait à débarrasser les entrées pour servir les plats. Ronan ne put s’empêcher de jeter un petit coup d’œil à la table où se trouvait son frère. Ce dernier avait l’air d’être en forme. Ils s’étaient vus la veille, mais ça lui semblait une éternité.

Karen se trouvait à une autre tablée, avec ses collègues des sections cinq et trois. Elle surveillait la salle, lançant des regards partout. Elle avait un très mauvais pressentiment et ne savait pas vraiment pourquoi. L’Améthyste était sous étroite surveillance ce soir, et il ne pouvait rien arriver de grave. C’est ce qu’elle essayait de se dire, mais… Quelque chose n’allait pas. Ses doigts frappaient la table en rythme, de façon mécanique. Ishikawa l’avait remarqué, assis en face de la femme aux cheveux blancs. Il demanda à cette dernière, sur un ton légèrement inquiet :

  • Quelque chose ne va pas Madame Weiss.
  • Je ne sais pas. Tout à l’air d’aller bien, mais j’ai l’impression désagréable qu’il y a quelque chose qui cloche.
  • Pourtant, il y a des policiers à tous les coins du bâtiment, sans compter ceux qui sont en civils. C’est une soirée sous haute surveillance, ce serait suicidaire de tenter quelque chose.
  • Suicidaire…

Elle avait répété ce mot comme si il s’agissait d’une malédiction. Karen espérait juste que ses mauvaises impressions ne deviennent pas réalité et que la soirée continuerait à bien se passer.

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