One dollar, baby
Ma canette de Bud finit sur le comptoir lorsqu’une brune incendiaire franchit la porte du Roy’s.
Je ne vois qu’elle dans le nuage de poussière de son sillage. Elle s’avance vers le comptoir. Ses grands bleus, délavés par la fatigue, n’implorent qu’une chose, du café. Elle s’assied, commande un truc dégueu, mais je crois qu’elle ne le sait pas. Je n’ai pas entendu ce qu’elle disait à la serveuse, mais Lily Rose a fait une drôle de bobine. Son kawa arrive. Elle le porte à ses lèvres, fait une grimace. Je lui parle.
– Not very good coffee here, is it?
Elle ne me répond pas, m’ignore… tant pis.
– Maybe another time then, dis-je.
Les yeux bleus se tournent enfin vers moi. Je tente ma chance.
– My name is Marsh, nice to meet you.
Je crois qu’elle ne comprend pas. Elle hausse les épaules, se lève, puis se dirige vers le juke-box. Elle fouille dans une poche, en extrait une pièce, tire la gueule. Je me doute qu’elle n’a pas la monnaie nécessaire. Avant qu’elle n’arrive au comptoir, je lui envoie avec le pouce le bon diamètre. La pièce tournoie, elle l’attrape au vol.
– One dollar, baby.
Les yeux bleus clignent en sourire.
Le juke-box pleure en grésillement un vieux rockabilly des fifties. La brune se recule d’un pas, esquisse quelques pas de danse. Moi, la musique me propulse trois jours en arrière, à Bluff, dans l’Utah.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai pas résisté.
Je sortais du Cadillac Ranch où j’avais passé la nuit. Une putain de nuit dans la benne de mon Ram. J’avais pas fermé l’œil à mirer les étoiles d’un ciel parfait. Le genre de spectacle qui te fait aimer la vie et qui te réconcilie avec les casseroles que tu traînes au derche.
Shauna, la patronne, m’avait préparé un café à réveiller les morts et fait griller des tranches de bacon. En partant, je lui avais claqué une bise sur une joue, elle m’avait répondu en me mettant la main au cul. Une chaudasse cette Shauna, mais je ne pouvais pas rester, je devais rallier L A et il ne me restait que deux jours pour y arriver. Un job de laveur de bagnole m’y attendait.
En face du Cadillac Ranch, il y avait une banque… et un truck marqué aux initiales « BOU », Bank Of Utah. La porte arrière du camion était ouverte et personne ne surveillait.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai pas résisté.
J’ai garé la caisse à côté du camion et je me suis servi. Un sac remplit de billets verts de 500 dollars.
Depuis, je suis en cavale, et hier, je suis arrivé au Roy’s.
Les yeux bleus revient s’asseoir au bar, elle se jette une dose de café, refait une grimace puis se tourne vers moi.
– Merci pour la pièce, dit-elle.
Mince, elle est française.
– De rien, je réponds.
– Mais vous parlez ma langue.
– Yep, je suis originaire du Sud-Ouest.
– Excusez-moi pour tout à l’heure, mais je n’ai pas compris ce que vous me disiez. Je croyais…
– Que j’étais un local.
Elle fait oui de la tête. Ses cheveux ondulent.
– Bon, je vais reprendre la route, reprend-elle.
– Vous allez où comme ça ?
– Partout, et nulle part. Je n’ai pas de destination précise, et du temps devant moi.
– C’est cool. Ben, bonne route, dis-je un peu désolé. Peut-être qu’on se reverra on the road ?
– Maye bee, qu’elle répond en riant.
Les yeux bleus n’a pas touché à son assiette de fayots, ni fini son kawa dégueu. Elle est sortie, et j’en ai fait de même. Moi non plus je ne sais pas où je vais, mais j’y vais… ou pas.
Je grimpe dans mon Ram, puis tourne la clé de contact… rien. Le moteur ne démarre pas. Je vais pour descendre quand une bagnole de flic, dans un nuage de sable, se gare devant le Roy’s. Je m’aplatis sur les sièges, essaye de lancer le moteur. Que dalle, il ne veut rien savoir. Merde, ça pue. Les poulets ne vont pas mettre huit jours pour me dénicher… Je suis cuit. Mais je ne vais pas me laisser attraper comme ça, le désert est grand. Je prends mon sac, ouvre la portière pour me tirer, lorsqu’un camping-car immense manque de m’écraser les pieds. La porte latérale s’ouvre. Yeux bleus se tient dans l’embrasure. Elle m’adresse un signe de la main, je m’engouffre à l’intérieur.
– Vers où va-t-on ? demande-t-elle.
– File sur la 66 plein Est. Dans dix bornes tu prends à gauche sur la Kelbaker Road.
La bestiole démarre, yeux bleus ne fait qu’une avec elle.
À l’arrière, je m’allonge sur le king size.
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