Tears in your blue eyes

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Je reste assis sur le king size pendant un long moment. Ça cogite sous ce qui me sert de cafetière. Je n’étais pas sûr de quoi que se soit, mais là, encore moins. Enfin non, y a un truc dont je suis sûr, c’est qu’il faut pas que je cherche Les Yeux Bleux. Cette nana a du répondant. En un coup, elle m’a retourné comme une crêpe et m’a propulsé sur le lit. J’ai cru qu’elle allait me violer.
Mais non, pas de bol !
Elle m’a mis en garde. J’ai intérêt à ne plus sortir le matos en sa présence, j’voudrais pas recevoir un 38 fillette dans le bas-ventre. Rien que d’y penser, j’ai…
En voyant son flingue au Bellagio, j’ai compris tout de suite. Mon ange n’est là que pour m’envoyer au ciel. Remarque, pour un ange…
Et puis j’trouve bizarre qu’elle m’ait balancé ce qu’elle faisait comme ça. Ouais, je suis une killeuse. Prends ça dans les ratiches, Marsh. Je me demande si c’est du lard ou du cochon.
À quoi elle joue, elle croit que je suis assez fada pour attendre qu’elle me colle une bastos ?
Peut-être… adieu chienne de vie. Tchao baby, content de t’avoir connue.

Je vais pour me lever lorsqu’un autre truc me revient en mémoire. Elle m’a dit qu’elle était corse. Du coup, je me rassieds.
Qu’est-ce qu’elles ont toutes ces Corses à me courser ?
Je me tire à l’autre bout du monde pour en quitter une et une autre apparaît pour me flinguer ! Faut avouer que c’est pas d’chance. Mouais, mais je la plains quand même, perdre son père dans un règlement de compte… Ça me fout les tripes à l’envers.
Je la vois qui me regarde dans le rétro central. Elle doit réfléchir à une autre solution pour me refroidir. Mais là, elle est coincée, elle conduit. Pourtant, son regard est bizarre, comme si elle s’en voulait de son geste de tout à l’heure. Ou alors, elle regrette de ne pas m’avoir roulé une pelle. Nos lèvres étaient si proches.
Humm, me revoilà à mon point de départ, je ne suis sûr de rien.

Je me lève, prépare deux autres cafés. J’adore cette odeur, elle emplit la bestiole, me réveille… me donne une intuition.
Je pose son kawa dans le porte gobelet et m’installe sur le siège passager. On passe sur le pont enjambant le Colorado. Sur la gauche, se déploie le Hoover Dam, un monstre de béton qui retient le lac Mead. Le niveau d’eau est si bas qu’on ne le voit presque plus. Quelle tristesse.
– Le Mead est vide, je lui dis.
Elle ne répond pas, attrape son café puis boit une gorgée.
– C’est triste, finit-elle par dire. On passe en Arizona, regarde, un panneau pour le Grand Canyon.
– T’as envie d’aller le voir ?
– Tu crois que je suis là pour faire du tourisme ? qu’elle me balance.
– Non, t’es là pour me descendre après m’avoir fait baver.
– Écoute Marsh, pour moi t’es qu’un numéro, rien de plus, alors n’en rajoute pas.
Elle dit ça et tourne la tête à mon opposé. Je la sens tiraillée, perdue… un truc tourne pas rond. Deux paumés dans un van sur une route américaine en plein désert de l’Arizona. Destination inconnue. Tout droit vers le néant, avec certainement un type aux crocs dorés à nos trousses.
Merde, pour le coup, moi aussi j’ai un coup de blues.

– Tu sais Les Yeux Bleus, je connais le type qui a engagé ton agence. Il a raison, je vaux pas grand-chose, même pas un dollar. Tout juste un morceau de plomb. Mouais… Pour tout te dire, j’ai laissé tomber sa fille qui était raide dingue de moi. Elle voulait m’épouser, mais moi j’ai eu la trouille. Elle était corse elle aussi, belle comme tout. Mon refus l’a brisée. Pourtant, elle savait quel genre de type j’étais et ce que je faisais pour gagner ma croûte. Mais voilà, l’amour ça ne se commande pas sur internet. Elle a fini par en parler à son père, un caïd de l’île. Une vraie saloperie ce type, il voulait me faire la peau parce que j’avais tringl… fait l’amour à sa fille. Mais merde, elle me payait pour ça ! J’me suis barré pour lui échapper. Ça n’a pas été facile de filer entre les doigts de Tony les bras longs.
Les Yeux Bleus tourne la tête d’un coup dans ma direction. Elle me regarde un instant, puis fixe le ruban d’asphalte. Je vois une larme qui coule sur sa joue. Un reflet outremer la colore.

Je savais que mon intuition était la bonne.

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