Tombée dans les clichés

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Tout avait commencé le 2 septembre 2009, jour de la rentrée en seconde. Sa nouvelle classe grimpait les escaliers pour la toute première fois ensemble. Moment solennel : chacun se scrutait, nouant alliances et rivalités pour l’année.

« Tu viens de quel collège ? » lui avait demandé sa voisine de marche. En apprenant qu’elle habitait la campagne, celle-ci avait ri puis aussi rapporté l’info en ricanant à ses ami·e·s. Un grand blond avait enchainé : « Et tes parents, ils font quoi ? » La réponse avait déclenché l’hilarité générale du groupe. « Tu t’appelles Jennifer et ta mère est coiffeuse ? C’est tellement cliché ! »

Elle n’avait jamais oublié ces paroles. Même si elle avait réussi à faire abstraction de ce groupe nauséabond pendant toute l’année scolaire, elle était maintenant la proie d’une peur nouvelle. Elle avait donc décidé d’échapper à tous les clichés, jeté ses posters de Lorie et ses créoles à la poubelle. Elle s’était inscrite au foot pour montrer qu’elle n’était pas une fille comme les autres mais, très vite, on l’avait reléguée au rôle de mascotte du club. Elle n’avait pas suivi la voie de sa mère et avait fait des études de gestion. Résultat : elle l’aidait désormais à gérer le salon.

Alors, ce soir-là, Jennifer n’avait pas trop le moral. Elle avait l’impression que quoi qu’elle fasse elle ne pourrait fuir son destin, celui fixé par son prénom, ses origines, son genre. Son amie Florence lui demanda de retourner au comptoir car elle avait soif (et aussi un peu marre de ses jérémiades). En s’approchant du barman, elle ne vit pas le jeune homme qui s’avançait en sens inverse. La suite, vous la connaissez : l’alcool renversé sur son chemisier, le jeune homme bafouillant des excuses tout en l’éblouissant de son charme irrésistible, le nettoyage sensuel du vêtement et l’invitation à le rejoindre à sa table. Comme vous l’imaginez, le soleil se couchait et le visage de l’inconnu était moiré de rayons orangés.

Coup de foudre, amour au premier regard : Jennifer était déjà folle de lui. Elle sentait le désir monter en elle jusqu’à ce qu’une brusque révélation vint stopper son enthousiasme. Leur rencontre ? Beaucoup trop cliché ! Elle le quitta en panique : elle ne pouvait tout de même pas fricoter avec un type rencontré ainsi ! Que répondrait-elle quand on lui demanderait comment iels-se sont connu·e·s ? Elle aurait trop honte de dire la vérité mais en même temps détestait mentir. Le plus simple était de ne pas le revoir. Malheureusement, elle lui avait déjà donné son numéro.

Il envoya quelques messages dans les jours qui suivirent : il prenait des nouvelles, l’invitait à sortir quelque part… Elle déclina poliment puis fit la morte. Cependant, elle ne pouvait pas l’ignorer quand elle le croisait et ça arrivait très souvent. Il se trouvait être le beau-frère de son amie Florence, faisait ses courses au même endroit qu’elle et se faisait coiffer par sa mère. À chaque fois, elle le saluait d’un simple signe de la main et se carapatait.

Elle hésitait de plus en plus à sortir mais se dit qu’un déjeuner chez Florence n’était pas très risqué. Évidemment, à son arrivée, elle découvrit que c’était un piège : Florence était accompagnée de son copain, lui-même accompagné de son frère c’est-à-dire le charmant jeune homme qu’elle s’acharnait à éviter. Jennifer attira son amie dans sa chambre pour lui demander des explications. Comment pouvait-elle lui faire ça alors qu’elle connaissait sa quête d’originalité ? Cela faisait des semaines qu’elle s’empêchait de tomber dans les bras de ce gars et dans les clichés par la même occasion.

« C’est pas moi qui l’ai invité, c’est lui qui s’est incrusté ! »

En le questionnant à table, elle découvrit que non seulement c’était la vérité mais aussi que rien n’était spontané dans leur relation. Il avait vu Jennifer sur une photo de son frère et s’était aussitôt mis en chasse. Il l’avait suivie le soir de leur rencontre et avait minuté avec précision le moment de l’impact. Lorsqu’elle avait cessé de répondre à ses messages, il l’avait espionnée pour savoir où elle travaillait, faisait ses courses et ainsi la croiser nonchalamment.

Jennifer fut rassurée : puisque leur rencontre n’était pas une de ces stupides coïncidences romantiques, elle n’avait rien à craindre...

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