20. La voix de la Geôle

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- Levira possèderait un pouvoir ?

Non mais je rêve ! C'est son frère et il n'en sait rien ?

Licana resta planté devant Sidoh Baskerville, hébétée. Ainsi personne n'avait eu vent des capacités de la jeune duchesse.

Va falloir qu'elle m'explique quelques petites choses, pensa la fille-dragon.

Sidoh essaya de la retenir, espérant obtenir des explications aux mystères qui flottaient sur le manoir Baskerville depuis quelques heures. Malheureusement ses efforts furent bien vains, ils ne parvinrent même pas à gagner ne serait-ce qu'un regard.

L'amie de sa sœur était bien étrange, il avait bien du mal à croire que la jeune femme qui se tenait devant lui était la petite fille qu'il avait vue dans les jardins durant son séjour au manoir. Elle avait l'air si sérieuse, Sidoh pouvait presque voir l'aura mystérieuse qui l'enveloppait.

Il savait bien que sa sœur ne devenait pas amie avec n'importe qui. Cette Licana Silverius était comme Le Hurlement, le signal de la fin d'une ère et le commencement d'une nouvelle...

Il espérait seulement que ce Hurlement ne précédait point le début d'une ère tragique...

Lord Vincent fit son entrée dans la chambre de Sidoh, manquant de rentrer dans Metalicana.

- Miss Silverius, fit-il calmement.
- Seigneur Vin...Baskerville ! bégaya la jeune fille.
- Père ? intervint Sidoh, visiblement surpris. Je te croyais au Consistorium !
- Justement, reprit instantanément le duc, tu dois venir avec moi ! La situation est plus que critique ! Voilà qu'on accuse Alphonse d'être l'instigateur de la Tragédie de Gjavyr et pour empirer le tout la duchesse Ackermann réfute cette théorie en assurant qu'en tant que seuls épargnés nous sommes les véritables coupables !

Licana resta là, plantée entre deux hommes qui conversaient affaire d'état alors qu'elle n'en avait strictement rien à faire. Elle se sentit bête et avait l'impression que si elle faisait ne serait-ce qu'un seul geste les deux nobles allaient la fixer du regard.

- Le Consistorium menace de s'effondrer et comme si les Dieux avaient décidé de me punir ma fille refuse de sortir de sa chambre ! désespéra le duc de Baskerville.

Sidoh se rappela de la remarque de Licana et ne put s'empêcher de faire la remarque à son père :

- En parlant de Levira, commença-t-il, n'as tu jamais eu vent de...certaines capacités à son égard ? Des pouvoirs ?

Le duc le regarda perplexe. Puis il sourit.

- Pas que je sache, Levira est humaine et non No Humano.

Licana fronça les sourcils, se demandant bien ce que pouvait bien cacher la duchesse pour que son propre père ignore ses capacités.

Mais quelque chose clochait...

- Vous en êtes sûr ? demanda-t-elle.

Le duc s'approcha d'elle et voyant sa mine perdue, lui prit la main chaleureusement avant de sourire.

- Je vous remercie de vous inquiéter pour ma fille, mais je vous assure qu'en dix-sept ans je n'ai jamais eu à remarquer quelconque pouvoir émanant d'elle.

Quelque chose n'allait pas...

«- Pourquoi portes-tu beaucoup de rouge ?
- Parce que c'est assorti à mes yeux !»

Licana sursauta.

Tel père telle fille.

Il mentait. C'était le même regard qu'avait sa fille ce jour là. En revanche il était certain que Sidoh n'avait pas été dans la confidence.

Metalicana réalisa alors que le seul moyen d'obtenir des réponses était de pousser le bouchon toujours plus loin.

- Pourtant je suis sûre de l'avoir vue, c'est vraiment bizarre...

Jouer les écervelées de nobles tout en laissant échapper quelques indices...Licana ne s'était pas imaginé devoir jouer une comédie aussi pitoyable. Elle qui préférait vider son sac d'une traite la voilà qui se prenait pour Levira.

- Je serai plutôt curieux de savoir ce que Levira vous a laissé voir pour que vous croyez en ses "pouvoirs", ria Vincent Baskerville.
- Oh ce doit n'être que ma paranoïa, gloussa la jeune fille à son tour. J'ai tendance à imaginer beaucoup de choses.

Elle salua les deux hommes et ouvrit la porte du bureau pour sortir. Ses doutes ne firent que se presser dans son esprit lorsqu'elle réalisa que le duc la guettait sortir de la pièce.

Elle s'arrêta à un pas de la sortie et se retourna l'air inquiet.

- En revanche je ne crois pas que je sois pas la seule touchée, fit-elle remarquer.

Le duc tendit l'oreille, intrigué.

- Comment cela ? demanda-t-il.
- Je ne sais pas vraiment mais Levira n'est pas très bien depuis un moment, commença Levira. Parfois elle semble effrayée pour rien et qui plus est...
- Qui plus est ? pressa-t-il.
- J'ai l'impression qu'hormis Kem...elle n'est pas seule dans sa tête...

Sidoh fixa la fille-dragon. Quant au duc, il ne laissa rien transparaître.

Metalicana grogna intérieurement.

Ils sont forts dans cette famille ! songea-t-elle.

Elle était vaincue. Elle rebroussa chemin quand soudainement elle entendit un bruit roque. Une respiration...

- C'est Scripta.

Ces mots étaient sortis de nulle part, tels des fantômes...

Licana observa plus attentivement le duc tourné vers son fils et malgré la discrétion de ce geste elle remarque qu'il se mordait l'intérieur de la lèvre. Ni Sidoh ni son père n'avait parlé...Alors d'où provenait cette voix ?

Ils n'étaient pas seuls...Metalicana regarda dans le couloir et confirma bien qu'il n'y avait personne. Mais une présence persistait dans la pièce. Une présence dérangeante...

- Qui est Scripta ?

Le silence s'abattit sur la pièce...silence rompu par la montre à gousset de Lord Baskerville qui tomba par terre...

Licana avait vu juste. Vincent avait été le seul à entendre la voix avec elle...

- Scripta ? dit-il. Ma foi, ce nom ne m'évoque rien ?

Il ne suait pas, il ne bégayait pas, il niait. Les Baskerville étaient-ils donc tous des menteurs d'exception ?

Licana s'excusa en balbutiant puis partit.

Scripta...ce nom résonnait dans sa tête plus que la cacophonie des bonnes riant pendant leur service.

Et ce fut dans cette même cacophonie qu'elle se souvint...

Vincent attendit un moment. Sidoh voyait bien que son père était inquiet, mais de quoi il ne sut dire. Son état d'esprit avait changé du tout au tout lorsque la jeune fille avait mentionné cette "Scripta".

C'était la première fois qu'il voyait son père défaillir ainsi.

- Concernant le Consistorium, tenta-t-il afin de détendre l'atmosphère, j'imagine que tu ne m'as pas tout dit.
- T'a-t-elle demandé autre chose ? interrogea Lord Baskerville.

Sidoh fixa son père inquiet.

- Lady Silverius ?
- Cette fille t'a-t-elle demandé autre chose ?! répéta Lord Vincent.
- N...Non, balbutia son fils. Rien d'autre.

Vincent Baskerville ne se détendit pas pour autant, au contraire il se raidit de plus belle. Il ne pouvait décrocher ses pensées de l'image de la jeune fille au cheveux d'argent.

- Papa ! Tu m'entends ?!

Le duc revint à l'instant présent, son fils l'appelant de vive voix.

- Qu'est-ce que tu as depuis avant ? questionna-t-il. Est-ce à cause d'elle ? Ça ne te ressemble pas de réagir ainsi ! Qu'est-ce qu'elle a bien pu faire pour que tu sois ainsi ?!
- Prends garde à cette fille !

Sidoh n'y comprenait strictement rien. Depuis sa nomination à la tête du clan les informations et les mystères surgissaient de toutes parts et s'entassaient dans son esprit sans trouver la moindre réponse. Cependant il voyait bien que cette fille était bien plus qu'étrange pour qu'elle puisse ébranler son père à ce point.

- Pourqu...
- Observe le moindre de ses gestes ! le coupa Vincent.
- Ma...
- Ne discute pas ! Méfies toi d'elle encore plus que les autres nobles !
- Mais pourquoi ?!

Son père ne le laissait pas placer le moindre mot. Celui-ci se massa la tempe et vérifia que personne ne se trouvait dans les parages. Il referma la porte sur eux et tourna la clé.

- Sidoh, dans moins d'un mois tu hériteras du Destructeur et ainsi tu deviendras réellement la tête pensante de notre famille !
- Je le sais bien !
- Parles-tu souvent avec cette Licana Silverius ?
- Oui, mais pourquoi cette question ?!
- Est-ce que tu l'aimes ?
- Pa...pardon ?! balbutia le jeune Sidoh.
- Éprouves-tu des sentiments à son égard ? insista Lord Vincent.
- Non !
- Dis-tu la vérité ?
- Bon sang ! Vas-tu enfin me dire ce que signifie tous ces mystères ?!

Les lignes du visage de son père se détendirent mais ses yeux conservaient tout de même ce sérieux terrifiant.

- La tête pensante ne peut se permettre de tout briser par amour, reprit-il.
- Je ne l'aime pas et même si c'était le cas, en quoi pourrait-elle dangereuse ?! C'est une bien piètre menteuse, quant à ses talents de comédiennes ils ne sont pas mieux !
- Pourtant elle vient de prouver le contraire, répliqua Lord Vincent calmement.
- Comment ça ?
- Elle savait que je...

Le duc s'arrêta dans sa lancée, il était coincé. Il aurait pu ne rien dire en laissant son fils dans l'ignorance du potentiel danger que représentait Licana Silverius. Mais c'était trop tard, il avait commencé il ne pouvait pas s'arrêter là ! Même si cela revenait à tout révéler.

- Elle savait que tu quoi ?! pressa Sidoh.
- Elle savait que je mentais, répondit Vincent.

Sidoh n'en croyait pas ses oreilles, le monde s'était-il donc décidé à le faire tourner fou ?

- Elle savait que je mentais à propos de Levira, continua l'homme, et elle a usé de malice pour me soutirer la vérité.
- Tu as menti ?! Levira a donc bien des pouvoirs ?! Mais c'est impossible ! Elle a un Mirage ! Toute son Énergie s'est "animée", elle ne peut pas utiliser de pouvoirs !

Le duc garda le silence, son fils apprenait qu'il lui mentait, que sa sœur qu'il connaissait depuis sa naissance avait des capacités qu'il ignorait et enfin que cette fille aux cheveux d'argent à qui il avait témoigner son rare respect pouvait être comme n'importe quel noble. Beaucoup de chose à avaler pour lui en seulement quelques secondes.

- Et qui plus est, continua Sidoh, tu n'as rien dit à Lady Silverius ! Alors pourquoi dis-tu qu'elle t'a extorqué la vérité ?!
- Lorsque tu auras hérité du Destructeur tu comprendras beaucoup de choses. Le fait que Levira ait des pouvoirs en plus d'un Mirage, que je te cache de nombreuses choses...et également le fait que personnes d'autres que moi ne devrait entendre le Destructeur.
- Entendre le Destructeur ?
- Prends garde à cette Licana Silverius ! Elle n'est pas comme les autres ! Elle a entendu la voix du Destructeur !
- Mais...
- Ne la prend pas à le légère ! Elle l'a entendu alors que seul le contractant en a le droit et le pouvoir ! Elle n'est pas hum- ! Elle n'est pas comme les autres.

Sidoh fixait son père qui commençait sérieusement à paniquer. À ce moment là une seule question lui vint en tête :

- Qui est Scripta ?

Vincent Baskerville se raidit de tout son long. Il aurait préféré ne jamais avoir à répondre. Mais il n'avait plus le choix. Après tout il aurait bien du le dire un jour ou l'autre.

- La plume des tragédies, Scripta...Clémentine Therann...c'est une créature de la Geôle...

Levira fixait le fond de la pièce, les yeux rougis par les larmes qui coulaient le long de ses joues.

La femme se tenant devant elle pleurait également, mais non de tristesse. Ses larmes, peu importe son humeur continuaient de couler, noires et inarrêtables. Pour ce jour et pour toujours.

La femme était emmitouflée dans du grossier tissu blanc presque jaunâtre saturé de caractères tracés à l'encre, ses cheveux étaient trempés du même liquide noirâtre coulant de ses yeux. Ses deux yeux puits de ténèbres fixaient la jeune duchesse.

Levira ne parvenait pas à supporter ce regard oppressant, ce regard qui la surveillait depuis tant d'années.

- Jusqu'à quand vas-tu rester ici ?

La voix de Scripta était emplie de reproches.

- Jusqu'à quand resteras-tu en moi ? interrogea Levira en tremblant, la voix secouée de sanglots.
- Jusqu'à ce que tu meurs.
- Vas t'en !

Scripta resta planté devant elle.

- Crois-tu que c'est en me rejetant que tu trouveras La Volonté d'Ymir ? cracha Scripta avec dédain.
- Ainsi c'est son nom...
- C'est ainsi que tout le monde l'appelle, par contre c'est toi qui iras lui demander son prénom.
- Je n'irai pas...

La jeune fille ramena ses genoux contre son front alors que Scripta la toisait d'un regard meurtrier.

- Alors comme ça tu abandonnes ?!

Silence.

- Après tout ça ? Tu laisses tout tomber ?

Silence.

- Et Metalicana ?! Tu crois qu'elle approuvera ?!
- Si elle veut retrouver ses souvenirs, elle le fera sans moi...
- Tout ça parce que tu m'as enfin appeler après tant d'années ?!

Silence.

- Pourquoi ai-je déraillé ce jour là, précisément ?

Les larmes recommençaient à couler le long de ses joues. Sa voix fut secouée. Elle n'en pouvait vraiment plus.

- J'ai...j'ai utilisé ton pouvoir tant...tant de fois...après le jour où...où j'ai tué cet homme...ce jour où je t'ai appelé pour la première fois...

Scripta écoutait. Elle savait qu'elle serait la seule à connaitre cette discussion. Tout allait se passer comme avant. Elle lui effacerait la mémoire et replongerait dans les abysses de son âme. C'était toujours comme ça.

- J'ai cru qu'en utilisant ce pouvoir au quotidien je pourrais accepter ce...ce que j'ai fait...que j'ai tué...ce pouvoir m'a donné Kem alors que...alors que je n'étais même pas sensé avoir de Mirage...ce pouvoir m'a donné un ami...j'ai cru que...que...que tu étais autre chose...autre chose qu'une machine à tuer !

Scripta ne broncha pas. Tuer ne lui avait jamais fait cet effet là, jamais elle n'avait perdu la raison...quoique dans un sens elle en avait perdu la raison. Les Autres n'étaient jamais sains d'esprit.

- Mais c'est impossible ! Peu importe le nombre de fois où je me suis servie de ce pouvoir ! Au final ces souvenirs m'ont retrouvé ! Il me harcèle ! Peu importe ce qu'il m'a donné ! Peu importe ce que tu m'as donné tu restes ce qui a causé mon malheur ! JE RESTE CELLE QUI A TUÉ ! TOUT ÇA N'ÉTAIT QU'UNE ILLUSION ! UNE ÉCHAPPATOIRE POUR OUBLIER CE QUE J'AI FAIT ! UN MASQUE POUR JUSTIFIER MON ACTE ! MÊME SI CE POUVOIR M'A DONNÉ LA JOIE C'EST À CAUSE DE LUI QUE JE DEVIENS FOLLE ! JE NE VEUX PAS DE CE POUVOIR ! J'EN AI ASSEZ DE VOIR LA MORT ! JE NE VEUX PLUS VOIR CE QUE J'AI FAIT !

Levira hurlait comme une folle, les yeux déformés par la douleur et les larmes, la voix brisée appelant une main inexistante pour la relever.

Scripta ne le niait pas. Ce don était fatal. C'était comme une épée à double tranchant. L'ennemi tombe aussi facilement qu'une mouche mais ce n'est que lorsque la lame se plante dans votre propre cœur que la douleur se fait sentir. Qu'il est simple de tomber sous le fer ennemi alors qu'il est si ardu de fléchir sous la douleur de sa propre lame...

C'était le prix à payer. Il y a toujours un prix à la puissance. Scripta en était consciente...sinon elle ne serait pas là, à voir une gamine pleurer alors qu'elle perdait confiance et raison.

- Qu'est-ce qui peut t'empêcher de vivre avec ce poids ? Ce n'est qu'un mort.
- Et ce ne sera pas le dernier !
- Un mort qui voulait ta peau tout comme ceux du Grand Recueil.
- Des hommes que j'ai massacré !
- Ils finiront dans la Geôle de toute manière ! Honnêtement, si tu avais laissé le passé tel qu'il était et ces fous morts tu leur aurait fait un énorme cadeau.
- J'ai tué !

Scripta commençait à perdre tout son calme. Elle n'était pas douée pour réconforter qui que ce soit.

- Et c'est pour une raison aussi mineure que tu vas tout laisser tomber ? Pour avoir réclamer le droit de vivre ?
- La seule issue de ce mystère c'est l'enfer ! Je le sens et le sais !
- Un enfer qu'il t'est possible de réécrire !
- VAS-T'EN !

Scripta ne disparut toujours pas.

La jeune fille hurlait sur la créature. Elle sanglotait, suppliait celle-ci de partir, de disparaître à tout jamais de sa vie. Mais la femme au larmes d'encre restait debout, au fond de la chambre, le visage irrité et froid.

La créature fit un pas en avant...puis un autre...puis un autre...silencieux...sans aucun bruit...

Elle fit face à la frêle silhouette recroquevillée, à quelques centimètres seulement.

Tu n'as pas le droit d'abandonner maintenant !

- Si tu veux me rejeter alors meurs !

La jeune duchesse osa enfin lever les yeux vers la créature. Scripta lui attrapa alors les joues et colla son front contre le sien.

- Ou alors continue et regarde !

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