23. Le Consistorium

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La Chouette dévorait chaque ligne du récit des faits, sceptique et suspicieux.

Un tel massacre ne peut se faire sans l’appui d’une personne extérieure, songea-t-il. Personne ne peut cacher une telle chose à Crya.

Son argument tenait debout, chaque duchés, chaque plaines, chaque villes, étaient surveillés. Les Délateurs fouillaient tous les recoins de ce pays, les Colporteurs d'Interdits étaient démasqués par dizaines chaque semaines, les criminels remplissaient les cellules. Si vraiment cette secte se terrait à Crya elle aurait déjà été découverte.

Cette affaire prenait une tournure des plus catastrophiques : un massacre orchestré par un fou et financé par un étranger haut placé brisait toutes lois diplomatiques.

Leonard Lars jeta un dernier coup d’œil au rapport du duc Resonuis avant de se pencher sur le cas de la délicieuse et autoritaire duchesse Ackerman…

- Le cas de la délicieuse Dahlia, susurra la seconde Chouette d’une voix suave.

Lars froissa la feuille de papier de rage et lança un regard noir à son collègue aux yeux noirs et pupilles blanches.

- Tu ne vas donc pas arrêter tes pitreries et te mettre au boulot, Weissnachte ?!! hurla l’homme à bout de nerf.

Weissnachte était assis un rapport à la main, si l’on pouvait définir sa position comme assise : le fauteuil était renversé à l'arrière alors que son propriétaire était dans une position assise dessus de telle manière que l’on aurait cru que la Chouette et son meuble avait changé de point gravitationnel.

Le jeune homme battait l’air de ses jambes tout en soupirant d’ennui.

- Mais je travaille Leo ! fit- il du manière faussement pleurnicharde. Je n’y peux rien si tu fantasmes à la simple vue de l'écriture de cette chère et tyrannique Dahlia.
- Je ne fantasme pas ! protesta la Chouette. Et tu es prié d'avoir un peu plus de respect pour Dame Ackermann.
- Bien que tu voudrais l'appeler par son prénom, ricana l’homme-enfant…et également qu’elle gémisse le tien…

Lars n’y tint plus se leva et d’un coup de main doté d’une force herculéenne, dénuda l’épaule de son collègue.

Weissnachte pâlit d’un seul coup et avant même qu’il ne puisse réagir Lars enfonça ses deux crocs dans sa chair.

Le jeune homme sentait son sang se dérober sous sa peau, la douleur était insupportable non pas à cause des crocs mais du poison aphrodisiaque qui déferlait dans ses veines depuis les crocs du Vampire qui lui paralysait déjà le bras en entier.

Lorsque Lars retira ses deux crocs il laissa tomber Weissnachte sur le sol et se rassit à son fauteuil l’air à nouveau serein.

- Lars ! Qu’est-ce que tu m’as fait là ?! paniqua Weissnachte.
- Tu es plutôt supposé avoir une bonne mémoire Jurian, déclara le Vampire calmement, une trainée de sang sur sa lèvre.
- Je sais très bien ce que tu viens de faire ! Mais là c’est quoi ?! Je peux plus bouger !
- Et moi je vais sûrement plus pouvoir manger après ça tellement ton sang est infecte.
- Mais fallait pas me mordre alors !
- Entre tes sarcasmes et toi qui ne fais rien - ce qui est le cas tout temps - je préfère me coltiner tout le boulot. D'ailleurs comment peux tu encore parler avec tout le venin que je t'ai transmis ?
- Mais t’as pas le droit ! geint Jurian. Tu peux pas utiliser tes crocs contre moi c’est interdit !
- Tout comme tu n’as pas le droit d’aller dans ma tête Youriann, fit le vampire d’une voix satisfaite et maligne qui faisait ressortir son accent.

Weissnachte détestait cette façon d'accentuer les consonances de son nom, cela lui rappelait le passé à l’Académie. Ses manières de « fillette » ainsi que la prononciation de son nom lui avait valu beaucoup de choses…dont une brimade qui l'avait vite changé en La Bête Noire des autres « oisillons ».

Il était vrai que le règlement…n’avait jamais été aimé par son caractère enjoué et gamin. Cependant il n’avait pas eu besoin de ses pouvoirs pour découvrir les sentiments de son ami pour la duchesse, sur ce sujet là l'alcool avait été plus rapide.

La porte s’ouvrit à l'étonnement du jeune homme paralysé et de l'encadrement apparut un jeune homme à la couleur de cacao. Il portait une tunique bleue nuit parsemée de lignes et points lumineux semblable à une véritable nuit étoilée. À son cou s’enroulait la longue écharpe des Archivistes. De longues cernes se dessinaient sous ses yeux tirés et sa gigantesque natte blanches renforçait encore plus cette aura épuisée.

Lars et Weissnachte lui adressèrent un bref regard avant de poursuivre leur éternelle chamaillerie. Le jeune homme jeta un œil par-dessus la pile de grimoires qui s'entassaient sur ses bras et aperçut Jurian par terre, incapable de bouger.

- Tu ne te relèves pas ? demanda-t-il.
- Ah c’est toi ? fit Lars.
- Je peux pas !! Lars m’a mordu et je peux plus bouger !!

L’Archiviste referma la porte d’une main fulgurante et se tourna vers la Chouette.

- Tu n’es pas bien ?! chuchota-t-il. Tu tiens tant que ça à ce que Lars finisse en cours martiale ?!
- Laisse, personne ne me jugera ou ne me dénoncera : ils ont trop peur de ce fou.
- D’ailleurs pourquoi l’as-tu mordu ?
- Cas de force majeur, décréta Lars.
- Divulgation d’informations jusqu’alors en rétention, rectifia Jurian vexé. Mais dis-moi, qu’est-ce qui t’amène ? C’est pas souvent que tu viens à notre rencontre.
- Pou…HUM…rien, fit l’Archiviste d’une voix rauque et enrouée.

Jurian fixa alors le tissu de l’écharpe, sachant parfaitement quel calvaire cela devait être de devoir la porter, de ne pas être libre de sa propre voix.

- Même pas pour lui ?

L’Archiviste roula les yeux au ciel en une grimace exaspérée.

- Il n’y a rien d'intéressant à savoir.

Weissnachte n’en prit pas compte et soupira intérieurement. La clochette à son bureau retentit et comme par miracle ses membres se remirent à fonctionner.

Il s’appuya sur le meuble et tenta de se tenir sur ses deux jambes encore engourdies…tentative qui se solda par un echec et le jeune homme atterrit sur le malheureux Archiviste qui se retrouva écrasé sous le poids des grimoires et de la Chouette.

- Désolé, bredouilla Jurian en se relevant péniblement.

L’Archiviste encore sonné se releva et observa le jeune homme boitant vers son étude dont il ouvrit un battant pour en observer le contenu.

Lars continuait de passer les rapports au peigne fin, mais il releva la tête vers son collègue de même que l’Archiviste aux cheveux blancs.

Jurian souriait. Ses yeux était plissés de malice et son rictus amusé remontait au coin de ses lèvres alors qu’il refermait son bureau.

Lars ne connaissait que trop bien Jurian Weissnachte, et si une chose était resté dans sa mémoire c’était qu’il ne fallait jamais le quitter des yeux une fois qu’il prenait l’air d’un adulte…surtout en un sourire…

- Lord Baskerville est revenu, déclara-t-il.

Sa voix était celle d’un véritable adulte, ses manies infantiles n’y paraissait plus.

- Accompagné d’une très jolie fiancée…étrangère…

Metalicana ne savait plus du tout où regarder. En bas, en haut, à gauche, à droite, au plafond, sur les murs, il y avait toujours quelque chose à voir peu importe où l’on tournait les yeux dans cette véritable ruche.

Sur le large pont où la fille-dragon tournait sur elle-même telle une poupée de boite à musique, les jupons colorés l’envahissaient de tous les côtés ainsi que les livrées élégantes des notables.

Les murs grouillaient d’hommes en tuniques noires qui y marchaient comme sur le sol. D’autres membres du Consistorium circulaient sur les ponts en gravité inversée, ou encore à la verticale sur des rampes joignant les différents étages.

Les murs étaient couverts de bureau, de bibliothèque et les bruits de plumes griffonnants sur le papier donnaient l’impression à la fille dragon d’avoir une véritable fourmilière dans les oreilles ( ce qui la décida à ne plus utiliser son ouïe bestiale ).

Le Consistorium était réalisé d’une façon très organisée, les seuls espaces où la gravité n'avait pas été altérée étaient réservé aux étrangers. Après tout, si le siège du gouvernement voulait fonctionner correctement il fallait bien installer des petits salons de thé, des jardins de fleurs et des gazons pour jouer au croquets afin de distraire tout les petits nobles totalement inutiles à l'organisation de tout ce petit monde. Les espaces pour les invités étaient somptueux et raffinés tandis que les quartiers de travails étaient sobres et élégants et peu importait le sens de la gravité tant que le travail était concluant.

- Miss Licana, appela Lisa sa robe de dame de chambre contrastant largement avec la tenue de réception de sa maîtresse.

Alors qu’elle avait cru devoir affronter ce voyage seule la fille-dragon fut bien contente de savoir la jolie domestique avec elle.

- Et tu me dis que cet endroit est minuscule ?!
- Ce n’est que le hall d'entrée milady, répondit la jeune jouvencelle.
- Un accueil de cette taille là ?!
- Ce n’est pas…vraiment un accueil, bredouilla Lisa surprise du terme insignifiant qu’avait utilisé la jeune « dame ». Le vestibule concentre la plupart des visiteurs quotidien. Ils y passent la journée et retourne à leur demeure.
- T’es en train de me dire que toute cette armée de froufrous ne fait partie que de ceux qui ne passe qu’une journée ici ? fit Licana sceptique.
- Peu de nobles sont autorisés à rester plusieurs jours ici, et il est très dur d’obtenir une autorisation de passage.
- C’est sûr qu’avec tout ce monde tous les jours...ça doit être sacrément compliqué.

Lisa fit la même moue mal convaincue que sa maîtresse.

- Ceci n’est que le hall d’entrée. Il y a encore les Cachots, la Carte Ronde, les quartiers de l’Inquisition, la Vieille Ville, les Ambassades ou même la légendaire Arène ! trépigna Lisa impatiente. C’est tout de même le cœur de notre cher Pays Perché.
- Une Arène ?
- Pardonnez-moi, reprit Lisa se souvenant de l’étrange incompréhension de certain mots de la jeune fille. C’est un grand cercle où des personnes se battent, pour la gloire ou encore d’autre raison Mlle.
- Des combats ? Je veux les voir !
- Mlle ! Nous devons d’abord rejoindre vos quartiers ! Le voyage en bateau vous a épuisée et puis vous ne pouvez pas restez dans cette tenue !
- Vas-y sans moi je te rejoindrai !
- Mais Miss !

Trop tard, l’écho de la voix de Lisa n’atteint pas les oreilles de Metalicana qui s’était déjà enfoncé dans la tempête colorée de la Haute Classe.

Tout était nouveau pour la fille-dragon, elle empruntait les Lignes Audacieuses comme un enfant courait dans les escaliers, changeant de gravité à chaque tournant.

Elle n’avait absolument aucune idée d’où elle allait et elle n’en avait que faire. Elle voulait tout voir de cet endroit, mais ce qui faisait palpiter son petit cœur était l’Arène, elle voulait voir d’autres combats.

Les hommes se débattant corps et âme pour gagner, pour sortir des ténèbres de la Geôle…

Ce souvenir survenu il y a une dizaine de jour avait réveillé en elle des sensations si longtemps enfouies, elle avait prit goût à maintes choses comme le maniement des armes ou encore le mensonge - qu’elle ne maîtrisait pas malgré tout.

Elle finit par arriver - Dieux savent comment - dans un large couloir sombre en pierre usée avec des arcades des tous les côtés, le couloir définissant une éternelle courbe Licana devina que le bâtiment était un énorme cercle. Elle coupa à travers une arcade pour se retrouver dans une autre couloir similaire, puis dans un autre la luminosité se faisant de plus en plus forte à chaque arcade traversée et se fut lorsque le soleil illumina son visage que le sable de l’Arène s’étendit sous yeux.

Le gigantesque cercle de pierre était pour ainsi dire désert, il arrivait à Licana d’apercevoir quelques personnes à travers les arcades de pierre ou dans les tribunes mais il ne s’agissait en aucun cas de nobles. Il n’y avait que des hommes en uniformes ou encore de grosses masses de nourriture géantes ( donc de mercure ) qui furent plutôt étonné de voir une jeune femme vêtue de soie et de parures.

Mais alors que le sable beige jaunâtre emplissait l’espace, la jeune fille remarqua une forme sombre contrastant avec la pierre des murs. Une lourde grille d’acier rouillée bloquait la seule issue permettant d’entrer et de sortir de l’aire de duel.

Une énorme grille cachant une zone d’ombre d’où sortit un long murmure venant titiller l’oreille du dragon Metalicana.

Metalicana affina tous ses sens. Quel était ce murmure ?

Elle se retourna, délaissa le murmure rauque derrière elle.

Un souvenir se trouvait dans ces boyaux sombres et humides…sinon pourquoi en aurait-elle peur ?


Le bulldog tremblait, les pattes brisées la douleur irradiant le corps de son humain agenouillé sur le sol, les mains ligotées dans le dos. Il avait mal. La douleur refusait de partir ou de diminuer. Ses jambes semblaient se déchirer à chaque respiration, sa gorge n’était plus qu’une vulgaire boule de chair dans une vierge de fer.

Il se souvenait parfaitement bien de ce qui lui était arrivé. Il ne l’oublierait jamais. Comment avait-ce pu lui arriver ?! À lui ?! Qu’est-ce qui avait dérapé ?

Il avait tout fait selon le plan de Schriftgelehrter, tout avait été préparé à la seconde près ! Rien n’aurait dû raté ! La Volonté s’était même présenté au spectacle ! Alors pourquoi ?!

Pourquoi ne s’était-il rien passé ?! Pourquoi n’avait-il pas lancé le premier acte ?!

Il se souvenait d’avoir attendu l’heure tapis dans les ruelles sombres, lui ainsi que les hommes que son maître avait placé sous ses ordres…et puis plus rien…ils avaient attendu, attendu des heures, attendu que la fête laisse place au silence, attendu d’être arrêtés par des chevaliers passant par là…

Il attendait, il savait ce qu’il allait arriver. Son sort était scellé…

Il ne voulait pas être jugé…il voulait pas être jeté dans la Geôle…

Au bord des larmes il ne put lâcher qu’un murmure :

- La Quinque triomphera…la Quinque demeurera…


Gilbert Greyfox regardait sa ville se remettre petit à petit de la tragédie, après dix jours, les larmes avaient fait place à l’espoir d’avancer. Mais malgré la disparition des traces de sang, la fin des funérailles, la blessure était toujours encrée dans les esprits.

Le jeune homme grinça des dents et jura de trouver les responsables, ignorant la venue de la jeune Levira Baskerville qui gravissait les marches du manoir Greyfox au même moment.


Jack observa la jeune fille au cheveux bleus avec de grands yeux. Il ne s’attendait à sa venue que dans deux jours. Elle était fascinante.

Le duc sourit :

- Bienvenue au manoir Greyfox Lady Baskerville !

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