Pourquoi nous nous intéressons à la météo
Il y a 1 500 ans
Pourquoi nous nous intéressons à la météo
Le souvenir prégnant des disettes et des famines
La conversation de base entre deux individus porte généralement sur la météorologie et le temps qu’il fait ou qu’il va faire. Il n’y a pas de média sans sa page météo. Dans nos sociétés urbaines modernes, tout a été fait pour ne plus dépendre du froid, de la pluie ou de la chaleur. Rares sont les activités qui dépendent encore de la météorologie, en dehors de l’agriculture, des travaux publics et moins directement, des transports.
Si parler du temps permet d’avoir un échange neutre avec une personne inconnue, sa fréquence et sa permanence rendent peut-être compte de notre inquiétude de fond sur notre proche avenir alimentaire.
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La physiologie de l’homme, comme celle de très nombreux animaux, est très bien adaptée aux périodes de disettes, avec un stockage de l’énergie sous forme de graisse, ce qui nous permet de survivre pendant les périodes difficiles. Cette adaptation devient redoutable quand la nourriture est en abondance, car elle devient la cause du surpoids et de l’obésité.
Cette abondance de nourriture est très récente et limitée aux pays les plus riches. Ailleurs et avant, il peut y avoir des disettes, caractérisées par une insuffisance d’apports alimentaires, et puis la famine, quand il n’y a plus rien à manger.
Nous laisserons de côté les famines dues aux guerres ou organisées volontairement pour anéantir une population. Ces famines sont relativement contemporaines : famines de la guerre de Trente Ans de 1618 à 1648, famines soviétiques en Ukraine et Nord-Causasse en 1932-1934 (près de 6 millions de morts). Suivent les famines pendant la Seconde Guerre mondiale dans le ghetto de Varsovie, à Leningrad, en Grèce, aux Pays-Bas, au Viet Nam. Puis les famines d’après-guerre : celle du Grand Bond en avant chinois en 1958-1962 (30 à 50 millions de morts), au Biafra de 1967 à 1970, au Cambodge des Khmers rouges de 1975 à 1979, au Yémen et au Sud-Soudan en 2017. Cette liste incomplète montre que la famine peut être une arme redoutable, malheureusement de plus en plus employée.
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La principale cause des disettes et des pénuries alimentaires reste les conditions climatiques, froides souvent, sécheresses parfois, qui entrainent de mauvaises récoltes et ne permettent pas la soudure entre deux années. La famine est un problème ancien, puisque la Bible en fait un des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.
Les temps qui font suite à l’effondrement de l’Empire romain se traduisent par des famines qui s’enchainent dans les années 400 à 800. Plus tard, la France, pays privilégié s’il en est, connaitra dix famines générales au 10e siècle, 26 au 11e, 13 du 12e au 15e, 13 au 16e, 11 au 17e, 16 au 18e. Une des plus terribles fut celle de 1693-1694 qui fit 1,3 million de morts pour une population de 20 millions d’habitants. Due à un printemps et un été trop pluvieux en 1692, suivis en 1693 d’une récolte très médiocre, cette famine se produit sur fond de Guerre de la Ligue d’Augsbourg et de relèvements d’impôts.
En France, la dernière grande famine date de 1709. Mais c’est les mauvaises récoltes de 1788-1789 qui vont exacerber une situation socialement difficile, notamment pour le petit peuple de Paris.
Les famines les plus récentes nous sont mieux connues. La famine irlandaise de la pomme de terre, due au mildiou, entre 1845 et 1851 faits entre 750 000 et 1 000 000 de morts, soit le huitième de la population et pousse deux millions d’Irlandais à émigrer, notamment vers les États-Unis. La famine russe de 1891-1892 fait 2 millions de morts le long de la Volga, dans l’Oural, et jusqu’à la mer Noire, puis celle de 1921 à nouveau 1,5 million de morts. Autant que celle au Bengale en 1943.
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Quelle que soit la cause, nous savons que cette liste n’est pas terminée et qu’elle peut facilement s’allonger d’un pas et atteindre notre région. Selon la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations, Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture), la production mondiale de céréales oscille autour de 2 600 millions de tonnes, ce qui correspond globalement à la consommation. Seuls 15 % de cette production entrent dans les échanges internationaux, ce qui signifie que la plus grande part de la production est consommée localement. Les stocks mondiaux sont évalués à 700 millions de tonnes, ce qui représente un peu plus de 3 mois de consommation. Ces chiffres sont en équilibre, mais un cataclysme volcanique majeur pourrait le mettre à mal.
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Bien avant la révolution agricole des années 1960, et jusqu’au 19e siècle, les rendements agricoles étaient très faibles, généralement de 1 pour 5 (1 semé, 5 récoltés, dont il faut mettre 1 de côté pour la prochaine année, soit 4 de disponibles). Des différences considérables existent selon les terroirs et les années. Ainsi, au 17e siècle, on estime que les terres pauvres d’Auvergne ou du Dauphiné ont un rendement de 1 pour 3, à la limite de la misère. Ailleurs, les terres de Picardie présentent un rendent entre 6 à 8 pour 1, ce qui représente un rendement de 12 à 15 quintaux par hectare pour le blé (la moyenne française actuelle est de 80 quintaux par hectare). Vauban pour calculer la dîme royale retient un rendement de 4,5 pour les terres pauvres et de 5,5 pour les bonnes terres, ce qui fait une très faible différence entre riches et pauvres… On compte en moyenne que deux quintaux de blé par an étaient nécessaires pour subvenir aux principaux besoins d’une personne.
Avec de tels rendements, dès que les conditions ne sont plus favorables et que la disette dure, on comprend que ce soit la semence qui ait été consommée. Les famines touchent principalement, de façon paradoxale, bien plus les campagnes que les villes. Vivant sous la dépendance des marchands, des villes, des seigneurs, les paysans ne disposent guère de réserves. En cas de disette, pas d’autres solutions pour eux que de refluer vers la ville, de s’y entasser vaille que vaille pour aller y mendier. Ils forment alors une armée de vagabonds, hantise de tous les pouvoirs.
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Les conditions climatiques varient sur le long terme. Les historiens s’accordent sur ces grandes fluctuations : l’optimum climatique du Moyen Âge, du 10e à la fin du 13e siècle, suivi du petit âge glaciaire qui perdura jusqu’aux années 1850.
En plus des aléas météorologiques, les années noires sont souvent dues aux volcans, souvent islandais pour nos contrées. Il est possible, aujourd’hui, de rapprocher des éruptions passées les famines qui s’en sont suivies. Une forte éruption envoie dans la haute atmosphère des cendres et du dioxyde de soufre dans des quantités considérables. Avant de retomber, ces éléments vont obscurcir le soleil et refroidir ainsi l’atmosphère, perturbant temporairement le climat sur de vastes zones du globe.
Avant les famines, les éruptions volcaniques peuvent détruire des civilisations. L’exemple le plus marquant est la disparition de la douce civilisation minoennes, en Crête, suite à l’explosion du volcan de Santorin, vers 1640 avant notre ère (ou 1530 selon d’autres sources). Non seulement le volcan a recouvert l’ile, distante d’une centaine de kilomètres seulement, d’une couche de cendre, mais deux tsunamis consécutifs ont balayé les ports et les survivants de la première vague.
En 536 après J.-C., le volcan indonésien Krakatoa s’est réveillé et a dégagé une masse impressionnante de résidus dans l’atmosphère qui, selon les dernières études, pourrait bien avoir couvert la planète entière pendant plusieurs années. Il récidivera avec une explosion gigantesque en 1883.
Au 10e siècle, c’est le volcan islandais Eldgjá qui explose et provoque un hiver très rigoureux en 939-940.
L’entrée de l’Europe dans le petit âge glaciaire pourrait être la conséquence de la forte activité volcanique du Samalas, en Indonésie qui explosa en 1257, une des six plus grosses éruptions de ces 12 000 dernières années, suivi du Kuwae (Vanuatu, 1453) puis du Huaynaputina (Pérou, 1600).
Le 8 juin 1783, l’Islande tremble avec le Lakagígar. C’est une des plus fortes éruptions du millénaire. En Islande, la famine va tuer un quart de la population. Ce cataclysme a été simultané avec l’éruption de l’Asama, au Japon, tout aussi dévastateur, bien qu’un peu plus faible. Conjointement, les deux volcans ont influencé tout l’hémisphère Nord pendant des années. En France, les cultures dépérissent, la famine s’installe, les hivers très rudes se succèdent. Et de fait, à partir de 1783, la France connait des hivers terriblement froids, des printemps catastrophiques, avec orages, pluies diluviennes, grêles, toujours au moment où les récoltes à venir sont sur pied. La ligne de grain orageux qui traversa la France du Sud au nord durant l’été 1788 détruisit presque toutes les récoltes du pays. Ce phénomène continuait la série des années précédentes, avec des soudures entre deux années impossibles à réaliser. Ce serait un des facteurs déclenchants de la Révolution.
En 1812 et 1814, des volcans des Caraïbes et des Philippines avaient été très actifs, envoyant dans l’atmosphère des tonnes de poussière. En 1815, un volcan d’Indonésie, le Tambora, a explosé, ce qui fit de l’année 1816, l’année sans été en Europe, déjà meurtrie par les guerres napoléoniennes, où 200 000 personnes vont mourir, mais également aux États-Unis et jusqu’en Chine.
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Au-delà des causes physiques de ces famines et disettes, les historiens savent que les crises frumentaires sont des facteurs puissants d’événements et de changements. Cela demeure toujours vrai aujourd’hui, comme le déclenchement du printemps arabe en Syrie. Cette région a été frappée par une sécheresse particulièrement sévère de 2006 à 2010, s’inscrivant dans un demi-siècle de non-gestion de la ressource en eau. Elle a entrainé d’importants déplacements de population qui deviendront des foyers de la révolte. L’incapacité du régime de Damas à gérer la crise larvée qui s’en est suivie, avec l’augmentation du prix du pain est sans doute une des causes de la révolte, avec l’absence d’emploi pour les jeunes, la censure et la répression, la corruption.
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En 2018, le long de l’Elbe asséchée par la canicule de l’été, une dizaine de pierres de la faim ont réapparu tant le niveau du fleuve était bas. Sur l’une d’elles, datée de 1616, on peut lire, en allemand, « Pleurez si vous me voyez ».
Ce ne sont plus seulement les éruptions volcaniques qui sont à craindre.
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