Pourquoi les boosters de la navette spatiale ont la largeur de deux culs de bœuf
Il y a 50 ans
Pourquoi les boosters de la navette spatiale ont la largeur de deux culs de bœuf
Les contraintes qui défient le temps
Les navettes spatiales américaines, les space shuttles, ont volé de 1981 à 2011. Pour le décollage, elles étaient arrimées à un énorme réservoir d’appoint, lui-même flanqué de deux propulseurs à poudre (les boosters) qui fournissaient l’essentiel de la poussée pendant les deux premières minutes du décollage.
Ces deux propulseurs étaient fabriqués dans l’Utah et transportés sur près de quatre mille kilomètres par train, de l’usine jusqu’au site de lancement, le centre spatial Kennedy sur la côte est de la Floride. La ligne de chemin de fer empruntée traverse plusieurs tunnels et les boosters devaient pouvoir passer dans le gabarit de ces tunnels.
Le gabarit d’un tunnel dépend de l’écartement des voies (la jauge), du type de wagons circulant et de la vitesse des trains l’empruntant.
Sur la jauge des chemins de fer, beaucoup de choses ont été écrites, depuis un article publié aux États-Unis dans le Popular Mechanics Magazine en 1905 : Ancient romans determined our standard railway gauge (Comment les Romains ont déterminé la jauge standard de nos voies ferrées). Cet article précisait que George Stephenson, créateur de la première locomotive à vapeur, inspectant certaines parties du mur romain d’Hadrien, à travers lesquelles les chars passaient, découvrit que de profondes ornières avaient été creusées dans la pierre. Mesurant la distance entre ces ornières et ne doutant pas que les Romains n’aient adopté ce gabarit qu’après beaucoup d’expérience, il décida de l’utiliser comme norme dans la construction de ses chemins de fer. C’était la révélation de l’écartement standard !
L’histoire est cependant plus simple. Depuis l’invention de la roue et du transport de marchandises, les charrettes, les charriots, les chars circulaient sur des chemins et des routes partagées par de nombreux véhicules. Les véhicules les plus lourds, marquant le plus le chemin, étaient tirés par deux animaux, le plus souvent des bœufs, voire des chevaux, mais globalement de même taille. Ils étaient attelés de front et le premier souci était de faire passer les roues en dehors des traces de pas des animaux de traits qui avaient défoncé le sol. Cela oblige à avoir un essieu d’une largeur légèrement supérieure aux deux animaux côte-à-côte. Pour prendre une image parlante, disons que l’essieu mesurait deux culs de bœufs. Si la bande de roulement n’était pas labourée par les sabots, en revanche des ornières apparaissaient rapidement. Et les chars tirés par un seul animal devaient avoir la même largeur d’essieu pour ne pas être ballotés d’une ornière à l’autre.
Donc, sans avoir à normaliser les choses, tous les véhicules avaient à peu près la même largeur d’essieu.
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L’invention de la voie ferrée fut une révolution, car, diminuant fortement les frottements, elle démultipliait les poids tirés par les chevaux. Ses premières utilisations, au début du 17e siècle, furent dans les mines de charbon anglaises. Les premiers fabricants de wagons (mot anglais importé avec le chemin de fer) pour les marchandises et de voitures pour les passagers étaient des fabricants de charrettes et charriots. Ils reprirent naturellement la même largeur d’essieu. Il y avait bien sûr de petites différences de largeur, propre à chaque région, à chaque mine. Le passage à la locomotive à vapeur ne changea rien à cette jauge. George Stephenson avait passé la plus grande partie de sa carrière d’ingénieur à travailler pour les mines de charbon du comté de Durham où la jauge était de quatre pieds huit pouces et demi. Il l’a donc reprise. Par la suite, l’exportation des premières locomotives d’Angleterre aux États-Unis obligea la construction des voies ferrées à ce même écartement. Aujourd’hui, on estime qu’un peu moins des deux tiers des voies ferrées sont à cet écartement standard.
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Le gabarit du tunnel dépend donc de cette jauge de voie ferrée et s’impose comme limite de taille aux boosters. Que cette contrainte sur une technologie des plus avancées date de plus de trois cents ans, voire depuis l’invention de la roue, est amusant. Si on élargit la réflexion, on s’aperçoit que la largeur de nos routes, avant les nouvelles normes, datait de la même époque. En fait, la contrainte physique était la même : faire se croiser deux véhicules de taille humaine, ou bovine.
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