Pourquoi nous mangeons des tomates et du piment
Il y a 550 ans
Pourquoi nous mangeons des tomates et du piment
Une richesse mondiale dans notre assiette
Tout voyageur en Asie a tâté de la cuisine très pimentée de ces pays. Cependant, cette tradition est très récente et son apparition dans ces pays est corrélée avec la présence de marins portugais. Ces marins avaient découvert cette épice grâce à Christophe Colomb qui en avait rapporté quelques pieds à la cour du roi du Portugal. C’est bien une plante d’Amérique du Sud puisqu’on y retrouve sa trace depuis au moins neuf mille cinq cents ans. Les navires portugais, quand ils allaient en Asie en contournant l’Afrique, faisaient escale au Brésil pour profiter des vents favorables, disséminant ainsi les nouvelles plantes. C’est aussi comme cela que le palmier à huile a quitté la Guinée pour l’Indonésie.
Il en va de même pour la tomate, originaire des régions andines côtières du nord-ouest de l’Amérique du Sud et domestiquée sans doute au Mexique, rapportée par les Espagnols au début du 16e siècle. De la famille des Solanacées dont beaucoup d’espèces sont toxiques dans notre Europe, elle a d’abord été une plante d’ornement regardée avec suspicion avant de conquérir nos assiettes un siècle plus tard. Sa cousine la pomme de terre, base de l’alimentation des Incas avec le maïs, a suivi le même chemin à la même date. Et on connait l’anecdote de Parmentier faisant « sévèrement » garder son carré de patates pour montrer sa grande valeur et tenter les plus intrépides à gouter ce tubercule. Facile à cultiver et à conserver, il sera adopté ensuite très facilement.
Les fruits et légumes qui remplissent notre assiette ont chacun une origine et une histoire de migration à ajouter à leur couleur et à leur saveur.
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La base de l’alimentation à partir de l’invention de l’agriculture au Néolithique, il y a plus de dix mille ans, était bien sûr les céréales de la famille du blé. Ce sont l’engrain, l’amidonnier, l’épeautre et le froment, chacun adapté à des conditions culturales particulières. D’autres céréales étaient aussi utilisées, comme le seigle, l’orge, l’avoine et le millet. En Amériques, c’était le maïs, dérivé du téosinte, une graminée locale, domestiqué il y a 9000 ans, mais devenu céréale principale vers 2000 av. JC. Les céréales ont toujours été accompagnées par des fruits et des légumes. De cette époque nous sont parvenues des légumineuses comme les pois, les lentilles, mais également les carottes, les betteraves, les choux, l’ail. Certaines de ces espèces sont endémiques en Europe, les autres sont arrivées avec les premières populations agricoles. La figue serait le plus vieux fruit cultivé. Datent aussi de cette époque la vigne, le pécher, le pommier, l’abricotier, le cerisier, tous issus de la vaste Asie centrale.
L’olivier, symbole de la Méditerranée, semble avoir toujours été là.
Beaucoup de fruits et légumes sont originaires d’Asie (Chine, Inde) ou du Moyen-Orient (Mésopotamie, Perse, Turquie…) et nous sont parvenus en plusieurs vagues, quand le monde méditerranéen s’est rapproché de ce monde extérieur. Pendant la haute antiquité, ce sont les Égyptiens qui sont les intermédiaires pour faire connaitre la fève, l’oignon, le poireau, le concombre, le fenouil, mais aussi, la datte. L’Empire romain s’étendant jusqu’aux portes de l’Asie, ce sont les prunes, les poires, qui apparaissent. Le melon vient d’Afrique, suivi un peu plus tard par l’artichaut. Ce dernier sera oublié vers le 1er siècle après J.-C. pour être redécouvert au 14e puis au 15e siècle.
Au passage, soulignons les symboliques des fruits et légumes. À l’époque médiévale, les plantes qui poussent en terre (oignon, ail, navet…) sont pour les paysans, alors que les parties aériennes, et encore plus les fruits, qui poussent « près des cieux », sont réservés aux palais de la noblesse. Certains pays répugnent encore à consommer les racines, car trop proches des morts.
Plus violemment, ce sont les Croisés qui rapporteront dans leurs bagages le pois chiche, l’aubergine, les oranges et les citrons.
Catherine de Médicis fit connaitre beaucoup de ces fruits et légumes en France, en arrivant de son Italie héritière des fruits et légumes romains, dont les épinards, réputés pour leur richesse en fer, comme nous l’avons vu, l’asperge et le melon.
Changement radical de provenance avec les grandes découvertes et les apports des Amériques, avec donc le piment, les tomates, la pomme de terre. Cet enrichissement de l’assiette comprend aussi le maïs, les potirons, courgettes et autres courges, le poivron, les haricots et l’ananas, sans oublier le topinambour. D’Amérique du Nord nous est parvenu le fraisier de Virginie qui a permis d’augmenter la taille de nos petites fraises des bois. Certaines plantes, comme le manioc, l’arachide, la patate douce sont aussi originaires d’Amérique, mais sont allés directement en Afrique, car non cultivables dans nos contrées. En retour, ce sont les céréales qui seront introduites en Amérique, ainsi que la vigne, la pastèque.
La dernière vague est liée à l’industrialisation et aux colonisations de la fin du 19e siècle, avec la banane et autres fruits tropicaux et le soja.
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Entre les premiers spécimens ramassés et la déclinaison en nombreuses variétés contemporaines, il y a tout un travail de sélection qui a eu lieu au fil des siècles par des générations de paysans. En effet, les plantes sauvages peuvent contenir des substances nocives (tanins, alcaloïdes, …) ou avoir des défenses (épines…), être de faible rendement, perdre leurs graines dès la maturité, germer de façon erratique… Petit à petit, ces plantes ont été domestiquées par les agriculteurs, qui ont gardé, à chaque génération les plus belles plantes, les plus comestibles. Jusqu’au 19e siècle, c’est par cette sélection massale que l’amélioration a été obtenue. Des accidents de reproduction les ont aussi aidés. Ainsi, le blé dur, descendant de l’amidonnier est tétraploïde, le froment est hexaploïde. C’est-à-dire que ces espèces portent respectivement deux fois ou trois fois plus de chromosomes que l’espèce d’origine (l’engrain porte sept paires de chromosomes, l’amidonnier quatorze paires, le froment vingt-et-une paires).
Sans le savoir, une sélection parallèle portait sur les microbes susceptibles de rendre ces plantes plus comestibles, par la fermentation (choucroute, soja, levain, …).
Le travail des jardiniers s’est aussi amélioré pour tirer le meilleur parti des espèces dans les différents sols et climats. Notamment, les plantes tropicales, rapportées d’Amérique, ont dû s’adapter à nos jours courts et longs, ce qui a pris du temps et du travail de sélection. Un très vieux savoir-faire existe : ne dit-on pas que le Potager du Roy, Jean-Baptiste de la Quintinie (1626 – 1688), pouvait servir des fraises et des melons à Louis XIV dès le mois de mars. Il est vrai que c’était avec une cinquantaine de journaliers, mais avec beaucoup moins d’énergie que les productions industrielles modernes.
De ce travail de patiences par des multitudes de générations de sélectionneurs, il en a résulté une infinie variété d’espèces, pas toujours stabilisées, adaptées aux conditions et aux gouts de chaque région, de chaque usage. Par exemple, il existerait plus de vingt mille variétés de pommes, douze mille de tomates.
À partir de la fin du 19e siècle, les méthodes de sélection deviendront plus rigoureuses, grâce à la redécouverte des lois de Mendel sur la transmission génétique des caractères. Sera aussi exploitée la découverte de la vigueur hybride (les descendants de première génération d’un croisement sont homogènes et plus vigoureux que leurs parents). Depuis les années 1990, les manipulations génétiques et les plantes transgéniques révolutionnent la mise au point des espèces. La contrepartie de ces dernières avancées risque d’être une érosion génétique, c’est-à-dire un appauvrissement de la diversité génétique.
Des conservatoires génétiques des espèces ont été mis en place, mais cela ne suffit pas. Les chiffres, étonnants du nombre de variétés potagères disponibles en semence pour l’Europe (vingt-et-un-mille) ou de variétés fruitières (douze-mille-cinq-cents), ne doivent pas faire illusion. Seule une cinquantaine de variétés de pommes sont produites économiquement, la Golden représente 35 % de la production française, la Gala 16 % et la Granny Smith 12 %. Reste un tiers pour toutes les autres variétés. En 2016 par exemple, une seule variété de blé, le Rubisko, couvre 13 % de la sole, dix variétés en couvrent 47 %.
La contrepartie de la domestication est l’affaiblissement des plantes par rapport à leurs prédateurs. Notamment, la sélection des individus les moins toxiques pour l’Homme supprime leurs défenses naturelles. Au domesticateur de les protéger : les insecticides et fongicides servent alors à pallier ces faiblesses.
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Les plantes cultivées ne sont pas les seules plantes consommées. Jusqu’à la moitié du 19e siècle, les plantes sauvages étaient une composante importante de l’assiette du paysan. À partir de cette époque, les nourritures sauvages sont jugées tout juste bonnes à être données aux poules et aux cochons, animaux nourris principalement des déchets considérés comme immangeables ou médiocres et de plantes sauvages. Ceux qui perpétuent les gestes de cueillettes sauvages sont alors montrés du doigt, accusés d’être de piètres cultivateurs. Arriveront les pesticides qui achèveront de différencier les cultures des « mauvaises herbes », c’est-à-dire tout le reste !
C’est une grande perte, car selon l’ethnobotaniste F. Couplan, ce serait mille six cents plantes qui sont comestibles en Europe. Cependant, leur cueillette nécessite de bonnes connaissances en botanique, car de nombreuses plantes sauvages présentent une toxicité élevée.
Les traditions de cueillette demeurent cependant, comme l’ail des ours ou le tamier. Cette plante, très toxique quand elle est développée, se ramasse dans le Tarn et les départements limitrophes au printemps. Les jeunes pousses font d’excellentes omelettes au respounchous !
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Peut-on parler de nos fruits et légumes sans parler de nos épices ? Le principe actif de nos épices est, la plupart du temps, un tannin. Chimiquement, les tannins appartiennent à la famille des phénols (une fonction alcool sur un noyau benzénique), c'est-à-dire des produits souvent toxiques, car s’agrégeant aux protéines, ils les rendent inefficaces. Cette propriété en fait des actifs anti-microbiens. Ajoutons des propriétés antioxydantes et on comprend l’intérêt des épices pour la protection et la préservation des aliments. Il est amusant de constater la corrélation entre la consommation d’épices et la température de l’endroit de consommation. L’ajout de ces substances, bien choisies, s’avère plus bénéfique que leur toxicité. Cette fonction est aujourd’hui inutile dans la plupart des pays, mais les habitudes culturelles demeurent !
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