Chapitre 10
Walmsley s’enfonça un peu dans le fauteuil et appuyant ses coudes sur les bras de ce dernier, elle joignit ses mains qui vinrent soutenir son menton.
« Je pense que je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que la mission principale de la Sécurité Intérieure est de s’assurer qu’aucun événement quel qu’en soit l’origine ne vienne remettre en cause la stabilité du pays et la sécurité de ses citoyens. L’idée n’est pas de restreindre la capacité de ceux-ci à se faire entendre mais bien d’éviter tout débordement qui pourrait atteindre à l’intégrité des personnes et de leurs biens. Une fois ce cadre posé, la Sécurité Intérieure a été subdivisée en plusieurs branches dont chacune possède son périmètre précis. La section 23 est l’une d’elle mais contrairement aux vingt-deux autres, son périmètre exact est intégralement soumis au secret défense et je ne pourrais donc pas vous en dévoiler les détails.
— Ca, je m’en serais un peu douté, dit Akos sur un ton ironique. Mais à la limite, je ne pense pas que cela soit une information nécessaire. Si vous me permettez d’aller directement à l’essentiel, ma première question sera : comment étiez-vous au courant de l’existence de ce Druide et pourquoi l’aviez-vous dans votre radar ? »
Walmsley ne parut pas le moins du monde perturbée par cette interruption un peu brutale de son exposé. En revanche, Mason faillit se renverser dans son fauteuil et tenta de lancer à Akos, un regard plein de reproches. Mais celui-ci était fixé aux lèvres de Walmsley comme s’ils étaient tout seuls dans la pièce.
« Nous n’étions pas au courant de son existence. Ce n’est qu’au moment où le crime a été signalé que notre système de veille s’est activé.
— Foutrement efficace ce système, si vous me permettez l’expression. » fit Akos qui ne put cacher une certaine admiration.
En même temps qu’il disait cela, son cerveau envisageait deux options : soit ce que disait Walmsley était la pure vérité et cela sous-entendait un dispositif de surveillance de la police à une échelle qui pouvait sérieusement interroger, soit elle mentait.
« C’est quoi l’élément déclencheur ? Car moi je n’ai eu l’information qu’une fois sur place et il me semble qu’aucun agent n’a pondu de rapport avant le début d’après-midi. Pourtant quand je suis rentré aux alentours de 11h, Mason avait déjà eu une sollicitation de votre section. Cela tiendrait presque de la divination votre dispositif.
— Et pourtant, il n’en est rien. Je ne peux pas vous éclairer sur nos méthodes et j’entends qu’elles puissent vous paraître extraordinaires mais je peux vous assurer que c’est loin d’être le cas. »
Akos laissa passer un silence d’une trentaine de secondes. Walmsley pouvait croire par ce biais qu’il manifestait le fait de ne pas la croire mais en réalité, il réfléchissait surtout à sa prochaine question.
« Du coup, si je lis entre les lignes, c’est l’apparition d’un Druide même mort qui vous a alerté. J’ai révisé mes cours d’Histoire depuis hier et ma conclusion est que s’il avait été encore vivant, je comprendrais que vous puissiez être sur le qui-vive mais là, mort, je ne vous suis pas. En plus de ça, ce que je déduis de ce que vous me dites, c’est que vous n’aurez aucune information pertinente à me donner qui pourrait m’aider dans mon enquête. Du coup, pardonnez la question : mais pourquoi êtes-vous ici ? »
Mason faillit une nouvelle fois s’étrangler. Walmsley en revanche ne put réprimer un sourire amusé mais elle prit le temps de la réflexion avant de formuler sa réponse.
« Il me semble que compte-tenu de l’Histoire et des conséquences qu’a eues la première apparition des Druides, vous pouvez comprendre qu’on ne puisse pas laisser cette information passer et la considérer comme un fait banal. On peut discuter le niveau de risque auquel l’associer mais le potentiel est là. C’est bien pour cette raison que la section 23 s’y intéresse. Les conclusions de votre enquête seront précieuses pour établir l’évaluation du niveau d’alerte. »
Walmsley marqua une pause et observa la réaction d’Akos mais celui-ci resta impassible. Alors après s’être éclairci la gorge, elle poursuivit :
« Pour ce qui est de votre dernière question, les moyens dont je dispose pour vous aider ne seront pas extraordinaires mais je suis certaine qu’en fonction de vos éléments, nous pourrons contribuer à orienter l’enquête. »
Akos haussa un sourcil. La dernière phrase de Walmsley sonnait creuse. A partir de là, sa conviction était faite et désormais, il devait choisir l’attitude à adopter pour la suite. La plus grande question qui se posait à lui, était de savoir s’il voulait jouer au flic bienveillant et naïf, ou s’il devait manifester une certaine hostilité qui pourrait sous certaines conditions, forcer cette fichue section 23 à lui fournir un échantillon des éléments dont elle disposait par s’assurer sa collaboration. A moins que ce ne soit que le résultat d’une manœuvre de politique interne à la Sécurité Intérieure orchestrée par Walmsley, Akos avait du mal à croire qu’elle ait pu envisager de s’adjoindre les services de la police par le biais d’un coup de bluff complet. Forcément avait-elle prévu un plan B ou la section 23 avait bel et bien des informations qu’elle voulait garder exclusivement pour elle. Walmsley semblait loin d’être née de la dernière pluie alors Akos estima que la stratégie agressive était la plus judicieuse.
« Je ne vois pas vraiment si vous ne disposez d’aucune information spécifique, quel genre de contribution vous pourriez nous fournir autre que du jus de cerveau. Mais sur ce point, nous disposons déjà de ressources suffisantes et qualifiées. »
Walmsley encaissa la remarque. Elle jeta un œil sur Mason comme si elle attendait de lui une réaction, un recadrage de son subalterne mais celui-ci semblait ailleurs ou ne pas avoir saisi qu’Akos par ses propos, rejetait par anticipation l’idée d’échanger des informations. Elle ferma les yeux et prit une profonde inspiration.
« Nous disposons d’un accès à des archives classées. Vous avez sûrement remarqué que les informations publiques concernant les Druides sont assez parcellaires et souvent contradictoires. Il vous sera très difficile de démêler le vrai du faux sauf si nous vous aidons. »
Akos aurait bien sauté de joie si les circonstances s’y étaient prêtées mais ce n’était pas le moment. En creux, Walmsley était en train d’avouer que certaines informations sur les Druides étaient encore conservées sous le sceau du secret par le gouvernement en dehors de la législation en vigueur qui prévoyait un délai maximum de cent ans pour procéder à la déclassification. Ce n’était pas vraiment une surprise pour Akos mais une confirmation que le conflit qui avait eu pris fin, plusieurs siècles plutôt n’avait pas fini de livrer ses vérités.
« Et quelle méthode proposez-vous en pratique pour mettre en œuvre cette collaboration ? La police ne peut pas se contenter d’avancer à l’aveugle avec la Sécurité Intérieure qui tient seule la torche pour éclairer uniquement ce qui lui convient. Enfin… Si la police le peut, personnellement, en tant qu’inspecteur, je ne peux me contenter d’une promesse, la main sur le cœur. »
Walmsley ne répondit rien et regarda Mason avec insistance pour, de toute évidence, le forcer à prendre position sur le sujet. Elle devait compter sur sa pleutrerie pour trancher le point soulevé par Akos. Mais Mason n’avait pas les moyens d’évaluer l’importance du problème de fond. Pour émettre un avis, il allait probablement déplacer la question sur un niveau plus basique.
« Eléonore, vous permettez que je vous appelle ainsi ? Je crois que pour que les choses se passent d’une manière plus fluide entre nos services, il nous faut mettre en œuvre un dispositif spécial, le temps de l’enquête. Je pense que nous pourrons le réévaluer puis l’adapter ensuite pour le simplifier.
— Quelle est votre idée ? fit Walmsley qui ne cernait pas où voulait en venir Mason.
— Ne pourriez-vous pas détacher une personne de votre section pour seconder Akos ? »
Surpris, l’inspecteur tourna la tête vers Mason. L’idée d’intégrer un personnel extérieur dans son équipe ne lui plaisait pas trop mais il devait reconnaître que c’était une manière de remettre la balle au centre assez imparable. Akos vit le visage de Walmsley se crisper légèrement avant de reprendre sa contenance.
« Cela n’aurait été pas ma première idée mais je vous accorde que c’est une bonne manière d’initier la collaboration et établir, je l’espère une relation de confiance. »
Walmsley regarda sa montre. Le temps de l’entrevue était passée.
« Je vais devoir vous laisser, on m’attend ailleurs. Je vous tiens informer. »
Elle se leva, salua les deux hommes d’un signe de la tête et sortit du bureau d’un pas rapide.
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