Chapitre 29
« T’as décidé de faire tout pour m’énerver depuis ce matin ? Pourquoi tu marches derrière moi ? » s’agaça Ely.
En se replaçant à ses côtés, Akos réfléchit à la façon de s’excuser de la manière où il l’avait plantée dans son propre appartement en se sauvant dans la salle de bain. Il commença à ouvrir la bouche mais Ely, n’y prêtant pas attention, enchaîna :
« Déjà que j’ai encore une migraine latente depuis ce matin, me coller Freya dans les pattes, tu parles d’un cadeau ! »
Akos arqua rapidement un sourcil et tenta une réponse tactique :
« Je ne pensais pas qu’elle resterait dans ton bureau. Je lui ai juste dit de te demander le dossier. Elle aurait pu revenir dans le mien après. Surtout que je n’y étais pas de toute la matinée. »
Ely fixa Akos d’un regard appuyé comme si elle cherchait à savoir s’il mentait ou non. Elle détourna la tête d’un mouvement agacé.
« La prochaine fois, dis-le-lui explicitement. C’est un vrai robot, cette fille. Si tu ne la programmes pas dans le détail, elle ne va pas plus loin. Je ne sais pas si elle a un petit ami, mais à sa place, je ne supporterais pas !
— Il y en a sûrement qui apprécient.
— Genre. Ça te plaît, toi ? fit Ely en le mettant en joug du regard.
— C’est à l’opposé total de ce qui peut m’attirer. » répondit-il en fixant le vide.
La réponse sembla convenir puisqu’Ely passa à autre chose et s’occupa de leur trouver une table.
« Tu en as fait quoi d’ailleurs de Freya ?
— Elle m’a dit qu’elle devait terminer un truc pour toi et qu’après, elle avait quelque chose d’autre à faire. Je n’ai pas insisté. Si elle veut vivre sa vie toute seule, ça me convient ! »
Akos se dit qu’il fallait que l’enquête ne dure pas des mois, sinon il y aurait un second meurtre. Il ne comprenait pas vraiment ce que Freya avait fait pour générer une telle antipathie chez Ely.
« J’ai repensé à notre histoire de napoléons ce matin et je pense qu’il va falloir qu’on aille voir l’Institut pour qu’ils disent ce qu’ils savent de notre pièce. Après tout, cela n’a rien de bizarre dans le cadre de notre enquête. Au mieux, on pourrait apprendre des choses que nous ne savons pas ; au pire, ça ne nous change rien.
— Tant qu’on laisse de côté, la loi de blanchiment, je ne vois pas d’inconvénient.
— On y va cette après-midi ? C’est dans le 6ème, cela nous changera un peu de décor.
— D’accord mais faudra que je repasse au commissariat après.
— Je ne pense pas que cela nous prenne toute l’après-midi de toute manière. »
Ely commença à découper son omelette et à la manger. Akos se demanda s’il fallait qu’il revienne sur ce qui s’était passé ce matin. De toute évidence, il s’était fourvoyé sur la raison de la mauvaise humeur d’Ely mais il aurait voulu tout de même s’expliquer sur son comportement. Il s’en sentait obligé vis-à-vis d’elle. Cependant, Ely le prit de court une fois de plus.
« Je peux te poser une question personnelle ? Tu n’es pas obligé de répondre car c’est juste de la curiosité de ma part. Je comprendrais très bien si tu me disais que ce ne sont pas mes affaires.
— Vas-y toujours. »
Ely prit son temps, marquant ainsi qu’elle était vraiment gênée de poser sa question.
« Sur le meuble de ton salon, ce matin, j’ai vu une photo avec deux gamines blondes qui jouaient sur une balançoire : je me suis demandé qui cela pouvait être… »
Akos eut un sourire un peu crispé. Il avait oublié les photos. Bien sûr il savait qui était sous le glacis. Il les avait encadrées et posées là longtemps auparavant. Elles appartenaient à son décor la plus grande partie de l’année. Il n’avait jamais songé qu’un autre regard se poserait dessus un jour, et s’interrogerait sur ce qu’elles pouvaient représenter. Si Ely avait remarqué celle aux petites filles, elle avait sans nul doute vu la seconde. Il pouvait se taire comme elle le lui avait autorisé ou raconter n’importe quoi pourvu que cela paraisse plausible. Mais à quoi bon ? Qu’avait-il à gagner à dissimuler la vérité ? Tôt ou tard, sauf si Ely sortait de sa vie, il aurait à expliquer ce mensonge. Tenait-il à en arriver là ? Même si toutes ces pensées lui traversaient l’esprit, il savait parfaitement que non. Il était à l’aise avec les mensonges lorsqu’ils n’étaient qu’éphémères, liés aux circonstances et que son objet disparaissait dans l’oubli rapidement. Il sourit une nouvelle fois devant le ridicule de tout cela.
« Marion et Mélanie. Marion la plus grande et Mélanie la plus jeune. C’étaient les filles d’Enola.
— Enola ? interrogea évidemment Ely.
— La jeune femme que tu as dû voir dans le cadre photo qui est juste à côté. »
Ely sembla hésiter avant de poser la question suivante, l’air grave.
« C’était ? »
Akos chercha les mots.
« Marion et Mél ont été récupérées par leurs grands-parents quand Enola a disparu.
— Disparu comment ? ne put s’empêcher de demander Ely.
— Au printemps 3513, elle est partie en Isenhölm pour son boulot et elle n’est jamais revenue.
— Oui et non. L’Isenhölm est un peu particulière comme région. Peu d’habitants qui s’étalent sur des kilomètres et des kilomètres carrés. Là-bas, la police, ce sont encore des sortes de shérif. Et les gars quand ils font ce qu’ils peuvent. Pour ça que beaucoup d’affaires chez eux terminent classées sans suite. »
Ely sembla perdue dans ses pensées pendant une minute.
« Enola… Désolé de la question mais c’était qui pour toi ? Et t’as dit, pour Marion et Mélanie qu’elles étaient les filles d’Enola, j’en déduis que tu n’es pas leur père ? »
Akos prit une grande inspiration.
« Ce n’est pas simple à te répondre mais une bonne manière de résumer les choses est de dire qu’Enola a été plusieurs fois mon ex. Concernant Marion et Mélanie, même si j’ai assisté à la naissance des deux et les ai élevées en partie avant la disparition de leur mère, elles ne sont pas de moi et n’ont même pas le même père. Comme tu vois, c’est compliqué. »
Ely parut difficilement intégrer la situation dans sa tête. Mais toujours est-il qu’elle ne posa pas de question supplémentaire. Akos, lui, était à la fois satisfait d’avoir levé un coin du voile sur son passé vis-à-vis d’Ely, et un peu sur la réserve pour savoir comment elle allait recevoir tout ça.
Ely termina son dessert en silence et reprit la parole que lorsqu’ils décidèrent de se mettre en route pour l’Institut de la Monnaie.
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