Chapitre 35
Au réveil, Ely mit un moment à admettre que les souvenirs de la veille correspondaient à la réalité. Mais elle était bien là, lovée entre les bras d’Akos qui dormait encore paisiblement. Un frisson la parcourut et s’y ajouta un mélange de satisfaction et de crainte. Elle n’aimait pas l’idée de ne rien avoir anticipé, de s’être laissé surprendre par ses propres sentiments. Et pourtant, elle n’arrivait pas à nier la sensation de bien-être qu’elle éprouvait en ce moment. Était-elle ridicule ou pathétique à ce point ? Elle n’osait pas bougé, craignant de réveiller Akos et de se retrouver à l’étape suivante, probablement fichue de cette ambiance gênée où chacun d’eux aurait l’impression d’avoir commis une faute. Elle ferma les yeux pour tenter de retarder cet inévitable, mais la nature la rappela à l’ordre : il fallait qu’elle aille soulager sa vessie prestement, sauf à rajouter une honte incommensurable par-dessus tout ça.
Elle dégagea le plus délicatement possible, le bras d’Akos et s’extirpa en douceur du canapé. Elle trottina jusqu’à la salle de bain, ramassant ses sous-vêtements au passage. Lorsqu’elle revint dans le salon, elle enfila sa culotte et son tee-shirt, gardant le soutien-gorge qu’elle n’avait pas envie de remettre à la main. Ne sachant pas trop qu’en faire, elle finit par le fourrer dans sa poche de manteau. Elle en profita pour récupérer son communicateur et le consulta. Il était encore très tôt : que devait-elle faire ? Elle ne pouvait pas décemment s’enfuir comme une voleuse mais elle hésita à retourner se blottir contre Akos pour se rendormir. Après tout, peut-être que ce qui s’était passé n’était qu’un accident. Si elle y retournait, ne rajouterait-elle pas à la confusion ? Elle secoua la tête. Comme d’habitude, elle se posait les questions dans le désordre. Celle à laquelle il lui fallait répondre en tout premier lieu était : qu’est-ce que tout ça représentait pour elle ? Que voulait-elle en faire ? Impossible de remonter le temps. Décidément les questions métaphysiques n’étaient pas sa tasse de thé, elle n’avait pas à choisir tout de suite. Elle était juste allée faire un tour aux toilettes et la nuit n’était pas encore terminée. Alors prenant son courage à deux mains, elle retourna se coucher aux côtés d’Akos.
Ce ne fut qu’une heure et demie plus tard que le vrai réveil intervint, cette fois-ci moins agréable que le premier. Le communicateur d’Akos posé sur la table se mit à vibrer et celui-ci, sorti de son sommeil aussi brusquement, eut le réflexe de tendre le bras vers l’appareil, oubliant de fait Ely, allongée à ses côtés sur le rebord du canapé. Complètement endormie, elle faillit tomber à la renverse puis fut rattrapée in extremis par Akos dans un réflexe qui le surprit lui-même.
« Je suis vraiment désolé, dit-il. J’ai agi par réflexe et je ne t’ai vue qu’au dernier moment.
— Tout va bien, tu m’as rattrapée au final. Plus de peur que de mal, répondit-elle en détournant le regard.
Elle sentit une bouffée de chaleur lui monter au visage. Comme pour faire diversion, elle attrapa le communicateur et le lui tendit à l’aveugle en essayant d’oublier qu’Akos était collé à elle, complètement nu.
Akos prit la communication sans vraiment noter sa gêne. L’appel ne dura qu’une minute mais durant tout ce laps de temps, Ely fut incapable ni de s’écarter, ni de contrôler l’imagination des envies que lui procurait ce contact. A côté d’Akos qui put tenir sa conversation apparemment sans ciller, elle se sentait honteuse. Lorsqu’il raccrocha, elle put tout de même articuler une question :
« C’était quoi ? »
Akos ne répondit pas tout de suite. Il tendit le bras pour reposer l’appareil. Revenant à sa position initiale, il lui posa un léger baiser dans la nuque et sa main vint se poser sur son ventre pour la ramener contre lui alors qu’elle l’y était déjà.
« Il semble que nous n’aurons pas de repos dominical.
— Que se passe-t-il ?
— Je ne sais pas. J’ai juste une adresse.
— Mais c’était qui ?
— Aucune idée, je n’ai pas reconnu la voix. »
A ces mots, Ely oublia en partie sa gêne et se retourna pour faire face à Akos.
« Et tu vas y aller ? Sans rien savoir ?
— Je n’ai pas vraiment le choix. Cela ressemble à du Lys, même si ce n’est pas sa méthode habituelle. Mais avec ce qu’il s’est passé hier, je me dis qu’elle a peut-être des raisons. »
Ely posa son doigt sur l’épaule d’Akos et traça lentement une ligne imaginaire jusqu’à son coude.
« Avec ce qu’il s’est passé hier, répéta-t-elle, cela pourrait très bien être les mecs qui poursuivaient la femme.
— Possible. Mais je serai étonné. Comment auraient-ils pu faire le lien ? »
Ely trouvait, elle aussi, cette hypothèse peu probable mais il ne fallait pas ignorer ce risque.
« Pas question que tu y ailles seul alors ! »
Akos sourit.
« Tu crois vraiment que je comptais te laisser rentrer chez toi ?
— On ne sait jamais avec toi, fit-elle en baissant les yeux.
— T’en es si sûr que ça ? »
Ely fronça les sourcils. Elle mit une bonne dizaine de secondes à comprendre qu’il s’agissait de second degré.
« T’es con ! » fit-elle en tentant de lui filer un léger coup de poing.
Mais il la contra en lui attrapant le poignet et lui ramena son bras dans le dos. Il l’attira à lui. Ely leva les yeux au ciel mais l’envie d’Akos était tellement palpable qu’il eût été dommage pour elle d’y résister. Elle se permit tout de même de lancer une dernière question pour la forme :
« On ne va pas se mettre en retard ?
— On a trois heures avant de commencer à l’être, ça devrait aller, non ? »
*
Les trois heures filèrent très vite après ça. Pendant qu’Akos finissait de se préparer, Ely se demanda si celui-ci n’avait pas fait exprès d’agir comme il l’avait fait. Les choses s’étaient enchaînées de telle manière qu’elles lui avaient ôté toutes les questions existentielles qui s’étaient emparées d’elle au petit matin. L’action valant bien plus que tout discours, Akos lui avait juste confirmé que pour lui, cette nouvelle configuration n’avait rien d’accidentelle. Encore une fois, en ancrant sa manière de faire dans la simplicité, il désamorçait toute tentative d’emballement qu’elle fût volontaire ou non. Il semblait qu’en procédant ainsi, il s’affranchisse de toute anticipation et de toute promesse. Avait-il toujours été ainsi ?
Ely jeta un œil vers les deux cadres photo posés sur le meuble du salon. Qu’adviendrait-il si Enola venait à refaire son apparition ? Son cœur se serra. Elle secoua la tête. Pourquoi pensait-elle à cela ? Akos en avait pourtant parlé très simplement et dans ses mots, il n’y avait guère de doute sur le fait que cette Enola avait disparu pour de bon. Ses filles avaient été récupérées par ses parents.
« On y va ? Il y a un problème ? Tu fais une drôle de tête, demanda Akos en la rejoignant dans l’entrée.
— Non, tout va bien, fit-elle. J’étais juste un peu ailleurs. »
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