Chapitre 9

8 minutes de lecture

Après s’être perdu plusieurs fois, l’ancien sportif finit par trouver son chemin dans le dédale que constituait la résidence. Les foutus plans lumineux à chaque coins ne semblaient vouloir indiquer que le chemin des différentes boutiques de la résidence, ils n’avaient donc pas été d’une grande aide.

Etonnamment Math ne croisa personne. Pas un rat dans ces couloirs grisâtres. Les gens normaux devaient certainement être au travail à cette heure. Après une quinzaine de minute de recherche, il se rabattit sur une sortie de secours et descendit en vitesse les 30 mètres d’échelle qui le séparait du sol.

La pluie avait laissé la place à une sombre matinée. L’air surchauffé était chargé d’humidité. Respirer était un effort qui laissait les badauds transpirants et nauséeux tant l’odeur des additifs diffusés pour assainir l’air se faisait forte.

L’ancien athlète marcha d’un pas décidé à travers les rues détrempées. Il avait toujours apprécié le calme qui précédait les orages. La nature se tenait immobile, rassemblant ses forces avant de se déchainer dans cette danse toute particulière.

Il connaissait bien ce sentiment à l’époque, avant les matchs. Oui, c’était dans ces moments qu’il se sentait le mieux.

Matthew finit par apercevoir un petit bouquet d’arbre au milieu de la forêt urbaine qu’il parcourait. Le ciel commençant à gronder, il se mit à courir tout droit en direction de cette touffe de verdure. Il se faufila entre les maisons aux toits de tôle. Sauta plusieurs murs de parpaings ayant pour seule décoration des tags de mille couleurs.

Après quelques minutes à ce rythme effréné, l’ancien athlète n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres du bosquet famélique. Il sautillait littéralement de joie sur le trottoir. Qu’est-ce que c’était bon de courir à nouveau. Plus qu’à trouver ces fameux œufs.

L’homme s’approcha à grand pas du parc, cherchant un nid des yeux. A première vue, rien. Mais le printemps n’était pas si loin, il y avait bien quelque chose à trouver sur les branches de ces hauts arbres.

Math essuyait ses mains moites contre l’arrière de son jean lorsque les ombres du bosquet prirent vie.

Ils n’étaient plus qu’une poignée de formes squelettiques. A peine plus tangibles que les ombres que les arbres projetaient au sol. Certains étaient allongés au sol et fixaient les nues de leurs yeux rouges et vides. D’autres se tenaient assis ou à genoux, offrant leur corps pourrissant à un ange qu’ils étaient seuls à voir. Tous tournèrent leurs regards de macchabés vers celui qui avait eu le courage de venir admirer l’enfer.

L’ancien athlète recula inconsciemment, se heurta à une masse flasque et puante qui s’affaissa derrière lui.

-  « AH ouais, ouais comme ça »

Sautant sur le côté, Math ne put qu’observer avec horreur le spectacle qui s’offrait à lui. Ce type devait avoir 20 ans à tout casser. N’arrivant pas à se relever, le moribond rampa face contre terre. Utilisant son seul bras fonctionnel en répétant sans cesse son refrain grotesque.

-  « Ouais, ouais comme ça, ouais ça va ça va, ouais. OUAIS !!!! »

Arrivant à la lisière du bosquet, son front racla durement contre le sol bétonné avec un crissement. Le corps se secoua pendant ce qui sembla une éternité, puis cessa de bouger.

-  « Ouais t’inquiète ça va »

La voix venait de derrière. Un homme au visage parsemé de puces électroniques suintantes de pue parvint à se remettre sur ses pieds.

L’ancien athlète se retourna. Il courut et ne s’arrêta que lorsque le bosquet n’était plus en vue.

John rentra à l’appartement avec 5 œufs dans les mains. Il tacha de trouver un fouet, bâtit les blancs en neige puis les réincorpora aux jaunes et à la farine avant d’assaisonner le tout. Math parsema la préparation de poivre l’air hagard.

Comment il avait récupéré ces œufs déjà ?

Ses mains commencèrent à trembler doucement. L’homme se pressa d’enfiler ses gants à nouveau. Fermer les yeux et respirer.

Inspirer. Expirer.

L’orage avait fini par s’éloigner sans craquer, une pluie tiède venait s’écraser mollement contre les vitres de l’appartement. Quelques klaxons brisaient la danse monotone des tramways au milieu de la jungle de tours bétonnées où il avait passé la nuit.

Quelque chose se glissait sous sa peau, lentement. Ca grandissait, prenait de plus en plus de place dans son avant-bras. Jusqu’au biceps. Ça se frayait un chemin, ça le rongeait.

Inspirer. Expirer.

L’homme porta sur regard bleu vers la porte de l’appartement

 « Dans combien de temps revient Julia ? »

Un petit bip. La voix monotone répond sans tarder.

-  « Mademoiselle Sanchez reviendra dans : trente minutes »

Trente minutes. Math approcha sa main du poêle : il était à la bonne température. Plus qu’à attendre qu’elle revienne. L’ancien athlète avança jusqu’à la fenêtre. Les immeubles où s’entassaient les gens, les grillages, les routes éclatées dont le bitume s’égrenait en motte sur les trottoirs. Est-ce que ça avait toujours été aussi laid ici ?

Ces pauvres types dans le bosquet…c’était quoi au juste les saloperies accrochées à leur peau ? Math se surprit à chercher son téléphone dans sa poche. Qu’est-ce qu’il comptait faire ? Poser la question à Mira ?

C’était d’ailleurs la première fois qu’il cuisinait un plat à quelqu’un d’autre qu’elle depuis…depuis longtemps. Elle aimait bien ses soufflés.

Matthew s’assit en logeant ses mains l’une dans l’autre.
Et si elle n’aimait pas les œufs ? Il ne lui avait même pas demandé s’il pouvait utiliser la cuisine.

-  « Bienvenue Mademoiselle Sanchez. Nous espérons que vous appréciez les services RexCorp et que…»

-  « Shhhut ! Mute »

Julia ôta ses chaussures et sa veste en tachant de faire le moins de bruit possible. Elle ne s’était pas rendu compte qu’il fût debout. La jeune femme traversa le couloir sur la pointe des pieds avant de revenir dans la cuisine éberluée.

-  « Salut… Comment tu vas ? »

Math se remit aux fourneaux, versa la préparation dans une poêle en fonte. Un doux grésillement suivi d’une odeur d’œufs emplit rapidement le vide la pièce.

-  « Salut. Ça va mieux» souffla t’il en se retournant.

-  « Cool.. »

Julia dansa d’une jambe sur l’autre, c’était la première fois qu’ils pouvaient vraiment parler.

-  « Qu’est-ce que tu fais ? » dit-elle en se rapprochant de la cuisinière.

L’ancien athlète lui bloqua la route, un sourire s’esquissant à la commissure de ses lèvres.

-  « C’est une surprise »

-  « Oh … »

La perplexité cédant la place à la curiosité, elle s’assit sur l’unique chaise de la cuisine.

-  « C’est quel genre de surprise ? Ca à une odeur bizarre»

-  « Quoi ? Tu trouves ça bizarre ? » s’amusa l’ancien sportif alors qu’il retournait l’omelette.

-  « Non je parlais du fait qu’on marche sur nos pieds » dit-elle en haussant les épaules « Quand t’y pense ce serait vachement plus pratique de marcher sur nos mains non ? On peut les adapter à plus de surface et on aurait plus à se baisser pour ramasser les trucs qui tombent au sol »

-  « Heu ouais, si tu le dis »

Il fit glisser le soufflé dans la vieille assiette de faïence et servit le plat fumant à son hôte.

-  « Ca ne sort pas du distributeur…qu’est-ce que ? »

-  « Goute »

Math se mit à la fenêtre, comme d’habitude le pic de pollution habituel se traduisait par un fin nuage qui couvrait le ciel gris tel du film plastique. Il n’avait jamais pu s’empêcher de se sentir à l’étroit sous cette sombre mer de nuage.

-  « Oh mais c’est trop bon » Elle parlait la bouche pleine.

 « Comment t’a fait un truc comme ça ? »

-  « C’est une omelette classique, honnêtement je crois pas avoir fait quelque chose de spécial» répondit-il en passant la poêle sous l’eau

-  « Une omelette ? Tu veux dire que tu l’as faite avec ça ? » demande t’elle en montrant la cuisinière d’un mouvement de tête.

Comment ça avec ça ? Il n’y a pas dix mille façons de faire une omelette pourtant.

-  « Et ben oui, j’ai bien galéré à trouver des œufs mais au final j’ai eu tout ce qu’il me fallait…pourquoi ? »

La tête baissée sur son assiette, Julia reste silencieuse. Qu’est-ce qu’elle fait au juste ? Y a un truc qui cloche ? Saloperie de vieilles mains qui tremblent, saloperies d’omelettes. Jamais fines quand il faut, trop fines quand elles doivent être épaisses. Elle va faire quoi maintenant ? Relever la tête et lâcher un faux sourire en disant que c’est très bon ?

La jeune femme éclata d’un rire qui mit une éternité à s’éteindre. Un rire franc, clair, sans artifices. Elle essuie la larme qui s’était formée au coin de son œil droit, le regarde comme si c’était un genre de créature fantastique.

-  « T’es sorti par ce temps, blessé, et tu t’es débrouillé pour trouver des œufs et me faire une omelette alors qu’ils en vendent toutes faites au distributeur ? C’est vieux jeu quand même, et un peu fou…»

Matthew explosa subitement.

-  « Je voulais te faire plaisir, je sais même pas ce qui m'a pris ! Je suis là, complètement paumé, àcomater chez toi depuis presque une semaine alors que tu connais que mon nom. Tu trouves pas ça cinglé d’accueillir un étranger comme ça toi ? »

Restant de marbre, Julia prit le temps d’engloutir une bouchée de soufflé, puis elle se leva dirigea à grand pas vers son hôte.

-  « Ouais, c’est cinglé, et j’aurais dû faire quoi ? Te laisser crever la gueule ouverte ? Ou peut-être appeler une ambulance pour qu’un foutu docteur double sa paie en revandant ce qu’il a dépiauté sur tes br.. »

Prenant conscience de son erreur elle s’arréta la bouche entrouverte. Cacha son regard un instant derrière une mèche de cheveux, puis releva la tête vers l’ancien athlète les mains dans le dos.

En lui dépiotant les bras.

-  « Désolé, je me suis emportée, t’a toutes tes raisons d’être méfiant »

Math cligna des yeux plusieurs fois, ses mains s’agitaient de tremblement alors que la cuisinière sur laquelle il était installé commençait un concert d’agaçantes notes suraiguës. Lui chuchotant de sombres propos d’une langue qu’il ignorait. Les bras.

-   « C’est à moi de m’excuser, pas à toi »

John gratta ses biceps doucement du bout des doigts.

-  « Tes..Pour ce qui est de ton problème, je pense qu’il faut qu’on en parle » dit-elle en s’approchant doucement.

Son regard se voulait réconfortant en restant ferme. L’odeur âcre de la cocaïne infiltra à nouveau les narines de l’ancien joueur de football alors qu’il clignait les yeux. Il était assis dans son fauteuil roulant, affalé comme un petit tas de chair nauséeux au milieu d’un monde en décrépitude. Mira le regardait avec un regard horrifié alors qu’elle appelait leurs docteur. La voix de la cuisinière montait dans sa tête alors que Mira lui prenait la tête de ses deux mains, répétant la même phrase interminablement.

-  « 4A.15.48.14 »

Tout était noir.

John sentit alors quelque chose de chaud lui attraper le bras droit. Les ténèbres se dissipèrent et Julia apparut peu à peu.

Il était de retour dans la cuisine crasseuse. Le métro faisait vibrer l’appartement et la pluie claquait contre les fenêtres. La jeune femme lui retira ses gants et mit ses mains dans les siennes en le regardant droit dans les yeux.

-  « Je ne sais pas ce que c’est, mais on va trouver une solution John. Je te le promet »

-  « Il faut que je retrouve San.. »

Elle recula d’un pas.

-  « Distributeur, deux cafés.»

La voix monotone répondit aussitôt.

-  « Bien Mademoiselle Sanchez. »

La machine commença à vibrer bruyamment alors que Julia partait dans la chambre. Elle en ramena la sacoche noire ainsi qu’un gros sac en papier kraft. Sitôt posé sur la table le sac en kraft bascula, laissant tomber un fruit plus que mure qui vint s’écraser au sol dans un plof écœurant.

Math n’en croyait pas ses yeux. C’était une vraie pomme ?

-  « Maintenant John, va falloir que tu me raconte tout. »

Annotations

Vous aimez lire Beleg Doriath ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0