Clair de lune
Aux parents aimants...
Rêverie
J'aime
Quand la neige est rose
Sous les cerisiers J'aime
Quand le printemps pose
Sous les cieux blasés J'aime
Quand ton souffle glose
Sous ton chemisier J'aime
Quand nos deux corps osent
Sous les cerisiers
Il était une fois, dans la petite ville de Pierre-Le-Ray, petit hameau entouré de champs et de forêts, une famille au drame bien singulier. Leur maison était une des plus jolies, et leur jardin faisait la fierté de la mère et du père, qui y passaient les quelques heures que leur laissaient leurs différentes corvées. Le père était ouvrier dans une fabrique de boulons, et la mère employée comme comptable dans une usine de vis. C'était lors de la fusion de leurs deux entreprises qu'ils s'étaient rencontrés, plu et avaient bien vite décidé de se marier. Peu de temps après, il leur était né une petite fille qu'ils prénommèrent Fleur. Tout à leur joie, ils virent grandir leur enfant comme un merveilleux cadeau que leur offrait la vie et, chaque jour, la petite illuminait leur existence. Ainsi en alla-t-il pendant plusieurs années, dans la paix et la douceur de ce foyer.
Cependant, peu après que Fleur eut fêté ses dix ans, son tempérament joyeux commença à s'assombrir. Peu à peu, on ne l'entendit plus rire, on ne la vit plus courir de ci de là, on ne la sentit plus sortir et entrer dans la maison telle un courant d'air entre deux aventures. Peu à peu, la petite devenait solitaire, triste et mystérieuse...
Il était une fois, dans une petite ville de campagne, au cœur d'un joli jardin parsemé de fleurs multicolores et d'arbres centenaires, une jolie maisonnette où vivaient une petite fille et ses parents. Tout était parfait pour que le bonheur soit au rendez-vous, mais la petite fille était triste, terriblement malheureuse... Du matin au soir, et du soir au matin, elle pleurait sans cesse, et partout dans la maison on entendait ses sanglots déchirants. Même lorsqu'elle dormait, de lourdes larmes roulaient le long de ses joues, et des cauchemars lui tiraient de petits gémissements plaintifs à vous fendre l'âme...
Après avoir questionné encore et encore leur enfant, et avoir tenté mille et une approches, les parents, dépassés et ne comprenant rien à la détresse de leur fille, décidèrent de faire appel aux plus grands spécialistes du pays. Médecins, guérisseurs, psychologues, et même des clowns, se succédèrent auprès de la petite, sans jamais obtenir autre chose que des larmes et des sanglots. Enfin, tandis que le dernier espoir allait repartir, avec ses savates démesurées sous le bras, le père, découragé et furieusement désespéré, lui demanda :
« - N'y a-t-il donc rien que nous puissions faire pour guérir notre cher ange ?! »
L'homme au nez rouge s'arrêta alors, semblant réfléchir quelques secondes. Le regard des parents, inquiets et fatigués, était rivé, tendu, aux épaules de l'homme. Enfin, après quelques raclements de gorge et un long soupir plein de lassitude, le clown se retourna et répondit :
« - Il existe peut-être une solution... Mais elle n'est pas sans risque... Toutefois, si vous voulez la rendre heureuse...
- Dites-nous donc ! cria le couple, à l'unisson.
- Bien... Puisque vous le voulez... Vous allez installer la chambre de votre petite fille dans une pièce dont la fenêtre donne sur la lune tout au long de son cycle... Au bout du premier cycle lunaire, votre enfant sera heureuse... »
Le couple se regarda, intrigué mais plein d'espoirs, tandis que l'étrange conseiller aux pantalons trop grands s'éloignait dans la poussière des chemins. Ainsi avaient été les derniers conseils – et les seuls réels – qu'ils eurent, et ainsi fut fait. Durant l'absence de lune, la chambre de la petite fut déplacée, et la raison tue à la petite. Elle en conçut d'ailleurs un chagrin plus terrible encore.
La mère, rongée de doutes quant à leur décision unilatérale sur la base des allégations de cet inconnu, se força néanmoins à patienter le temps d'un cycle lunaire. Le père, tout aussi soucieux, ne voyait pas d'autre alternative et n'osait songer que cela pût ne pas fonctionner... On attendit donc avec fébrilité l'apparition de l'astre dans la maison des larmes...
De son côté, la petite ne comprenait pas pourquoi ses parents avaient bouleversé son univers en l'enlevant à ses murs... Ecrasée de tristesse, elle dormit tant et tant qu'elle ne vit pas passer les quelques jours qui suivirent. Lorsqu'elle se réveilla, il faisait presque nuit. Pour s'en assurer, elle alla jusqu'à sa fenêtre et regarda dehors. Levant les yeux au ciel, elle aperçut sur fond noir un sourire penché qui piqua sa curiosité. Troublée, elle cessa un instant de pleurer, de gémir et de sangloter, pour observer plus en détail cette apparition. Toute la nuit, elle admira le sourire de la lune qui s'éveille, et réfléchit à son malheur, rêvant de trouver un jour quelqu'un qui la comprît.
La nuit suivante, le sourire s'élargit davantage, et ainsi s'accrurent la fascination et les réflexions de l'enfant. Au fil des jours, les parents constatèrent que la petite pleurait moins, et que l'on n'entendait plus ses sanglots à travers toute la maison, ni à toute heure du jour ou de la nuit. Ils reprirent confiance et attendirent encore. Le temps passant, la bouche dans le ciel se fit ronde, et la fillette commença à y discerner un visage. Intriguée, elle laissa échapper un léger sourire et se mit à parler à l'adresse de la lune. Et toutes les nuits elles bavardaient ensemble, à leur façon, et la petite, peu à peu, oublia son chagrin. Cependant, elle oublia également un peu ses parents et l'endroit où elle vivait.
Lorsque la lune fut pleine, Fleur reconnut enfin le visage lunaire. C'était lui. Ce garçon qu'elle attendait depuis si longtemps. Lui qui manquait à sa vie. Leurs conversations n'en furent que plus intenses et intimes. Ses parents, heureux, entendaient désormais par moments, surtout la nuit, de petits gloussements joyeux en provenance de la chambre. Cependant, le visage commença peu à peu à se troubler dans le ciel, et le sourire devint grimace de tristesse. Fleur s'en inquiéta et tenta de retenir son ami. Mais c'était impossible. Elle fit une rechute. En pleine nuit, ses parents entendirent ses sanglots. Ils se regardèrent, anxieux. Mais le clown avait dit qu'elle serait heureuse à la fin du cycle. Encore quelques jours à attendre.
Fleur ne pouvait ni ne voulait se résoudre à laisser partir son seul ami. Chaque nuit, elle s'accrochait un peu plus crispée à sa fenêtre, le visage tendu vers l'astre nocturne. Elle pâlit, prit un air malade. Ses parents, toujours plus inquiets, s'en remettaient à la seule expertise qui ait jamais eu des effets positifs. La lune, peu à peu, poursuivait sa ronde, au désespoir de la petite fille. Et nuit après nuit, elle sentait son corps mourir, s'alléger, devenir presque transparent. Elle ne sortait presque plus de sa chambre, dormait le jour et veillait la nuit, accrochée à sa fenêtre. Son ami ne faisait rien pour rester. C'était à elle d'agir. Lorsqu'il fut presque parti, elle se décida. Elle prit une grande inspiration et se sentit s'élever vers son ami. Elle lâcha le rebord de la fenêtre et s'agrippa aux ailes de la nuit pour disparaître dans les premières lueurs du jour.
Lorsque les parents de Fleur, au matin, vinrent la voir dans sa chambre, ils se figèrent. Devant la fenêtre, par terre, le corps de la petite, sans vie. Sur son visage, ses lèvres dessinaient un joyeux petit croissant de dents blanches. Ils se regardèrent, à la fois effondrés et soulagés. Leur petite fille était partie, oui, ils l'avaient perdue, mais elle avait trouvé le bonheur. Ils laissèrent le petit corps s'effacer avec les derniers rayons du jour et prirent leur retraite. Ils revendirent la jolie maison et partirent en voyage, un tour du monde sans fin.
Dans un village à quelques kilomètres de là, deux jeunes amants, main dans la main et tête contre tête, viennent d'avoir un bébé. Toutes les nuits, on les voit à la fenêtre, enlacés, à regarder la lune et les étoiles. Fleur est désormais heureuse, elle n'est plus seule.
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