Éloge funeste
Au temps qui passe...
Rêve crépusculaire
Quand l'aube a repoussé les ténébreux haillons
De l'horreur pourpre et forte qui chante les ombres,
L'envie, maîtresse libre, moissonne le sombre
Et ses rayons éclatent en tremblants tourbillons.
Sur ces rives blanchies où tombent les oisillons,
Où les gouttes de pluie s'habituent à l'absence,
Notre race supporte la vraie destruction
Qui fait ses provisions de froid et non de sens.
Je rêve d'un désir aux rages de fournaise
Qui réfléchit, fidèle à la prime jeunesse,
L'entrain de qui découvre en tout ce qui est dur
Non pas le crépuscule mais un beau fruit mûr.
Mais au lieu de l'envie, mais au lieu de la vie,
Il n'y a que la crainte en nos coeurs avachis.
Mes amis,
Si nous sommes ici en ce triste jour, c'est pour célébrer ensemble la mémoire de cet Homme qui fut Tout et qui n'est plus rien.
On se le rappelle encore, tout grossier de jeunesse, à tituber dans l'herbe au beau milieu des bêtes ! Il n'y a pas si longtemps, il marchait sur ses mains et se dressait à peine !
Que le temps passe vite quand on vit - quand on aime !
A peine sur deux jambes, il était conquérant, faisant de tout l'outil en vue de la victoire !
Il a bravé le feu ; il a bravé le froid ; il a dominé l'eau ; il a dominé l'air ! Il s'est hissé partout où portait son regard ! Il a bâti partout ses rêves de grandeur !
Il a été génie ! Un Da Vinci, un Hugo ! Il a été l'audace ! Un Colomb, un Gandhi ! Il a été un Dieu ! Un poète, musicien, philosophe, peintre, humoriste, photographe, sculpteur, dramaturge, romancier, styliste, architecte, inventeur ! Il a tout fait, tout tenté, tout pensé !
Il n'aura à la fin raté qu'un seul instant : celui où d'un effort il aurait pu survivre.
Il aura finalement succombé comme tant d'autres, qui sont montés si haut qu'ils en ont oublié où se posaient leurs pieds.
Il est mort par le feu, la faim, la soif, la guerre ; il est mort malheureux, en vain, dans l'odieuse misère.
Il est mort.
Il a péri noyé, brûlé, tué, empoisonné ; il a péri broyé par ses propres machines.
Assassiné.
Le pire dans cette histoire ? Il avait tout compris, tout prévu, tout prédit...
Et il ne s'est pas cru.
Ainsi était cet homme : plein d'orgueil et de doute, grandiose et misérable, sublime et éphémère.
Il avait tout pouvoir, vouloir et même espoir ; il lui manquait pourtant de croire en sa valeur.
Il craignait tant en lui l'échec et la folie qu'il ne voyait en l'autre qu'un danger méprisable ; et pour ne pas porter l'indigne vers les cieux, il s'est agenouillé, courbé, ratatiné, pour mieux le rabaisser.
Et voilà l'Homme éteint à la fleur de son âge, emportant dans la mort son empire et ses ors.
Puisqu'il a opté pour une crémation, il ne reste aujourd'hui que des cendres et des ombres à pleurer en mémoire de ce qui fut son monde, ses possibles, et sa tombe.
Pleurons mes chers ce frère perdu dans l'univers qui a vu la lumière et s'en est détourné, qui n'est plus que poussières et nous laisse endeuillés.
Pleurons mes frères la Terre et son humanité.
Pleurons sans fin la fin de ce qui a été, de ce qui aurait pu, de ce qui ne sera plus.
Pleurons dans notre coeur ce gâchis de la vie si rare sous les étoiles, cette hécatombe d'êtres pour un simple caprice.
Cette extinction de masse dont l'Homme fut le coupable, le complice, le bourreau, la victime.
Souhaitons qu'ailleurs la vie rejaillira en paix pour trouver des chemins différents de cette absurde tragédie.
Observons maintenant, en hommage et pour méditer sur ce drame, une éternité de silence.
Annotations
Versions