Monsieur le barman a fermé son café et s'est rendu de toute urgence à l'épicerie pour acheter des olives. Il questionne Monsieur l'épicier qui est à la caisse :

— Elle est pas là votre dame ?

— Non, répond-il, elle est allée à la boulangerie pour discuter des prix de la tombola de dimanche. Elle n'est pas d'accord avec Madame la boulangère sur qui sera le préposé au tirage. Quand faut se chamailler, elles en ratent pas une ces deux-là, ah les bonnes femmes j'vous jure ! Au fait vous avez su pour le facteur ?

Surpris par cette question, Monsieur le barman ouvre de grands yeux

— Comment ? Vous le savez aussi ? Alors ça... tout le monde est au courant ses activités de maître-chanteur, sauf moi !

— Quoi ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire encore ? Je vous demandais si vous saviez qu'il avait une liaison avec notre chère maire, pourquoi vous parlez de chantage ?

— Oh ! Non, pour rien.

Devant l'insistance de Monsieur l'épicier, le barman lui relate la conversation qu'il a eu plus tôt.

— C'est juste une hypothèse de la coiffeuse. Elle pense que c'est avec cet argent qu'il joue aux cartes. Paraît qu'il connaît la véritable identité d’Élisabeth, et il se fait payer pour son silence.

En entendant les « révélations » de son client, Monsieur l'épicier siffle longuement.

— Ouh beh ! Si je m'attendais à ça ! Décidément, on en apprend de belles aujourd'hui ! Mais dites-donc, c'est pas chez vous qu'il joue son argent ?

— Euh... oui, balbutie Monsieur le barman. Bon, écoutez, il faut que je vous avoue quelque chose. Vous me promettez de ne pas l'ébruiter ? Des gens comptent sur ma discrétion.

— Évidemment, pour qui me prenez-vous ? Ce n'est pas mon genre de propager des racontars, vous pouvez parler en toute tranquillité.

— Voilà, deux fois par semaine, la nuit, j'organise des tournois de cartes dans la cave de mon café. Et bien souvent, le facteur quitte les lieux en compagnie de la p'tite fleuriste.

— La fleuriste ? Je croyais qu'elle fricotait avec le marchand de journaux.

— Moi aussi. Je sais pas trop ce qu'elle traficote avec le facteur.

— Eh ben, ça marche bien votre affaire, vous avez une belle petite clientèle dites-moi ! ajoute Monsieur l'épicier d'un ton sarcastique.

— Oui... Euh... Enfin, j'ai pas à me plaindre.

Soudain, un éclair de génie traverse l'esprit de Monsieur le barman

— J'y pense, la p'tite fleuriste demande souvent à votre dame de lui apprendre à jouer au rami, n'est-ce pas ?

Monsieur l'épicier acquiesce d'un signe de tête.

— Et si elle profiter de l'occasion pour connaître quelques secrets ? Elle lui pose des questions ?

— Ouais. L'aut' jour elle lui a supplié de lui donner sa recette de quiche aux légumes. Vous êtes la reine des quiches, qu'elle disait !

— Voyez, elle use la flatterie pour soutirer des informations. P'tête ben qu'ils sont complices avec le facteur, ils font chanter le village.

— Et pour quelle raison ils feraient ça ?

— J'sais pas moi ! L'appât du gain, répond Monsieur le barman en haussant les épaules.

Monsieur l'épicier fait signe de se taire à son interlocuteur car une personne s'apprête à entrer dans le magasin à son tour. Monsieur le facteur salue les deux hommes chaleureusement.

— Bonjour messieurs ! Quel temps magnifique aujourd'hui ! J'ai une lettre recommandée pour vous, ajoute-t-il en s'adressant à Monsieur l'épicier.

Tandis que Monsieur l'épicier signe son courrier, Monsieur le barman quitte la boutique et s'en retourne à son café. Sur le chemin, il croise Madame l'épicière, ils s'échangent de brèves salutations, puis cette dernière rejoint son mari à l'épicerie.

— Je reviens, lui dit-il en l'embrassant sur la joue, j'en ai pas pour longtemps. On n'a plus de grandes enveloppes, je vais chez le marchand de journaux, il doit avoir la dimension dont j'ai besoin.