Chapitre 2
Jocelyn, le grand frère de Yoann, un échalas roux aux cheveux longs et gras, se mit à rire bruyamment sous la couverture, dévoilant de vilaines dents jaunies par un abus de bonbons à la réglisse :
- Tonton, tu te moques de nous ! Les esprits malins, c’est des histoires pour les bébés, ça ! Personne n’y croit plus !
Charly ne se démonta pas. Une expression grave se dessina sur son visage. “Mon neveu est un esprit fort, mais j’arriverai à le convaincre… Après tout, je n’invente rien”, pensa-t-il.
- Détrompe-toi ! Les esprits malins existent, j’ai été en contact avec eux, moi qui suis là, devant vous ! L’histoire que je vais vous raconter, je l’ai vécue, je l’ai subie, ce n’est pas une légende ! Et méfie-toi...car toutes les personnes qui osent se moquer des esprits, ou même simplement remettre leur existence en question, s’exposent à de graves dangers !
Jocelyn fit la moue, peu convaincu, et saisit dans sa poche un bâton de réglisse qu’il se mit à mâchonner distraitement. Se rendant compte qu’il avait pris en fait un vieux stylo tout taché d’encre, il se pencha sur sa gauche, cracha discrètement par terre un liquide bleuâtre épais, rangea son crayon dans sa poche, vérifia que personne n’avait fait attention à lui, puis fouilla à nouveau pour trouver cette friandise au goût de mélasse.
Charly reprit son récit, et décida de parler au présent, pour lui donner plus de force et le rendre plus vivant :
- Imaginez une nuit sans lune, une de ces nuits où la lumière ne vient que de la mer. Il fait un temps clair, idéal pour observer les millions d’étoiles qui peuplent le ciel...
Jocelyn l’interrompit. Il avait pris l’habitude de couper la parole de ses interlocuteurs pour les corriger ou les complèter...pour étaler ses connaissances, en somme. Cela le prenait comme une envie irrépressible, et ce réflexe - car c’était devenu un réflexe - avait le don d’agacer ses professeurs, incapables de poursuivre leur cours sans se faire corriger à tout bout de champ. Le pire était qu’il avait raison la plupart du temps et sabordait en permanence leur assurance.
Avec un brin d’arrogance mêlé à une certaine excitation, il lança :
- Est-ce que tu sais qu’on ne voit que deux mille étoiles à l’oeil nu, au maximum ? Alors quand tu dis qu’on en voit des millions, c’est erroné, tonton ! Pas plus de deux mille ! L’oeil humain ne peut pas en voir plus ! Et encore, il ne faut pas qu’il y ait de pollution lumineuse car sinon, c’est beaucoup moins ! C’est fou, non ?
Charly haussa le sourcil droit, puis leva la tête, ne pouvant s’empêcher de jeter un regard vers la voûte céleste pour commencer à compter. Il abandonna très vite, puis, vexé, lança un regard noir à son neveu, qui signifiait qu’il ne tolèrerait plus la moindre interruption dans son récit.
- C’est très intéressant dis-moi, mais laisse-moi continuer. Je me souviens très bien, essayez de vous représenter la scène. Concentrez-vous, et faites fonctionner un peu votre imagination : Il fait nuit, nous décidons de nous dégourdir un peu les jambes, et marchons de front sur le chemin de bord de mer en discutant. Quand tout à coup, une sonnerie de téléphone portable retentit dans sa poche. Il le saisit immédiatement, le colle à son oreille, mais il n’y a personne au bout du fil ! Il vérifie son écran, son téléphone est éteint !
Jocelyn, sceptique, lui coupa la parole à nouveau.
- Il devait ne plus avoir suffisamment de batterie, et l’appel a complètement déchargé son téléphone, tout s’explique !
Les deux autres enfants murmurèrent, tandis que Charly, à bout, hurla ces mots :
- Assez ! Tais-toi et laisse-moi finir, monsieur-je-sais-tout !
On n’entendit plus que le murmure des vagues. Les trois enfants étaient pétrifiés et n’osaient plus bouger face à cet homme debout, tendu, effrayant, avec ces cheveux ébouriffés qui lui donnaient des airs de dément. “Quel spectacle étrange donne-t-il, avec ses gestes fous, en essayant par tous les moyens de nous imposer son histoire à dormir debout ! Il n’est pas dans son état normal”, se dit Jocelyn, abandonnant toute tentative de raisonner son oncle.
- Bon. Pas de commentaires ?
En réponse à cette question, un goeland argenté, perché coup tendu sur un rocher, exhala un long pleu, comme un défi lancé à Charly : “IARKKKKKKKK !!!"
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