Chaptire 3 : Une mer froide
Les pieds dans le sable, Annabelle et sa mère sirotaient un cocktail tranquillement installées au bar de la plage à Wissant. Les vacances allaient bientôt commencer et elles en profitaient pour préparer leurs peaux aux rayons plus agressifs qui les attendaient dans le sud. Leurs ressemblances se limitaient à leur teint et à leurs yeux marbrés dont la couleur pouvait légèrement varier en fonction du temps et de leur humeur. La coiffure ondulée d'Annabelle était un peu sauvage, d'un châtain clair qui se teintait de reflets roussis pendant la belle saison. Ingrid portaient ses cheveux blonds cendrés dans une coupe au carré qu'elle lissait précautionneusement chaque matin. Annabelle, qui venait de finir ses examens, avait proposé à sa mère de l'accompagner avant qu'elle ne rejoigne ses amis. Inquiète de la voir de plus en plus minée par la solitude, elle essayait de la distraire à chaque fois qu'elle en avait l'occasion.
- Je pense avoir réussi tous mes cours, je croise les doigts pour qu'il n'y ait pas de mauvaises surprises lors e de l'annonce des résultats. Et après, à moi l’Argentine, chantonna Annabelle.
- Tu as toujours bien réussi, j'ai confiance en toi, lui assura sa mère.
Ingrid fixait la mer face à elle. Annabelle tû. Elle savait que sa mère se tenait immobile à chaque fois qu’elle s’efforçait de contenir ses angoisses.
- J’espère que tu seras en sécurité là-bas, finit-elle par dire après un moment.
- Ne t'inquiète pas, Papa m'a déjà envoyé les coordonnées de l'ambassade et il m'a donné le nom d'une de ses connaissances qui y travaille. Il a aussi confirmé qu'il essaierait de venir me voir dès qu'il aura un week-end de libre.
- C'est malheureusement trop loin et trop cher pour que je puisse te rejoindre aussi, soupira Ingrid. J'aurais aimé t'accompagner et m'assurer que tu étais bien installée.
- Je serais dans la résidence universitaire et je me ferai rapidement des amis sur place. Et il y a une autre étudiante qui vient aussi à Cordoue. On a prévu de faire le voyage ensemble.
- Oui, je sais que tu te fais facilement de nouveaux amis.
Dans leur tandem, c'était toujours Annabelle qui engageait la conversation lorsqu'elles rencontraient des inconnus, une qualité qui lui venait de son père. Ingrid était une introvertie sociale, elle avait besoin de temps pour interagir avec son entourage.
- En tout cas, cela me dérange que tu ailles chez ton père juste avant ton départ et non pas en juillet comme prévu, poursuivit-elle d'un ton plus cassant qu'attendu. Il bouleverse toujours notre organisation sans tenir compte de mon emploi du temps. C'est sans doute encore sa maîtresse qui aura voulu changer leurs projets de vacances.
- Maman, tu sais que je n’aime pas t’entendre dire du mal de papa, coupa Annabelle. Ta rancœur t'empêche de vivre et moi, je ne suis pas ton déversoir émotionnel.
Puis, se rappelant la solitude qui attendait sa mère, elle se radoucit et poursuivit :
- Arrête de rebobiner sans cesse votre histoire, il est temps pour toi d'avancer. Tu es encore belle pour ton âge, tu pourrais rencontrer quelqu’un.
- Alors là, je ne sais pas si je dois me focaliser sur le compliment ou entendre un reproche. En tout cas, cela me fait plaisir que tu dises que je suis une belle femme.
Annabelle ne comprenait pas que sa mère ne cherche pas à refaire sa vie. Sa mère lui donnait trop de place dans sa vie, et elle avait parfois l’impression d’être prisonnière. Elle ne manquait jamais une occasion de la complimenter lorsqu’elle faisait des efforts pour s’apprêter mais elle lui reprochait aussi de ne pas être heureuse en couple, comme si elle appréhendait de recréer le même modèle de couple pour elle. Aujourd’hui, sa mère avait décidé de retenir le compliment, annihilant immédiatement la tension qui aurait pu monter entre elle. Annabelle en profita pour poursuivre la discussion sur ses projets d'avenir. Elle aimait beaucoup sa mère mais voulait profiter de son célibat actuel pour voyager, au moins pendant quelques années.
- Je vais bientôt partir pour quatre mois, mais après je compte postuler à l'étranger. Je n'ai pas encore décidé si je préfère le droit international ou le droit de l'environnement mais mon expérience en Argentine sera un atout pour moi si je choisi l'international.
Ingrid changea alors de discussion, évitant que la conversation ne s’envenime. Sa mère lui avait un jour raconté qu’elle avait été une femme impulsive dans sa jeunesse et que c’était son père qui avait fait d’elle une épouse réfléchie et diplomate capable d'assurer les devoirs de représentation qui lui incombait.
- Il n'y a pas toujours du soleil ici, mais l'océan est à moins de deux heures de route et j'apprécie beaucoup cette petite ville située entre les deux caps. Quand rejoins tu Zoé pour votre week-end entre amis ?
- Ils m'attendent pour 18 heures. Son cousin me reconduira chez nous à la fin séjour quand tu seras déjà partie. Nous pouvons profiter de l'après-midi toutes les deux.
***
Le temps qu'Ingrid passait avec sa fille était toujours trop court à ses yeux et l'heure de la séparation arriva sans qu'elle s'en rende compte. Elle se leva et embrassa sa fille lorsqu'elle lui demanda, probablement pour lui rappeler un projet agréable avant son départ.
- As-tu prévu de repasser chez Édith ce soir pour organiser les derniers détails de votre voyage.
- Je passerai la nuit chez elle demain soir car elle habite près de la gare. Ensuite nous rejoindrons ensemble l’aéroport de Bruxelles nationale en train pour un vol direct sur Faro le matin.
Ingrid avait rencontré Édith lors d'un stage de réinsertion professionnelle destiné à les aider à définir l'emploi qui leur conviendrait le mieux. Les activités d'improvisation théâtrales mises en place pour stimuler leur créativité avaient brisé la glace entre les participants. Édith, qui avait été l'épouse d'un coopérant et avait vécu pendant plusieurs années en expatriation, la comprenait mieux que quiconque. Elle avait suivi son conjoint lors de ses déplacements en Afrique et en Amérique Centrale jusqu'à la naissance de leur second enfant. A l'époque, ils avaient estimé qu'il était plus confortable qu'elle reste avec leurs deux fils et leurs nourrices dans leur maison du bord de mer au Honduras pendant qu'Alexandre effectuait ses nouvelles missions en Afrique. Une décision pratique qui lui permettait de vivre dans un lieu paradisiaque. Pourtant, les autres épouses de coopérants l'avaient prévenue qu'il ne fallait pas laisser son mari seul pendant plusieurs mois là-bas. Il y avait tant de jeunes africaines prêtes à offrir leurs charmes à un homme blanc pour essayer de sortir de leur misère. Et l'inévitable s'était produit. Lorsqu'Edith découvrit que son époux menait une double vie, elle demanda le divorce et rentra au pays avec leurs enfants.
- Es-tu sûre que ce soit une bonne idée de partir en vacances avec Édith, maman ? Je vous entends toujours vous disputer lorsque vous êtes à l'appartement.
- Nous ne nous disputons pas ! Nous échangeons des points de vue différents, précisa Ingrid. Son tempérament véhément doit venir de ses origines africaines.
Les deux femmes se connaissaient depuis plus d'un an et elles avaient prévu de partir en vacances ensemble cette année, pour la première fois. Une agréable perspective qui rendait le sourire à Ingrid.
- Vous êtes pourtant parfois effrayantes, maman. Tu ne t’exprimes pas comme cela d’habitude.
- C’est vrai. Mais nos échanges sont toujours constructifs, même si je les trouve parfois fatigants. En tout cas, nous avons prévu de ne pas nous prendre la tête pendant ces vacances au Portugal. Je n’ai aucune crainte concernant la semaine que nous allons passer ensemble.
Alors qu'Ingrid avait initialement décidé de passer par le cap gris nez sur le retour, elle décida de rentrer directement et de passer chez son amie pour discuter des derniers préparatifs avant leur départ. Elle avait affirmé que ses vacances se passeraient bien, mais quelques doutes persistaient.
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