Chapitre 7 : La dernière nuit avant la tempête 4/4
- Ce sont des runes, mais plus anciennes encore que celles utilisées pour créer et structurer les enchantements. Personne ne sait d’où elles viennent, mais nous autres sorcières pensons qu’il s’agit d’une écriture qui émane directement de la Déesse. On leur donné le nom de Génèglyphes, l’Ecriture du Commencement. Et au vu de leur ressemblance avec les runes modernes que nous utilisons, il est fort probable que ces dernières aient été créées à partir des Génèglyphes… Maintenant je comprends mieux pourquoi Cassandra m’avait mise en garde contre le pouvoir des Monolitiks, et la raison pour laquelle seules les sorcières les plus expérimentées peuvent prétendre s’en servir… même si je ne suis pas certaine que quelqu’un ait déjà réussi à en tirer le plein potentiel.
Naru toucha le cristal blanc, et la surface de ce dernier réagissant à son contact, se couvrit de symboles écarlates.
- Pour utiliser le pouvoir du Monolitik, il est nécessaire d’utiliser les Génèglyphes.
- Je vois, et comme c’est une écriture dont personne ne comprend la signification… murmura Philippa.
- Attends deux secondes, intervint Triss. Il y en a bien qui la comprend, non ? Naru, tu as déclaré que certaines sorcières savaient se servir des Monolitiks… Elles ont forcément dû utiliser les Génèglyphes !
- Bien sûr, acquiesça Naru. Depuis le temps que nous les étudions, nous avons réussi à comprendre certaines d’entre elles. Cassandra m’en a déjà montré quelques-unes, et en m’aidant de mes grimoires, j’ai réussi à en déchiffrer d’autres… enfin je crois. Car en fait j’ai peut-être tout faux depuis le début, impossible d’être certaine… Je n’aurai de certitude qu’après les avoir utilisées… et si j’ai tort, mon erreur causera au mieux ma désintégration totale, et au pire cela pourrait même détruire cette région entière.
Bouches bée, la jeune Nocturii et l’espionne échangèrent un regard. Triss se demanda pendant un instant si Naru n’avait pas perdu la raison, ou n’exagérait pas un peu. La sorcière avait pourtant l’air on ne peut plus sérieuse…
- De quoi est-ce que tu parles ? l’interrogea Philippa.
- Il y a une raison simple pour laquelle on utilise un autre alphabet runique que les Génèglyphes pour créer des enchantements et des sortilèges, même si les Génèglyphes sont en théorie bien plus puissantes. Le problème, c’est qu’à travers de nombreuses expériences tragiques et dévastatrices, les sorcières qui les ont étudiées se sont rendu compte qu’il existait plusieurs règles inviolables qui restreignent l’utilisation des Génèglyphes. Pour commencer le mot « mensonge » et tous ses synonymes n’existent pas dans cet alphabet. J’entends par là qu’aucun son, qu’aucune rune ne peuvent être utilisés pour écrire ou décrire le mensonge dans cet ancien langage. C’est tout bonnement impossible. De ce fait, découle la deuxième règle : mentir est également interdit en utilisant les Génèglyphes. La troisième règle, c’est que l’Ecriture du Commencement, que ce soit dans sa traduction orale ou orthographique, ne tolère aucune faute, qu’il s’agisse de fautes d’écriture, de syntaxe, ou même une simple erreur de prononciation. Et enfin la quatrième règle stipule que toute utilisation des Génèglyphes doit être menée avec la plus absolue conviction : sans aucun doute, remord, ou une quelconque réticence…
- D’accord, mais je ne vois pas pourquoi il serait si compliqué d’utiliser les Génèglyphes si l’on respecte toutes ces contraintes ! protesta Triss.
- Moi si, répliqua Philippa en se tournant vers Naru. Il y a une cinquième règle, n’est-ce pas ?
Naru acquiesça.
- Peut-être y en a-t-il d’autres que nous n’avons pas encore découvertes, car après tout la connaissance des sorcières dans ce domaine se limite à la signification de certains symboles, quelques principes de conjugaison… Et ce maigre savoir, comme je vous l’ai dit, a été gagné au prix de nombreux sacrifices. Parce que la cinquième règle, c’est que toute violation des règles précédentes entrainera un désastre inévitable, dont le moindre mal est l’éradication complète du fautif. Mais cela peut aussi se solder par la destruction de régions entières… C’est ça, le pouvoir effrayant que renferme l’Ecriture du Commencement. Si je commets une quelconque erreur en l’utilisant…
Elle laissa sa phrase en suspens, mais Triss n’avait pas manqué de remarquer dans la voix de la sorcière un tremblement témoignant de son angoisse. La jeune fille déglutit, mais plus que sa propre peur elle éprouvait un élan de compassion pour son amie. Leur survie à tous dépendait de Naru et de sa capacité à contrôler le Monolitik. Si elle échouait, nul ne s’échapperait d’ici. Pire, ils risquaient tous l’anéantissement.
Et c’est avec cette pression titanesque sur les épaules que Naru devait parvenir à déchiffrer et à comprendre le fonctionnement du Monolitik, un artefact ancien et mystique que seules les plus expérimentées des sorcières savaient utiliser… et qui plus est, en moins de deux jours seulement ! Triss était étonnée que Naru ne fût pas pétrifiée par l’angoisse. Elle préférait largement avoir à se battre demain plutôt que de porter une telle responsabilité sur ses frêles épaules…
- Donc pour remettre en service le Monolitik, tout ce que tu dois faire est de te servir des Génèglyphes pour l’activer afin d’ouvrir un passage, c’est cela ? voulut s’assurer Philippa.
- Résumé ainsi, cela semble bien plus facile ! ironisa Naru. Mais c’est à peu près ça, oui. Je sais comment le Monolitik fonctionne, enfin en théorie. Ce que je cherche maintenant, c’est comment composer un sortilège parfait dans un langage qui peut tous nous tuer instantanément au moindre faux pas… Mieux encore, c’est que je n’aurai le droit qu’à un seul essai…
- Et tu… penses y arriver ?
- Si tu m’avais posé la question il y a deux jours, je t’aurais répondu que c’était impossible. Même Cassandra en aurait été incapable avec aussi peu de temps devant elle. Cela dit, c’est étrange… mais quand je suis ici, j’ai comme l’impression que mon esprit devient plus… vif. J’arrive à établir des connexions entre les runes et à en deviner le sens avec une telle assurance que j’ai parfois l’impression qu’on me murmure les réponses à l’oreille, vous voyez ?
- Pas vraiment, répondirent honnêtement Philippa et Triss en échangeant un nouveau regard inquiet sur la santé mentale de leur camarade.
- Laissez tomber, grommela Naru. Ce que je veux dire, c’est que j’ai l’impression qu’être près du Monolitik influence mon raisonnement, comme s’il souhaitait partager ses connaissances avec moi… C’est difficile à croire, mais j’ai déjà déchiffré de nombreux caractères qui semblent n’avoir jamais été élucidés auparavant ! C’est une avancée gigantesque dans l’étude des Génèglyphes. Peut-être que si nous survivons à cette histoire, je pourrais consigner toutes ces découvertes par écrit, afin que ce savoir ne se perde plus jamais…
Le regard un instant brillant, Naru poussa finalement un soupir découragé.
- Mais si j’ai déjà établi quelques pistes sur la façon dont le sortilège doit être rédigé, il y a encore trop de choses que j’ignore, notamment sur la prononciation de certains mots et sur la grammaire… Plus les heures disparaissent, plus j’ai l’impression de perdre le fil. Et puis… Je n’ai jamais lancé de sortilèges de cette ampleur, même au cours des rituels ! C’était toujours Cassandra qui s’occupait du principal, je ne faisais que l’assister ! Même si nous n’avons pas le choix… j’ai peur de ne pas être à la hauteur, et par conséquent de tous nous condamner par mon incompétence.
Triss posa une main réconfortante sur l’épaule de son amie.
- Tu y parviendras, la rassura-t-elle. Comme tu as réussi à briser mes entraves, à sauver Sheamon et à libérer Philippa… je sais, Naru, que tu réussiras encore une fois. Tu as déjà tenu tête à Cassandra, et maintenant je suis certaine que tu vas la surpasser !
- Parfaitement d’accord, approuva Philippa. En ce qui me concerne, je vanterai à quiconque voudra bien m’entendre tes mérites de guérisseuse, sorcière.
Cette dernière pouffa de rire, avant d’esquisser un sourire un peu plus assuré.
- Merci à vous deux, leur dit-elle avant d‘inspirer profondément et de lâcher d’une voix raffermie : avec une telle confiance, je n’ai pas le droit d’échouer, alors… Il est temps de se remettre au travail !
- On peut t’être utiles ? proposa Triss.
- Honnêtement, non. Allez-vous reposer autant que vous le pouvez. Votre condition physique risque d’être tout aussi cruciale demain que ma propre tâche…
Triss hocha la tête. Elle connaissait le plan de Jonas. Alors après avoir souhaité bonne chance à son amie, elle et Philippa se retirèrent sans discuter.
Sitôt dans le tunnel, loin des oreilles de Naru, Triss interrogea Philippa :
- De quoi Naru et Liam ont-ils parlé quand je n’étais pas là ? demanda-t-elle.
- Ne compte pas sur moi pour te lâcher le morceau, Triss, répondit Philippa avec amusement. Si elle ne veut pas te le dire, ce n’est pas à moi de te le révéler. Je lui dois bien ça.
Triss fut un peu vexée de la réaction de Philippa, même si elle comprenait ses raisons.
- Je vois… marmonna-t-elle.
- Allons, ne le prends pas mal. Au fait, comment s’est passée ta conversation avec l’ange ?
Pendant un instant, la jeune fille fut tentée d’imiter Philippa et de ne pas répondre, mais elle savait que ce serait mesquin de sa part. La voix de l’ancienne espionne laissait percer une inquiétude sincère pour elle. Aussi décida-t-elle de tout lui raconter.
Au fur et à mesure que Triss lui résumait sa discussion avec Meira Lynn, le visage de Philippa se contractait, comme si elle contenait sa colère.
- Et bien sûr, tu lui as répondu tout de suite que son offre ne t’intéressait absolument pas et qu’il n’était pas nécessaire d’y réfléchir, n’est-ce pas ? l’interrogea-t-elle d’une voix sèche.
- Euh… non. Comme je te l’ai dit, je lui donnerai ma réponse si nous survivons demain…
- As-tu perdu l’esprit ? s’emporta Philippa en s’arrêtant net, forçant Triss interloquée à faire de même. Tu sais combien l’Eglise déteste et craint notre peuple, non ? Ils ont lancé d’innombrables chasses aux monstres pour exterminer les vampires, pacifiques ou non ! L’Eglise ne veut pas seulement renverser Némésis et les Nocturii, elle veut éradiquer toute notre race !
- Je… je sais bien que c’est risqué, mais je ne pense pas qu’il soit impossible de négocier avec eux ! protesta Triss. Oncle Sirius entretenait de bons rapports avec l’Eglise !
- Crois-moi, Sirius était un excellent politicien, et il savait fort bien que les anges étaient dangereux. C’est pour cela que même s’il a toujours veillé à garder des relations cordiales avec eux, il s’est plutôt rapproché des démons et des exorcistes dans une moindre mesure. L’Eglise tolérait le Quartier Umbrella parce que nous n’étions pas une menace, mais surtout parce que l’idée d’une colonie vampire qui n’était assujettie ni à Némésis ni à Dracula les séduisait. Cependant si les anges avaient su qui tu étais à l’époque, ils n’auraient pas hésité à raser le refuge eux-mêmes pour te récupérer. Pour eux, nous sommes des nuisibles que seule la lumière du soleil empêche de proliférer… mais toi, tu as potentiellement le pouvoir de changer cela ! Ce qui fait que pour les anges, tu es une menace primordiale, peut-être encore plus grande que Némésis ou Dracula. L’Eglise voudra te neutraliser à tout prix. Et cette escouade d’anges qui a été lancée à ta poursuite n’a sûrement pas été choisie au hasard. On ne confie pas ce genre de mission à des personnes incompétentes ou dont la loyauté est questionnable…
- Tu as raison sur de nombreux points, concéda la jeune fille sans se laisser démonter. Mais Meira Lynn n’est pas comme ça. Elle est trop… honnête. Je ne pense pas qu’elle me tromperait ainsi pour ensuite me livrer à ses supérieurs.
- Admettons… Mais que se passerait-il si sa trahison était découverte ? poursuivit l’ancienne espionne. Si par exemple, les anges arrivaient à remonter ta trace et à te capturer ?
- Ecoute, s’agaça Triss. Je connais les risques que sa proposition comporte, et j’éprouve aussi beaucoup de méfiance vis-à-vis de l’Eglise. Seulement si sa famille possède autant de moyens qu’elle le dit, on pourrait peut-être te guérir plus ra…
- Cela n’a aucune importance ! rétorqua Philippa. Triss, ce que tu dois chercher avant tout, c’est ta propre sécurité ! A côté, ma vie n’a aucune valeur.
- Elle en a pour moi ! explosa Triss avec colère.
Son éclat réduisit momentanément l’ancienne espionne au silence. Triss s’en voulut aussitôt d’avoir haussé la voix, mais la négligence dont faisait preuve Philippa envers sa propre vie la rendait hystérique…
- Excuse-moi, murmura-t-elle, peinée. Je ne voulais pas…
- Je suis faible, Triss.
Cet aveu, prononcé d’une voix fatiguée et attristée, figea la jeune fille. Philippa esquissa un sourire attendri.
- Tu as grandis, reconnut celle-ci avec fierté. Et tes pouvoirs ne cessent de se renforcer. Un jour, tu seras capable de tenir tête aux plus grands de ce monde. Mais moi ? Mon corps est brisé, usé jusqu’à l’os, à tel point que c’est un miracle que je sois encore debout... Je ne suis qu’un poids mort pour toi.
- C’est faux ! réagit vivement Triss. Tu es…
- C’est un fait Triss, et ne pas le reconnaitre serait une erreur de ma part. Mais ce n’est pas comme si je voulais mourir, rassure-toi. Je veux moi aussi goûter à la liberté que j’ai enfin retrouvée, et par-dessus tout je veux être avec toi. Cependant, ton bonheur et ta sécurité sont ma priorité. J’userai de tout ce qu’il me reste de forces pour que tu disposes de la liberté que tu mérites, quitte à sacrifier ma vie...
Triss déglutit, incapable de répondre à cause de l’émotion qui lui serrait la gorge. Toutefois Philippa n’attendait pas de réponse et poursuivit :
- Je me trompe peut-être, mais je pense que le renégat est celui qui est le plus à même de te protéger. Lui tient vraiment à toi, il te sera loyal.
- Tu parles comme si tu n’allais plus être à mes côtés… murmura Triss d’une voix brisée.
L’ancienne espionne s’approcha et la serra dans ses bras avec tendresse. Triss, malgré les larmes qui menaçaient de couler, parvint à les retenir et s’abandonna à cette chaleureuse étreinte.
- Je serai toujours à tes côtés Triss, maintenant et à jamais, assura Philippa. Mais je serais naïve d’ignorer le risque que nous allons courir en affrontant Forlwey. C’est pourquoi je veux être certaine que, même si je disparais, tu auras des alliés sur qui compter. Le devin, la sorcière, et le renégat, par exemple, sont dignes de confiance. Surtout Sheamon Wave ; il est puissant, intelligent et il ne reculera devant rien pour te protéger. Ton oncle a bien choisi ton protecteur…
Philippa s’écarta de Triss, et replaça une mèche sur son front avec un sourire nostalgique.
- Je veux que tu me promettes de protéger ta vie et ta liberté à n’importe quel prix, lui demanda-t-elle en reprenant un air grave. Si jamais Forlwey me capture et me prend en otage pour te forcer à te rendre tu dois me jurer de…
- Hors de question ! répliqua Triss en secouant vivement la tête. Je refuse que d’autres se sacrifient encore en mon nom… et surtout je refuse de te perdre, toi !
- Triss…
- Je ne prononcerai pas ces paroles Philippa, parce que je n’ai aucune intention de les honorer, l’interrompit Triss d’une voix sans appel, avant d’adoucir son ton. La seule chose que je peux te promettre en revanche, c’est que je ne partirai pas sans toi. On s’en sortira toutes les deux, ou aucune n’en réchappera. Cela, j’en fait le serment !
Elle lança un regard agressif à Philippa en lui tendant son bras. Il était hors de question de laisser à l’espionne le temps de répliquer.
- Et je veux que tu me le promettes aussi ! la menaça-t-elle. Sans quoi je ne t’adresserai plus jamais la parole !
D’abord déconcertée par le changement soudain d’attitude de Triss, Philippa éclata de rire. Ce son rappela à la jeune fille les moments heureux partagés dans leur vie confortable et protégée au Quartier Umbrella, lorsque celle qu’elle considérait comme une sœur riait avec elle aussi aisément…
Une autre époque.
- Cet aspect de ta personnalité n’a pas changé au moins, s’amusa Philippa. Ton entêtement rendait parfois ton oncle hystérique… et moi aussi d’ailleurs ! Toujours à faire les quatre cents coups et à te mettre dans des situations plus improbables et dangereuses les unes que les autres…
- Mais je ne compte pas changer, répondit Triss en lui rendant son sourire.
Avec un regard attendri, l’ancienne espionne saisit l’avant-bras de Triss en signe d’acceptation.
- Marché conclu, princesse, lança-t-elle. Alors nous nous échapperons de cet enfer toutes les deux…
- Ou aucune n’y parviendra, acheva Triss d’une voix légèrement tremblante qu’elle s’efforça de raffermir. Mais d’une manière ou d’une autre, nous resterons ensemble…
A suivre...
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