Je suis l'Univers
Il a des traits normaux, un sourire accueillant, des cheveux impeccablement coiffés. Ses vêtements sont taillés parfaitement à sa morphologie, il est ni trop maigre, ni trop grand, ni trop petit. Il a un visage passe-partout.
Il ressemble à n'importe quelle personne frappant à la porte de n'importe qui. Tu le fixes, te demandant ce qu'il te veut, et pourquoi il était venu à cette heure-ci.
- Que me voulez-vous ?
- Vous avez des questions à me poser.
- Quoi ?
L'inconnu te sourit, faisant apparaître des dents blanches parfaitement alignées.
- Je suis l'Univers.
Il faut attendre quelques secondes que l'information te monte à la tête. Tu fronces les sourcils, te demandant quelle blague on te faisait. L'homme ne bouge pas, attendant ta réaction.
- Vous vous moquez de moi.
- C'est vrai que ce n'est pas courant. Sachez que, une fois par an, je descends voir une personne pour qu'elle me pose des questions. Attention, vous n'avez droit qu'à dix questions, vous en avez déjà posé deux.
Tes yeux s'écarquillent. Tu passais ta soirée tranquille et voilà qu'un taré vient sonner à ta porte, à 23h, pour te raconter des conneries ! Tu en as déjà marre et t'apprête à lui fermer la porte au nez.
- Partez d'ici ou j'appelle les flics !
- Tu t'appelles M., tu es étudiante, tu rêves de devenir écrivaine, mais tu es rongée par l'anxiété et par une dépression. Tu passes tes soirées à scroller sur les réseaux, espérant oublier le sentiment de vide et de solitude que tu ressens en permanence. Tu essaies de paraître heureuse, mais au fond, tu perds de plus en plus la motivation de tenir. J'ai faux ?
Ton regard noir lui en dit long, et il sourit davantage. Surtout qu'il a osé te tutoyer... Mais bon, tu détestes le vouvoiement. Et il ne semble pas condescendant, juste étrange. Et effectivement, tu ne te sens pas à l'aise. Tes mains sont moites, ta gorge sèche, et surtout, comment ce type a réussi à traverser le portail et le jardin pour venir ici ?
- Ecoute, je peux rester ici et répondre à tes questions. Ensuite, je partirai. Tu n'as rien à perdre... À part du temps. Mais tu ne fais pas quoi que ce soit de productif, pas vrai ? Tu viens de le penser à l'instant.
Le choc se lit sur ton visage, il a trouvé juste, et il le sait. Il est tard, mais tu sais que tu ne partiras pas te coucher maintenant. Pourtant tu es fatiguée, fatiguée de tout, de tes études, de toi-même, du bruit constant de l'IUT... Alors, tu décides de rentrer dans le jeu. Au pire, si c'est un psychopathe... Tu ne perdras que la vie.
- Est-ce que je deviendrai écrivain ?
- Cela dépend de ce que tu choisiras. Mais oui, il y a un parcours que tu peux suivre où tu vas le devenir. Cependant... Réaliser son rêve à des contre-parties.
- Des contre-parties ?
- Oui. Vois la vie comme une balance : là où il y a la joie, il y a aussi la tristesse. Tu ne peux pas avoir que l'un ou l'autre. C'est la condition de la vie. Même dans le pire des malheurs, il y a une lueur d'espoir. Seulement... Certaines personnes sont tellement malheureuses qu'elles n'arrivent pas à la voir.
- Qu'il y a-t-il après la mort ?
- Cela dépend de beaucoup de choses... Si tu as fait plus d'actions négatives, il n'y a rien. Tu seras bloquée dans une boucle où tu revisionneras toutes tes mauvaises actions. En revanche... Si tu as une majorité d'actions positives, tu auras le choix. Soit tu décides de revivre tes plus beaux rêves, soit tu reviens sous forme d'esprit, soit tu te réincarnes... Mais tu ne sais pas en quoi, et tu auras tout oublié de cette vie.
- Est-ce que je vis vraiment ou je suis dans une sorte de simulation ?
- Telle est la question... Le plus important, c'est ce que tu penses, toi.
Sa réponse ne te convient pas, ce n'est pas clair. Mais tu as tellement de questions en tête que tu ne peux pas te permettre de lui demander plus de précisions. Tu laisses ton esprit faire, aller dans tous les sens, peu t'importe.
- Est-ce que je vous reverrai ?
- C'est possible... Mais il ne faut pas trop y croire.
- Dieu existe-t-il ?
- Je n'ai pas de réponse adéquate.
- Eh ! Ca ne compte quand même pas pour une question ?
- Si.
- C'est une blague !
- Non.
- Je me fais avoir...
- Il te reste une question.
- Quoi, comment ça, une seule ?
- Rectification : tu n'en as plus.
Tu ne peux t'empêcher de te maudire. Tu aurais pu percer d'autres secrets qui te passionnent, ce que cache la zone 51, est-ce que la notion de bien ou de mal existe vraiment, qui êtes-vous vraiment, vous, les humains... Au lieu de ça, tu t'es fait avoir comme une idiote !
- Bon, au revoir. Je ne peux plus répondre à une seule question.
Tu le regardes s'éloigner dans la nuit, alors que tu n'as qu'une envie : lui courir après. Tu n'as pas le temps d'articuler un "au revoir" qu'il a déjà disparu.
De son côté, l'inconnu s'arrête devant le portail qui protège la maison et ne peut s'empêcher de rire d'un air narquois. L'Univers. Qui pourrait se faire avoir avec un truc pareil. L'Univers n'existe pas, ou en tout cas il ne prendrait pas la peine de venir voir une simple humaine...
Au moins... Il sait que tu tiendras encore, qu'il t'a donné assez d'espoir pour que tu tiennes. Il a fait son boulot, te protéger jusqu'au bout. Il se tourne une dernière fois vers la porte d'entrée, que tu as refermé. Il a accompli sa mission d'Ange gardien. Il peut remonter au ciel.
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