Chapitre unique
Ce n’était qu’un détail, vraiment.
Hélène avait longtemps fait de petits boulots sans intérêt, histoire de manger et d’avoir de quoi s’habiller. Elle n’avait pas de grandes ambitions ni de rêves inavoués, alors sa vie lui allait très bien. Et puis elle était tombée enceinte, et elle avait décidé de ne pas le dire au père – avec qui elle n’avait eu qu’une brève liaison. Elle l'élèverait seule, cela égaillerait son morne quotidien : l’enfant apporterait enfin les couleurs qui manquaient à sa vie. Elle regardait des séries, des feuilletons, et si l’arrivée d’un bébé était toujours source d’angoisse, le bonheur qui en résultait primait sur tout. Elle y croyait fort, elle se voyait déjà se promener dans le parc, avec ce poupon, qui gazouillerait en chœur avec les oiseaux. Elle avait déjà décidé du prénom : Eden, qu’importât son sexe, parce qu’il serait son petit bout de paradis.
Partout, on l’avait félicité, on s’était attendri devant son ventre rond. Elle avait subi les rendez-vous médicaux, les échographies, les douleurs, tout cela avec la patience d’un parent déjà aguerri. Lorsqu’il était né, il n’avait pas été le plus beau des bébés, mais en quelques jours, son petit visage lisse et rose l’avait séduit. Il ne pesait rien entre ses bras : il était si fragile qu'Hélène eut peur de le casser. Il avait de grands yeux chocolat, curieux et frétillants. Elle l’avait aimé.
Eden était tendre, doux, il sentait bon. Lorsqu’il pleurait, elle le prenait dans ses bras pour le calmer. Lorsqu’il babillait, elle lui répondait avec amour. Son bébé dormait beaucoup, à toute heure, malheureusement, il avait la manie de se lever la nuit. Hélène commençait à fatiguer, mais elle s’y était attendu : les mamans de la télévision étaient certes heureuses mais épuisées, alors elle avait persisté. Et puis il avait fait ses coliques, et le jeu s'était corsé. Constamment, son petit visage était rouge et froncé. Il pleurait et criait parce qu’il souffrait. Le médecin avait été formel : les enfants n’étaient pas tous touchés mais, lorsque c’était le cas, cela pouvait durer trois mois.
Trois mois… ?
Elle le faisait manger, le changeait, le divertissait, mais le petit pleurait, pleurait, pleurait, pleurait… Il se calmait une poignée de minutes puis reprenait. Il finissait par s’endormir de fatigue, et lorsqu’Hélène réussissait enfin à s’assoupir, le petit pleurait à nouveau. Parfois, c’était faible et doux, il suffoquait entre ses bras et sa tête dodelinait d’épuisement. D’autres fois, il hurlait à plein poumons sans vouloir rien entendre.
Ce soir-là, il dormait enfin.
Ce n’était qu’un détail, mais Hélène en avait oublié comme il pouvait être petit et adorable. À force de l’entendre rugir, elle avait omis la délicatesse qu’il avait dans son sommeil, l’image de ses petites mains détendues, de ses belles lèvres roses à peine entrouvertes. Oui, malgré ce rythme de vie qu’il lui imposait, c’était Eden, son petit garçon rien qu’à elle, son petit bout de paradis. Il n’avait pas été sage dernièrement, mais ce n’était pas sa faute, il avait mal, il souffrait, comme beaucoup d’autres enfants de son âge.
Ce n’était qu’un petit détail, mais elle avait oublié comme les yeux de son fils étaient beaux et grands. Ils avaient la nuance du chocolat fondu, piqueté de-ci de-là de copeaux de noisettes.
Hélène se resservit du vin, souriant tendrement au goût boisé. Elle n’en avait pas bu depuis plusieurs mois, et retrouver ce plaisir l’apaisait comme jamais. Conquise, elle se releva pour approcher du berceau, où les grands yeux vides de son enfant la traversaient.
Il ne pleurerait plus maintenant, n’est-ce pas ?
°
{Je me suis inspiré du défi de Beleg Doriath (Ce n'était qu'un détail) et je l'ai juste un peu détourné...
Mais c'est plus amusant comme ça.}
Annotations