Partie 3 : Convergence
Jendrick se dirigeait à présent vers l'ouest.
Démétria redoutait qu'il ne soit tombé sur le cultiste. Si c'était le cas, il possédait la clé pour accéder au caveau. D'après la carte les gardiens ainsi que des personnalités importantes ayant jadis vécus dans la province, y reposaient.
En relevant les morts, il aurait assez d'énergie pour réactiver la Porte Noire et la sécurité des provinces voisines serait compromise.
Le cultiste savait qu'il était poursuivi. Par chance, elle était proche du caveau. Elle attendrait qu'il se montre, puis elle embraserait son arme de la flamme sacrée et...
Non. Il n'aurait pas le luxe de mourir si vite. Ça n'avait aucun intérêt. Seule la souffrance pouvait mener les infidèles sur la voie de la rédemption, ainsi ils seraient lavés de tous leurs pêchés. Du moins c'était ce qu'on disait, mais était-ce vraiment le cas ?
Quelques idées de tortures émergèrent dans sa tête. Les attacher debout à un arbre, où elle placerait une double lame au niveau du cou et du sternum pour les priver de sommeil. Ou mieux ! Plus sobre mais efficace : les forcer à s'asseoir sur un pieu large et long mis à la verticale. Ils descendraient petit à petit le long de la barre. Plusieurs jours seraient nécessaires pour qu'ils succombent d'une lente et douloureuse agonie...
Ses services de tortionnaires étaient souvent sollicités. Lorsqu'on lui demandait son secret, elle répondait qu'avec un peu de perversité et d'imagination rien n'était impossible.
La terre devenait bourbeuse. Une végétation dense recouvrait la zone.Elle avait choisi de traverser en ligne droite la forêt pour gagner du temps, et elle arriva sur un terrain où s'accumulaient des eaux stagnantes.
Voilà qui était inattendu. La carte ne révélait pas de marais et hors de question de faire demi-tour.
De la mousse verte formait des îlots instables sur la boue du marécage. Le bruit assourdissant des animaux couvrait le bourdonnement des insectes, et du fond des eaux foncées remontaient des bulles de méthane qui bouillonnaient en attendant d'être libérées.
Son marteau émit une lueur soudaine. Démétria scruta les lieux à la recherche du moindre mouvement. Elle ne vit rien à travers la brume. Alors elle amplifia la lumière pour agrandir son champ de vision.
Combattre ici ne serait pas à son avantage. Le niveau de l'eau venait à sa taille, ses mouvements seraient entravés.
Tout à coup, elle sentit une vive douleur à la jambe. Quelque chose de pointu s'était refermé violemment sur son mollet et la traînait en arrière. Instinctivement, elle s'agrippa aux roselières à sa portée. Un crocodile l'avait prise pour une proie.
Elle le frappa avec son arme, mais en vain. Il ne voulait pas la lâcher.
En réponse à ses attaques, l'animal enfonça ses crocs profondément dans sa chair. Démétria gémit et lâcha les plantes. Elle tomba dans l'eau se débattant sans pouvoir remonter à la surface.
Tout devint calme. La paladine ne donnait plus aucun signe de vie.
Une faible lueur apparut au fond du marais. Un halo de lumière se forma et grandit jusqu'à rendre la surface de l'eau luisante. Un flash suivi d'une explosion envoya de l'écume dans les airs créant une marée.
Des morceaux déchiquetés de l'animal ainsi qu'un crachin retombèrent. Une demie tête reptilienne remonta et flotta au milieu d'une tâche rougeâtre à la surface de l'eau. Peu de temps après, Démétria émergea en inspirant une grande bouffée d'air.
Elle se laissa tomber sur la digue s'accordant une pause. Elle retira sa capuche et plaqua ses cheveux dégoulinant en arrière pour se dégager la vue.
Elle retira sa botte ainsi que sa protection en acier pour regarder l'état de sa jambe. Du sang coulait à flot. A l'aide de sa magie, ses plaies se refermèrent. Seulement le temps lui manquait pour une guérison complète.
Des claquements résonnèrent, d'autres crocodiles dévoraient le cadavre de leur congénère. Les tragiques événements ayant touché la région les avaient rendu nécrophage, la vie était devenue rude : ils s'étaient adaptés pour survivre !
Démétria en profita pour déguerpir, tout en jetant des regards derrière elle pour s'assurer qu'ils ne la suivaient pas.
Quand elle fut assez loin, elle s'assit contre un arbre pour inspecter la carte. L'eau l'avait rendue illisible. Dans ses souvenirs, le caveau devait être à quelques heures de marche. En suivant la brise vers l'ouest, elle l'atteindrait d'ici une heure ou peut-être deux.
Sa côte gauche lui faisait toujours mal. Sa blessure s'était réouverte. L'utilisation de la magie l'épuisait et elle devait économiser ses forces. Caché dans une poche intérieure de son manteau, elle prit un petit sachet transparent où se trouvait de l'herbe médicinale. Avec délicatesse elle l'appliqua sur sa plaie.
Un tumulte retentit, elle bondit sur ses pieds brandissant son arme. Des mouvements anormaux se faufilaient entre les arbres. Elle reconnut les revenants aux yeux oranges.
Lorsqu'ils la trouvèrent,ils se jetèrent un à un sur elle en poussant des cris stridents.
Démétria les terrassait à grands coups de marteau. Ils étaient lents et prévisibles. Néanmoins, leur nombre conséquent commença à lui poser problème. La fatigue la gagna, son arme devenait lourde et sans s'en rendre compte, elle se retrouva acculée contre un arbre.
Au milieu de la masse des décérébrés, elle croisa le regard d'une créature éthérée aux yeux noirs et froids laissant échapper une fumée opaque.
La forme spectrale feula une imprécation en montrant du doigt la paladine.
— Misérable vermine à la chair mortelle, tu traques mon maître depuis des jours et ton arrogance sera ta p...
Un son sous la forme d'un claquement sec l'interrompit, un éclair foudroya l'éthéré qui hurla de douleur avant de se désintégrer.
Les morts se retournèrent attirés par les bruits. Des corps et des têtes volèrent, une silhouette massive les avait pris à revers.
Profitant de la confusion, Démétria se lança dans la mêlée. Elle envoya à terre d'un violent coup de marteau le revenant le plus proche, puis elle pivota écrasant un autre contre l'arbre et acheva celui au sol d'un coup de talon dans le crâne.
Leur nombre diminuait à vue d'œil et quand le combat fut terminé, elle rechercha du regard son allié inconnu. C'était un homme de grande taille vêtu d'une armure noire familière. Ses cheveux châtains étaient courts, dominant un visage aux traits durs couvert de cicatrices et d'égratignures.
— A sa place, j'aurais encore attendu avant de me montrer. Une victoire inepte sur un bouffon inapte ! Je me présente, je m'appelle Remak ! Remak le Sanctifié, je suis un paladin.
Démétria reconnut l'emblème de l'Ordre du Jugement sur son armure. Était-ce un survivant du groupe qu'elle recherchait ?
— Je vous remercie pour votre aide Remak, mais j'avais la situation en main.
Il haussa les épaules.
— Si vous le dites.
— Je suis Démétria, la Matriarche m'envoie à la recherche d'un groupe de paladins en mission en ces lieux. En faites-vous partie ?
— Oui, j'en ai été séparé lors d'une investigation qui a mal tourné. Je traque actuellement un dangereux sorcier des ombres. Cet être abject a sacrifié ses compagnons pour s'échapper et en a profité pour faire sauter la caverne. Je me suis retrouvé bloqué plusieurs jours dans les galeries souterraines. J'ai eu plus de chance que mes frères tombés au combat.
— Vous n'étiez pas le seul survivant Remak. J'ai rencontré votre exarque, et avec le plus grand des regrets, j'ai dû mettre fin à ses jours avant que les ténèbres s'emparent de son âme.
Il secoua la tête.
— C'était un homme courageux et exemplaire sachant prendre les bonnes décisions, même dans les circonstances les plus difficiles. Quelle tristesse qu'il nous ait quitté. C'est une chance que vous soyez arrivée à temps en lui offrant une mort digne.
— Nous pleurerons nos morts plus tard. La mission n'est pas terminée. Un dangereux ennemi court dans la nature. Je vais me joindre à vous Remak. Je sais où se dirige le sorcier et le temps presse. Il a en sa possession une pierre sacrée. Vous savez certainement qu'un caveau se trouve à l'ouest et que la Porte Noire se situe au nord de celui-ci. À votre avis, que fera-t-il une fois qu'il sera à l'intérieur ?
Remak restait muet. Il connaissait la réponse. Une armée de morts-vivants accompagnés de créatures des enfers parcourrait le pays. Le plus simple serait de détruire la porte, ainsi plus personne ne pourrait l'utiliser. Néanmoins, pour une raison qui lui échappait, la Matriarche refusait obstinément sa destruction car cela aurait de terribles répercussions sur la région et les provinces voisines.
Il grogna.
— La Matriarche ne nous pardonnera pas si nous échouons. J'empêcherai ce misérable d'atteindre son objectif. Ne perdons pas plus de temps, que la Lumière guide nos pas !
Les paladins se mirent en route vers l'ouest. Ils étaient concentrés et restaient aux aguets. D'autres revenants pouvaient apparaître n'importe quand.
Soudain, Démétria sentit le joyau se déplacer à grande vitesse. Un mauvais pressentiment l'envahit. Elle s'arrêta et chercha quelque chose dans l'une de ses poches intérieures. Elle sortit un cachet blanc qu'elle cassa en deux dans sa main avant de l'avaler.
Remak reconnut le fénétyllium, une drogue donnée aux soldats les rendant insensibles à la douleur, à la fatigue et à la peur afin d'être invincible sur le champ de bataille. L'absorption d'une trop grande dose rendait fou, et conduisait à des convulsions tuant la personne dans d'atroces souffrances. Il méprisait son utilisation. Seuls ceux manquant de foi envers la Lumière en consommaient.
Son ton fut glacial.
— Avez-vous peur ?
Vexée, Démétria le fusilla du regard.
— Peur ? Moi ? Faites attention à vos paroles Remak, je n'hésiterais pas à vous en mettre une si vous me manquez encore de respect ! Je sens la pierre se diriger vers l'ouest rapidement. J'ai besoin d'énergie, les forces me manquent et nous devons arriver avant lui sur les lieux. Et si ça peut vous rassurer, c'est le premier que je prends depuis très longtemps.
— Ne vous énervez pas. Je ne voulais pas vous offenser. Néanmoins, j'aimerais comprendre comment vous pouvez savoir qu'il se déplace ?
— Mon don me permet de ressentir la magie à distance. Mais trêve de bavardages, remettons nous en route, dit-elle fermement.
Seuls les cliquetis de leurs armures résonnèrent durant leur course. Démétria maudissait la tourbière qui les ralentissait. Peut-être qu'il aurait été plus judicieux de contourner les marais.
Après plusieurs minutes de course, ils arrivèrent en face d'un lac. En son centre, une immense structure construite en bloc de pierres était reliée par un grand pont en bois jusqu'à l'autre côté de la rive. D'énormes colonnes s'élevant jusqu'au ciel sortaient de l'eau, autour desquelles des amas de corbeaux croassaient.
— Vous êtes sûre que c'est un caveau ? Ça m'a l'air un peu grand, non ?
— C'est ce que la carte disait, répondit-elle essoufflée.
Tout à coup, les corbeaux se dispersèrent, abandonnant les lieux. Loin derrière, un puissant cri ressemblant à un grincement résonna. Quand ils levèrent les yeux, une gigantesque chauve-souris les survola, laissant une longue traînée de fumée noire derrière elle. Deux individus la chevauchaient. Démétria reconnu Jendrick aux côtés d'un inconnu se tenant aux poils de la créature magique, qui descendait en contournant l'édifice.
Sans attendre, Démétria se précipita vers le pont en bousculant Remak qui manqua de peu de tomber.
— Vite ! Au caveau ! cria-t-elle.
Le pont était dans un piteux état et il tremblait sous leurs pas. Démétria faillit perdre son équilibre à plusieurs reprises et malgré tout, ça ne l'empêchait pas de garder la cadence.
Une planche craqua et sa jambe passa au travers. Lorsqu'elle voulut se dégager deux autres cédèrent et la gravité l'attira vers le bas jusqu'à ce qu'un gantelet la rattrape par la main. A l'aide de la seule force de son bras, Remak la souleva et l'aida à remonter.
Démétria le remercia puis se redressa ajustant sa tenue.
Un grondement surgit. Des pierres se déplaçaient. Le cultiste s'apprêtait à pénétrer dans le caveau. Ils se dépêchèrent de traverser le pont et parvinrent de l'autre côté juste avant qu'il s'écroule.
Une puissante bourrasque les fit vaciller. La gigantesque chauve-souris volait en arc de cercle au-dessus d'eux, puis piqua soudainement en leur direction.
Remak leva un bras et récita un sortilège. Le ciel gronda et un éclair frappa de plein fouet la créature qui tomba dans le lac en virevoltant.
— Impressionnant..., complimenta Démétria sans cacher son admiration.
Le paladin lui fit un clin d'œil.
— Ça, c'est mon don.
Pour accéder à l'entrée, ils durent monter des escaliers aboutissant sur une grande place où un mur de revenants les attendaient. Les éthérés ne les arrêteraient pas, mais ils les occuperaient assez longtemps pour que leur maître ait une certaine avance sur les guerriers saints.
Les paladins foncèrent dans le tas d'os et les pulvérisèrent à coups de bouclier, de masse et d'un peu de magie. A deux, ils se sentaient invincibles, rien ne pouvait les arrêter.
Ils entrèrent dans le caveau, un couloir les mena dans une grande salle. Des filaments magiques blanchâtres voyageaient lentement dans les airs. Le lierre avait pris possession des murs et de fins rayons de lumière transperçaient le plafond. Deux plate-formes arrondies étaient reliées l'une à l'autre par de larges escaliers en colimaçon menant dans les profondeurs.
En leur centre, deux fontaines abîmées par le temps fonctionnaient toujours. Depuis une statue, l'eau s'écoulait d'un soleil tenu dans les mains d'une femme représentant leur déesse.
Plus ils avançaient, plus l'endroit devenait mystérieux. Cela ne ressemblait en rien à un caveau. Il n'y avait aucun objet religieux ni de tombes.
— Par la Lumière ! Quel est donc cet endroit ?
— On dirait un temple abandonné, répondit Démétria. Nous n'avons pas le temps de visiter, retrouvons-le et mettons-y un terme. Qu'on en finisse au plus vite.
Foncer tête baissée était très risqué et commencer à rechercher les pièges prendrait bien trop longtemps. Ils ne connaissaient pas l'intérieur et il n'y aurait pas d'empreintes à suivre.
A moins que... C'était une idée stupide de prendre le risque de déclencher les pièges, mais Remak semblait être d'accord.
Alors ils n'avaient pas le choix et ils foncèrent dans les escaliers.
Aussitôt, deux disques violets apparurent sur les côtés et des mains dépourvues de chair les agrippèrent. Leurs poignes furent si fortes qu'elles pouvaient briser leurs os. Remak les trancha à l'aide d'une petite épée qu'il gardait à sa taille, tandis que Démétria les repoussait avec un sortilège.
Un piège de moins, mais il y en aurait d'autres.
Arrivant à l'étage inférieur, quelque chose de massif se trouvait contre le mur. Ils découvrirent l'existence d'un automate inactif. Une carcasse de métal dont le cristal incrusté dans son torse était vide de Lumière. Un piège vibra avant d'exploser. Avec un grognement agacé, Remak se mit devant Démétria et leva son bouclier pour la protéger.
Ils étudièrent soigneusement le golem protecteur. C'était un vieux modèle utilisé par l'armée. Il avait beau être ancien, s'il avait été actif, le cultiste n'aurait eu aucune chance face à cette machine de guerre.
Que faisait une telle chose ici ?
Un autre corridor se trouvait à une centaine de mètres. En courant toujours plus avant, ils parcoururent couloir après couloir, passage après passage déjouant les pièges posés grossièrement pour finir leur course dans une pièce où une plate-forme rectangulaire venait de remonter. Cet ascenseur pouvait les amener encore plus loin dans les profondeurs du caveau.
Interloqués, ils s'échangèrent des regards, puis ils montèrent dessus. Un bruit étouffé arriva à leurs oreilles. La plate-forme ruisselait d'une lueur blanchâtre et un mécanisme s'enclencha.
Ils descendirent le tunnel durant un long moment. Lorsque la galerie se finit, un endroit gigantesque parsemé de monuments dédiés à la mort s'étendait à perte de vue. Un vortex blanc sortait d'un bâtiment entouré d'une demi douzaine de monolithes, et allait toucher une partie du plafond de la caverne perdue dans l'obscurité.
Un frisson glacial parcourut le dos des paladins. Ce n'était ni un temple ni un caveau, mais une immense nécropole souterraine. L'endroit rêvé pour un sorcier noir.
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