Chapitre 9 - Le Jour J

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Aidée

Le 12 mai arrivait enfin. Les premières lueurs de l’aube filtraient à travers les rideaux de mon atelier, et mon cœur battait comme un tambour. J’avais dormi à peine deux heures, trop excitée pour fermer l’œil.

J’enfilai mon blouson noir — tâché de peinture sèche — et glissai la clé USB contenant le script de diffusion dans la poche. Mon carnet de croquis et quelques pochoirs étaient rangés dans mon sac.

Arrivée à Trafalgar Square, je fus saisie par la foule qui s’amassait déjà : étudiants, curieux, passants pressés. Le lieu, immense, vibrait d’une énergie électrique.

À 19h45, j’activai discrètement la première balise GPS de mes drones. Un bourdonnement feutré se fit entendre au-dessus des têtes. J’appuyai sur “Start” : sur le grand écran blanc que j’avais installé entre deux colonnes, apparurent en direct les silhouettes anonymes des passants, transformées en figures floues et colorées.

Les réactions furent immédiates : murmures d’étonnement, regards incrédules, téléphones pointés vers les drones pour filmer l’irréel spectacle. Mon projet prenait vie, riposte visuelle contre la surveillance omniprésente.

Je restai en retrait, observant chaque expression. Les visages se penchaient, fascinés, perplexes, parfois amusés. Je scrutai la foule, cherchant ce regard différent, celui qui me dirait : “C’est toi, A.”

Mais autour de moi, personne ne semblait exceptionnel : pas de manteau insolite, pas de posture marquante, pas de regard fuyant ni exigeant. Juste une masse anonyme, engloutie par mes images projetées.

Plus les minutes passaient, plus la foule s’ancrant dans la performance semblait oublier ma présence. J’avais voulu inverser les rôles, faire d’eux les objets de l’attention, et c’était réussi. Mais en réussissant, j’avais perdu le mystère.

À 20h30, je décidai de lancer la phase finale : laisser les drones dessiner sur le sol des pochoirs lumineux, créant un labyrinthe éphémère que les passants pouvaient traverser. Les projecteurs suivirent leurs trajectoires comme des lucioles artificielles.

La performance prit une ampleur inattendue : certains se mirent à applaudir, d’autres à s’amuser dans le labyrinthe, riant, se photographiant. J’aurais dû ressentir une joie triomphale, mais mon regard cherchait toujours l’intrus.

À 21h00, j’arrêtai tout. Les drones regagnèrent silencieusement leurs stations de recharge, les projecteurs s’éteignirent, et la foule se dispersa. Pas d’incident, pas de réaction violente. Le contrôle n’avait pas riposté.

Seule, je démontai mon matériel, pliant les draps blancs, enroulant les câbles. Dans le silence retrouvé de la place, je ressentis une pointe d’amertume.

Je rangeai mon dernier pochoir et glissai mon carnet sous le bras. Aucun signe. Personne n’avait le charisme, le regard énigmatique de “A.”

Je fis quelques pas, le poids de la déception niché dans ma poitrine. Mes lèvres se pincèrent pour retenir la tristesse : je ne pleurerais pas ici, pas devant ces bancs vides ni ces touristes distraits.

J’ôtai mes gants, les froissai dans ma poche, et levai la tête vers les colonnes de la place. Un rai de lune éclairait la statue du roi. Mon cœur se serra d’une douceur tragique.

Sans un mot, je m’éloignai, disparaissant dans la nuit londonienne. Derrière moi, le silence de Trafalgar Square reprenait ses droits, comme si rien ne s’était passé.

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