15 - RDP
Célestin se retourna : il semblait avoir semé les Grizzlins. Pour un temps du moins !
Il redescendit lentement vers la Forêt des Secrets, là où il savait que tout avait commencé. Là où Hanaé accéderait à la vérité et regagnerait la réalité.
Il se posa délicatement dans l'endroit le plus reculé de la forêt, et s'avança pour déposer sa protégée sous le Grand Saule Pleureur. La nuit allait bientôt tomber et déjà quelques étoiles allumaient la toile bleutée.
Hanaé était recroquevillée sous l'arbre. Elle semblait perdue. Sa témérité l'avait abandonnée dans cette envolée. Célestin s'assit près d'elle et déplia l'une de ses rémiges pour l'inviter à se blottir contre lui. Avec une délicatesse infinie, l'ange releva la tête de la petite vers les ramures du saule qui s'allumèrent de milliers de perles scintillantes. Les yeux d'Hanaé s'étoilèrent devant ce spectacle étincelant. Puis bien vite, son regard s'assombrit de nouveau. Sa maman lui manquait tant. Que valait la beauté de ces endroits enchantés sans sa maman avec qui les partager ?
- Comment vas-tu faire pour m'aider à retrouver ma maman ? demanda t-elle à Célestin.
- Je suis là pour te guider sur le bon chemin, celui de la vérité.
- Quelle vérité ?
Célestin se tut.
- Tu as dit qu'elle n'était pas dans ce monde, alors où est-elle ? Montre-moi le chemin !
- Tu dois d'abord te reposer !
Les yeux d'Hanaé se remplir de nouveau. Célestin resserra son étreinte autour d'elle, l'enveloppant de sa chaleur duveteuse.
- Chuuuut, tout va bien se passer.
Hanaé finit par s'endormir. Elle fit mille rêves au sein desquels le visage doucereux de sa maman se transformait pour prendre les traits de Moréna. Des pommes voltigeaient autour d'elle tandis que la sorcière et Fibber riaient. Alors, elle courait à travers la forêt brumeuse pour échapper à leurs rires carnassiers et se retrouvait devant l'arbre des Dryades au pied duquel gisait Dame Sylvina, la robe empourprée. Elle avançait tandis que la vérité se révélait : il ne s'agissait pas de Sylvina mais de Sélène.
Hanaé émergea de ce cauchemar en sursaut. Célestin n'était plus là. Une bouffée d'angoisse s'empara d'elle. Elle se leva prestement et ouvrit le rideau de feuilles. Son ange gardien se tenait accroupi. En le contournant, elle s'aperçut qu'il lui préparait une sorte de petit déjeuner.
- Bien dormi ? s'enquit-il tout en mélangeant sa bouillie.
- J'ai rêvé que maman était...
Célestin se figea et leva les yeux vers la jeune enfant.
- Les rêves détiennent bien souvent la clé pour accéder à la vérité.
Hanaé fronça les sourcils, et remua la tête comme pour chasser les sombres pensées qui l'assaillaient. Elle s'assit à même le sol et attrapa la grande feuille tartinée de baies que lui tendait son ange.
- Quel âge as-tu Célestin ?
- Quinze ans ?
- Quinze ans depuis quand ?
Le garçon la regarda, surpris par cette question.
- Qui t'a envoyé auprès de moi ?
Célestin garda le silence quelques instants puis avoua :
- Lorsqu'une âme s'éteint, elle s'envole vers le firmament puis se met à scintiller comme un diamant. Cet astre nouvellement né libère sa poudre d'étoile sur un ange endormi. Et cet ange devient le gardien d'une autre âme sur laquelle il veille jusqu'à la fin de sa vie.
- Tu veux dire que tu es ici près de moi car une âme s'est éteinte ?
- Oui Hanaé, une âme qui t'aime pour l'éternité...
La petite ressentit une douleur lui lacérer le cœur tandis que les pièces du puzzle s'entrechoquaient dans son esprit. A ce moment là, une lueur aveuglante surgit d'entre les bois. Hanaé et Célestin se levèrent d'un même bond, les plumes de l'ange enveloppant le corps fébrile de la petite. Au bout de quelques secondes, ils virent la lumière se rapprocher d'eux avant d'apercevoir Fibber, la Pivoine Etoilée dans la gueule.
- Courez vite ! Courez ! leur hurla t-il.
Hanaé se mit à courir derrière le chat suivi de Célestin, lui même poursuivi par une nuée de Grizzlins. L'ange bondit sur Hanaé pour l'emporter.
- Fibber ! Il faut sauver Fibber ! cria t-elle.
Célestin redescendit puis Hanaé tendit la main et agrippa in extremis le félin avant que Frillbig ne s'en empare de ses grosses mains velues. Célestin tournoya, vite rattrapé par la Garde Ailée de Moréna. Il slaloma à travers les cimes des arbres de la Forêt Blanche, semant quelques Grizzlins dans la brume opaque puis s'envola de nouveau très haut avant de redescendre en piquet vers la Forêt des Secrets. Il atterrit et libéra les deux aventuriers de ses plumes immaculées.
Hanaé observa Fibber, la Pivoine entre ses canines. Celui-ci la fixa de ses grands yeux noisette puis saisit la Pivoine d'entre ses dents et la tendit vers son amie en s'inclinant. La jeune enfant s'avança vers le chat et effleura la fleur qui scintillait de mille éclats, les larmes dévalant la pente de ses joues rougies.
- Va sauver ta maman ! ordonna le vilain matou. Elle en a plus besoin que moi.
Hanaé sentit une vague d'émotions déferler dans sa poitrine face à cet élan de générosité. Les yeux embués, elle voulu rétorquer mais déjà la Garde se rapprochait. Encerclé par les Grizzlins, Fibber n'avait plus aucune échappatoire. Sans réfléchir une seconde de plus, Hanaé se jeta sur son compagnon, arracha la fiole de son cou et la versa dans sa gueule. Abasourdi, le félin lui adressa un dernier regard d'étonnement avant de disparaître dans des volutes de fumée rousse qui scintillèrent quelques instants avant de s'évanouir dans les airs.
Un silence résonna ensuite dans la forêt qui se glaça d'effroi devant l'apparition de Moréna, furibonde.
La sorcière se figea en voyant sa fleur entre les mains d'Hanaé. Elle s'approcha lentement d'elle, la menaçant de son regard flamboyant.
Hanaé ferma les yeux et sentit un courant d'air caresser ses longs cheveux bouclés. Le vent soufflait à ses oreilles des mots étouffés. Elle rouvrit les yeux et effeuilla la Pivoine sacrée.
- Nooooon !! vociféra Moréna.
Hanaé arracha le dernier pétale, libérant le joyau rouge qui s'éleva dans le ciel et darda ses rayons lumineux sur les êtres maléfiques, les perçant en plein cœur. Les hurlements des créatures ailés retentirent tandis qu'une lueur écarlate tapissait toute la forêt. Dans un dernier flash aveuglant, les silhouettes s'écroulèrent et le rubis disparut.
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