Chapitre 3 : La montée
Les cinq amis pénétrèrent dans le parc, en début de matinée, d’un pas décidé. En cette fin de mois de juin, le temps était magnifique. Les oiseaux s’égayaient dans les arbres et passaient en revue tout leur répertoire de chants. L'odeur des diverses fleurs de montagne mêlée à celle d'humus embaumaient les lieux. La journée paraissait idéale pour une longue promenade. Le moral des adolescents flirtait avec les cieux. Le sourire sur leurs lèvres paraissait inaltérable.
– Ça va grimper les amis, dit Matt, qui pointait le doigt vers un des sommets de la montagne.
– OK, répondit Jessica. Tu montres quoi au juste avec ton doigt ?
– On doit se rendre entre ces deux pics. Tu vois entre ces deux pointes, tu as une sorte de passage entouré par les sapins.
Il s’approcha de son amie pour lui indiquer l’endroit exact où il regardait. Il sentit le souffle chaud de la jeune femme qui le fixait avec intensité.
– D’accord, je vois. Il y a combien de kilomètres pour s’y rendre ?
– Environ treize. On s’y arrêtera pour passer la nuit. Ça va nous prendre jusqu’à la fin de l’après-midi.
– À ce point-là ! dit-elle surprise.
Andrew enchaina :
– On va se manger près de huit cents mètres de dénivellés dans la tronche. Je peux te dire que ça va piquer les jambes.
– Mince alors, ça me démoralise d’un coup. Et si on restait ici à regarder la montagne ? dit Jessica d'une voix de petite fille capricieuse.
Hélèna s’empara de son caméscope et filma la scène :
– Notre pauvre Jessica pense déjà à abandonner au bout de trois cents mètres de randonnée.
Cette dernière lui sourit avec béatitude et dressa son majeur longiligne vers la caméra.
Max, en retrait, contemplait le panorama avec une admiration non dissimulée.
– Un sacré défi, les amis ! Allez, on y va mauvaise troupe, si on ne veut que la nuit nous surprenne en cours de chemin.
Ils opinèrent tous du chef et entamèrent la montée avec détermination.
L’itinéraire serpentait avec langueur entre les pins centenaires. Recouvert par les épines de résineux, leur progression était des plus douces. La température était idéale : pas plus de vingt degrés. Un vent léger et parfumé gonflait leurs cœurs d’allégresse. Hélèna prenait quelques clichés de-ci de-là pour immortaliser l’aventure. Elle souhaitait finaliser un documentaire qui agrémenterait son curriculum vitae personnel. La jeune femme ambitionnait de devenir journaliste et romancière. En tout cas, l'écriture était sa voie. Elle lisait de nombreux romans et adorait monter des reportages. Elle avait postulé auprès d’une prestigieuse université de journalisme. Elle attendait un retour de cette dernière pour fin juillet. Elle décrocherait, si tout se passait bien, un premier rendez-vous début août, où elle devrait se présenter et convaincre un jury sur ses compétences. Elle pensait s’appuyer sur cette randonnée pour faire pencher la balance de son côté : un reportage bucolique au sein d’un des plus beaux parcs naturels du pays. Membre du club vidéo de la ville, son expérience lui serait d’une grande utilité. Elle était persuadée de réussir.
Les amis progressèrent sans souffler un mot pendant une bonne heure. Chacun profitait du moment présent et de la beauté des lieux. Max dépassa Andrew et s’extasia devant la somptuosité du paysage.
– C’est magnifique ! Tu as vu ce décor Andrew ? demanda-t-il en se tournant vers son ami.
– Je dois avouer qu’avec ton gros cul devant moi, je n’y vois rien du tout. Une véritable éclipse mon gars.
Max rit aux éclats et se pencha en avant pour ne pas perdre l’équilibre.
– C’est de ta faute si je t’ai doublé. Tu es plus lent que ma grand-mère de quatre-vingts ans !
Andrew lui gratifia d’une tape sur les fesses :
– Allez mon petit joufflu, en route !
Matt, en tête de gondole, n’avait rien entendu de l’échange de ses deux camarades, mais il se douta que le clown de service avait fait des siennes pour une énième fois. Il fit face aux deux adolescentes qui le talonnaient.
– Ça va les filles ?
Elles étaient en nage. Hélèna, ses longs cheveux bruns plaqués sur le visage, souffla :
– J’aurais dû la faire cette queue de cheval en fin de compte. Sinon ça va, mais ça monte grave.
Jessica était dans un état identique. De grosses perles de sueurs coulaient le long de son minois parsemé de tâches de rousseur. Sa chevelure de feu recouvrait ses yeux comme un voile.
– Oh la ! Ne vous arrêtez pas. Je suis bien lancé, dit-elle. Go ! Go ! Si je m’arrête ici, il faudra me porter pour repartir.
– Présent ! s’égosilla Andrew avec entrain.
– Non ça va, je préfère marcher, dit-elle d’un air effrayé.
Matt reprit l’ascension. Il secouait la tête en riant.
Vers les quatorze heures, ils s'arrêtèrent pour une collation. Ils avaient tous mangé avec appétit le matin en vue de la journée qui les attendait.
– J’ai le dos en compote, dit Jessica.
– C’est normal avec les sacs. Il va te falloir un peu de temps pour t’y habituer, affirma Matt. Après, vous n’y ferez même plus attention.
– Vous pensez qu’il y en a encore pour longtemps ? demanda Hélèna.
– On a bien avancé, je pense, environ trois heures, dit Matt.
– Je dirai 2 heures et 57 minutes, répondit Andrew en secouant la tête comme un damné afin d’appuyer son affirmation.
Matt haussa les épaules de dépit.
De son côté, Max sortit cinq généreux sandwiches qu’il avait préparés le matin : jambon, beurre, tomates, cornichons, salade verte et œufs.
– Heureusement que tu es là Max, dit Jessica. Quel régal !
– Nous les femmes, on sait sur qui compter, ajouta Hélèna, en se léchant langoureusement les doigts et en faisant un clin d’œil à Max qui piqua un fard.
– Et toi, tu es une grosse dégueulasse de te lécher les doigts, enchaina Andrew. Vous êtes-vous lavé les mains avant de manger ? Je ne le pense pas n’est-ce pas ?
Cette dernière lui fit une grimace en louchant.
– Et en plus, je viens juste de soulager ma vessie derrière un arbre.
– Oh ! gémit Max. Quelle délicatesse !
Ils acquiescèrent tous.
– Non de dieu, dit Jessica. Ton sandwich ! C’est une tuerie !
Max sourit avec satisfaction.
– Pour vous servir mesdames.
– Mesdames ? Et nous, alors, répondit Matt d’un air outragé.
– Mais, vous aussi mes deux petites bourriques, dit Max en pinçant la joue d’Andrew.
Après une pause d'une demie-heure, ils reprirent leur progression. Le soleil était cinglant en ce début d’après-midi et rendait l’avancée des cinq promeneurs éreintante. Un aigle majestueux lança un cri perçant en les survolant. Hélèna, aux aguets, prit trois clichés de l’oiseau. Elle pourrait parler de la précarité de cette espèce et des solutions pour y remédier dans son reportage. Un peu plus tard, elle fit la même chose avec une petite famille de marmottes qui flânait autour de leur terrier. Un court discours sur les reines de la montagne agrémenterait son documentaire. Elle jeta un regard à ses clichés. La lumière était parfaite ici.
Après plusieurs kilomètres de souffrance, ils arrivèrent à leur lieu de bivouac. La vue leur coupa le souffle. Quelques mètres avant le sommet, Hélèna dépassa le groupe afin d’immortaliser la fin de cette première journée. Tous jouèrent les pitres devant la caméra. Elle cala le caméscope sur un rocher à l’aide des pieds flexibles acheté sur internet. Elle se joignit à la bande et partagea leur bonheur mesuré.
– Premier jour de notre périple terminé, dit-elle avec joie vers la caméra.
Annotations
Versions