Chapitre 8 : La baignade
– Oh là ! fit Jessica en se tenant les bras. Elle est froide mon Dieu !
– Tu m’étonnes ! On va choper une angine. On va y entrer en douceur. N’oublie pas de te mouiller le cou, ma belle !
Hélèna joignit le geste à la parole.
– Oh, ça me donne envie de pisser, déclara cette dernière en riant.
À cet endroit, une cuvette naturelle faisait grimper l’eau jusqu’à leurs cuisses : une magnifique baignoire rien que pour elles. Le bruit du torrent relaxait les âmes. Le soleil culminait à son zénith et la chaleur sur les pierres adoucissait les cœurs. Helena disparut sous les flots pour rejaillir deux secondes plus tard en hurlant :
– Bordel, ça tue ! cria-t-elle.
Jessica s’y jeta à son tour. Elles commencèrent à se laver et se shampouiner avec énergie afin de dissiper le froid.
– En tout cas, fit Helena, ça requinque. J’ai l’impression que mes courbatures ont été endormies par le froid.
– Oui pareil pour moi. Ça fait du bien. Je me sens propre ! C’est un délice.
– Espérons qu’il y ait souvent des endroits comme celui-ci sur notre chemin.
– T’inquiète, connaissant Matt, il a tout prévu. Il est aux petits soins pour nous. Qu’est-ce qu’il est mignon, tu ne trouves pas ?
– Oui, il est pas mal, admit Helena. Dis donc, tu ne tomberais pas amoureuse, toi ? Je t’ai vu lui jeter des regards de biais une paire de fois depuis notre départ. Tu clignais tes yeux de biche langoureusement.
Jessica lui envoya une bonne giclée d’eau glacée sur le visage.
– Eh, arrête tes bêtises un peu, petite garce !
Helena éclata de rire et se mit à chanter à tue-tête une ritournelle de son cru :
– Jessica est amoureuuuuse, Jessica est amoureuuuuse !
– Attends un peu, espèce de petite peste !
Elle se rua sur elle et lui fit boire la tasse.
– Ça t’enlèvera l’envie de chanter, ma belle !
Mais, Helena continua de vocaliser la tête sous l’eau. Elle émettait des bruits de gargarismes si ridicules que Jessica dût lâcher son étreinte tant elle riait. Une fois calmées, les deux amies sortirent du torrent pour lessiver leurs affaires.
– Sérieux, dit Jessica, pas un mot sur ce que je t’ai dit OK ?
– Oui bien sûr, ne t’inquiète pas. Puis, elle chuchota à nouveau sa litanie… Jessica est amoureuuuuse…
– Tu es irrécupérable toi, dit Jessica en lui balançant sa petite culotte à la figure.
– Eh ! Tu veux que j’attrape une maladie ?
Elle lança le sous-vêtement dans le torrent d’un air dégoûté obligeant ainsi son amie à retourner à l’eau. Elles continuèrent leur besogne dans le calme.
De leur côté, les garçons dénichèrent un grand bassin naturel dans lequel ils nagèrent avec aisance. Ils rencontrèrent les mêmes difficultés que les filles pour entrer dans le torrent et se lavèrent avec une ardeur furieuse. Max, frileux, se cala sur un rocher au ras de l’onde et commença à s’asperger avec délicatesse. Il déclencha les rires de ses deux camardes.
– Le bain de Monsieur n’est pas assez chaud ? demanda Andrew.
– Assurément non, fit Max d'un ton faussement hautain. Ne pourriez-vous pas vous en occuper très cher ?
– Tout de suite maître, répondit Matt, qui s’était rapproché de son ami.
D’un coup, il l’aspergea d’eau de manière frénétique. Ce dernier hurla et esquissa un mouvement en arrière afin de se protéger, dans une tentative ridicule et inutile.
– Matt ! Je ne pensai pas que tu oserais me faire ça ! Pas toi !
– Désolé, mais c’était vraiment trop tentant.
Andrew se rapprocha de Matt par-derrière et lui fit visiter le fond de la rivière, sous les applaudissements démesurés de Max. Il rejoignit l’empoignade et s’attaqua directement à Andrew.
Après leur affrontement amical, ils nagèrent pour se déverrouiller leurs membres meurtris.
– Qu’est-ce que c’est bon ! Une fois qu’on est dedans, c’est divin, dit Matt.
– Oui c’est top.
Une truite fila entre les jambes de Max qui cria comme une fille effarouchée. Il déclencha les railleries de ces deux compagnons.
– Au lieu de vous moquer, on pourrait penser à les capturer non ? Ça ne vous dit pas du poisson grillé ?
– Un peu que ça nous dit, répliqua Andrew. J’ai du matos au campement. On pourrait tenter le coup.
– On fait notre lessive et on prépare notre dîner ! dit Max avec entrain.
Ils s’occupèrent de leurs vêtements puis redescendirent vers le camp. Les filles n’y étaient pas encore rentrées. Matt les appela avec insistance : pas de réponse. Ils scrutèrent la rangée d’épicéas qui bordaient le bivouac puis allèrent en aval du torrent.
– Tu paries qu’elles se prélassent au soleil ? annonça Andrew.
Il avait raison. Ils retrouvèrent leurs amies allongées sur un gros rocher, en maillot de bain, à moitié endormi.
– Eh les filles, fit Matt, en accompagnant ses paroles d’un grand geste de la main.
– Ça va, répondit Helena sur un ton de reproche, vous vous êtes bien amusés à nous mater ?
Les garçons échangèrent des regards sans comprendre.
– Pourquoi tu dis ça ? demanda Andrew.
– Allez, ne jouez pas au plus malin. On sait que c’est vous, ajouta Jessica avec dépit.
– Que c’est nous quoi ? interrogea Matt.
Elles se dévisagèrent un brin troublé par la tournure de la discussion.
– Vous nous avez bien lancé des pierres dans l’eau non ?
– Quoi ? On vient juste d’arriver, fit Matt. Qu’est-ce que tu racontes ?
Le bruit du torrent rendait la conversation difficile. Ils se rapprochèrent des deux adolescentes pour ne plus s’égosiller.
– Vous êtes sérieux ? demanda Jessica. Max, tu es la voix de la sagesse. Dis-moi la vérité.
Le garçon rougit et répondit :
– Je t’assure, on n’a vraiment rien à voir là-dedans. On vient juste d’arriver. Que s’est-il passé ?
– On se faisait dorer au soleil, lorsque plusieurs pierres ont été lancées dans l’eau au pied de notre rocher. Elles étaient lancées de l’autre rive, mais on ne voyait rien. Ça venait de ces bosquets d’arbres, dit Helena en désignant l’endroit du doigt. On pensait que c’était vous qui jouiez à nous faire peur.
– D’autres randonneurs qui se sont certainement amusés à vous effrayer et vous mater par la même occasion, conclut Andrew un brin énervé qu’on s’amuse ainsi avec ses amies.
– Tu dois avoir raison, dit Matt. C’est certainement d’autres randonneurs.
Max paraissait inquiet.
– Il faut garder l’œil ouvert, fit-il. J’espère que ce ne sont pas des tordus, vous savez… Comme dans « détour mortel »…
– Ah tais-toi, Max ! Tu me fous les jetons, s’exclama Jessica.
– Je vais faire un petit tour de l’autre côté pour m’assurer qu’il n’y ait personne. Retournez au camp. Je n’en ai pas pour longtemps, dit Andrew. Max, ma canne à pêche pliable est dans mon sac, dans la poche latérale. Essaie de nous ramener du poisson frais.
– Ça marche lui répondit Max.
– OK. Fais attention à toi, dit Matt. On ne sait pas jamais.
– T’inquiète, je crie en cas de soucis. Occupe-toi des filles.
Les quatre amis rejoignirent le bivouac.
Andrew franchit le torrent en contrebas, là où il avait pied. Il se dirigea vers l’endroit désigné par les deux jeunes femmes. Il semblait désert, mais il remarqua le sol piétiné à plusieurs emplacements. Leur déclaration concordait avec le tableau. Des rodeurs avaient profité du spectacle offert par les deux adolescentes. Il examina les traces. Ce n’était pas des marques de chaussures. Il distingua ce qui ressemblait à des empreintes de pied. Très allongées, elles présentaient une pointure hors du commun. Il constata qu'elles possédaient trois doigts, et non cinq. Il ne se focalisa pas sur cette anomalie. C’était étrange soit, mais, dans cette bouillie de vestiges, cela ne signifiait rien. Il se releva et examina les alentours à la recherche d’autres indices. Il tendit l’oreille pour déceler une présence : aucun bruit, excepté celui du torrent. S’il y avait eu quelqu’un ici, ils devaient avoir déserté les lieux. Ça restera une mauvaise blague de jeunes randonneurs qui avaient pris leur pied en matant de jolies filles, voilà tout. Il fit demi-tour et retourna au campement.
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