Il le faut (Version 2)

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Émile s'éveilla en sursaut : 4 h 48. Il venait de se réveiller d’un horrible cauchemar. Du sang, partout, des cris, des coups de feu... deux semaines que toutes les nuits, il faisait ce rêve affreux. Incapable de retrouver le sommeil, le jeune homme s’assit sur son lit. Il venait de prendre sa décision. Il allait le faire. Il devait le faire. Repousser ce moment était maintenant impensable. Mais d’abord une préparation s'imposait. A commencer par manger, il mourait de faim. En entrant dans la cuisine, Emile bailla et se dirigea vers un placard. Il sortit un torchon, contenant un morceau de pain, dans l'obscurité pâlissante de ce début de journée. Il entretenait cette routine nocturne depuis près d’une semaine, depuis qu'il avait découvert cette maison. Comme d’habitude, sa tranche de pain était saupoudrée de farine. Il replongea un instant dans son songe, entendait les cris, ceux de ces camarades surtout. Le craquement du pain lorsque, involontairement, sa main se contracta, le sortit de sa torpeur. Il mangea en silence, toujours dans le noir. Il voulut réfléchir, élaborer un plan mais la fatigue l’en empêcha et il s’effondra littéralement.

Emile se réveilla en sursaut environ deux heures plus tard. Encore ces hurlements, ces râles atroces aussi effrayants qu'inintelligibles qui lui perçaient les oreilles toutes les nuits.. Il souhaitait croire que ce n’était qu’un chat, un oiseau ou un coup de vent, mais il savait précisément ce qui se passait et cela le terrifiait.

Emile sortit prudemment de la maison et s’arrêta pour observer les lieux. Les râles s'étaient tus et seul le vent qui faisait danser ses cheveux blonds venait troubler le silence de ce début de matinée. Il tendit l’oreille et entendit un craquement qui semblait venir de sa gauche. Il tourna la tête et le vit. Cet homme, si on pouvait encore appeler ça un homme, cette créature mutilée, défigurée, un lambeau de chair humaine. Le jeune homme se trouva un instant incapable d’esquisser le moindre geste, mais il recouvra vite ses esprits et se jeta sur la créature. Celle-ci eut à peine le temps d'entamer sa course, qu’Emile l'attrapa par bras. Il regarda sa main dans laquelle gisait un bras décharné qui lui donnait envie de vomir. Le pire était l’absence de toute sensation au contact de la peau blanchâtre de ce qui avait été autrefois un homme. Sa tête lui tournait, cependant il ne se laissa pas fléchir et traina la créature derrière lui jusqu’au grenier, qu'il avait vu sans oser y entrer. En entrant Emile jugea la pièce, surement une ancienne réserve à céréales à en juger par les sacs éventrés qui gisaient ici et là, parfaite pour accueillir son prisonnier. A la vue des rats, le jeune homme se figea. Il se revoyait chasser ses horribles bestioles qui couraient autour de lui en permanence et l'empêchaient de dormir. Le grand blond se ressaisit et poussa le captif dans le grenier. Ce-dernier resista fébrilement et tenta demi-tour quand un rat passa devant lui. Emile n'eut aucun mal à enfermer le mutilée tant la force manquait à celui-ci.

Malgré la réussite de la capture, Emile se sentait secoué par ces évènements. Il sortit respirer, s’assit contre un mur et se prit la tête entre les mains. Il n'était plus aussi sûr de lui. Peut-être pourrait-il le laisser là ? Peut-être que ses cauchemars s'en iraient s’il ne le voyait plus ? Le jeune homme leva la tête et expira bruyamment. Les larmes lui montèrent aux yeux. Qu’avait-il fait pour mériter ça ? Il avait vu l'auteur de tous ses tourments au bord de la route du retour, la route qui devait le ramener chez lui. Et cette horreur, ce cauchemar ne l’avait jamais plus abandonné. Il devait protéger ceux qu'il aimait, mais il n’était plus certain de la marche à suivre. Il ferma les yeux. Tout lui paraissait si irréel.

Émile se ressaisit. Il mangerait puis partirait, laissant cette chose derrière lui. Il cuisina ce qu’il lui restait, quelques pommes de terre et un morceau de lard. Il était temps que je m’en aille pensa-t-il en souriant. Il mangea sans appétit, pensant à sa femme et sa fille. Marie, sa petite Marie qu’il avait serrée dans ses bras pour la dernière fois il y a plus de trois ans. Il voulait les revoir. C'était tout ce qui lui importait. Mais il ne voulait pas presser le destin, il devait accomplir une dernière chose auparavant.

Émile prépara rapidement ses affaires, plus grand-chose en réalité. Il récupéra son arme dans un tiroir. Seul souvenir de ces dernières années, il l’avait trouvé au sol et l’avait emporté sans vraiment y penser. Pour l’heure, il espérait ne pas en avoir à s'en servir, mais il valait mieux être prudent . Le trentenaire prit la route. Il se rendrait à pied jusqu’à la gare la plus proche et puis rentrerait chez lui, dans son petit village des Landes.

Soudain, il entendit un bruit derrière lui. En se retournant, il découvrit avec stupeur que son prisonnier s'était échappé. Emile se mit à courir comme un dératé pour lui échapper. Heureusement la route était déserte, il ne se contrôlait plus quand il voyait la bête. Mais les bruits de pas derrière lui ne cessaient de se rapprocher. Ne le laisserait-elle jamais tranquille ? D’un coup, il s'arrêta et pivota sur lui-même pour se trouver face à ce reste humain qui crachait ses poumons, la bouche grande ouverte , laissant dépasser sa langue qui avait été sectionnée. Ce détail n’arrêta pas Emile qui courait maintenant vers la créature. En passant à coté, il la frôla et continua son sprint vers la maison. A l’approche du bâtiment, il ralentit légèrement, le mutilé toujours sur ses traces. Mais pourquoi fallait-il que ce soit lui ? Il réussit à l’enfermer dans le grenier comme auparavant. Mais combien de temps y resterait-il cette fois ?

Emile n'en pouvait plus de cette angoisse qui le traquait sans relâche, cette peur si différente de celle qu’il avait connu ces dernières années. Il avait pris sa décision. Il ne pouvait pas faire le long chemin qui le mènerait jusqu’à chez lui avec cette chose à ses trousses et il savait maintenant qu’elle ne le laisserait jamais tranquille. Il allait s’en débarrasser et il rejoindrait sa femme et sa fille. Sa chère Marie.

Le trentenaire se changea et mit une dernière fois ses affaires en ordre. Il gagnait ainsi un peu de temps . Il entendait les coups de son prisonnier résonner contre les parois de sa prison, ses gémissements affreux qui se répandaient en un long frisson parcourant tout le corps d'Emile. Il récupéra le pistolet dans sa valise et le regarda en soupirant. En le ramassant, savait-il déjà qu’il s'en servirait un jour? Réfléchir lui donnait mal au crâne. Il cherchait à repousser l’inévitable, tout son corps le lui faisait comprendre. Il inspira calmement et prit la direction du grenier. Son cœur battait fort mais il n’y prêtait plus attention, sûr de ce qu’il avait à faire. Le jeune homme entra et pointa directement son arme en direction du mutilé. Il ne dit pas un mot. La créature le fixait calmement, les yeux plein de mélancolie et de terreur à la fois. Il se positionna calmement et posa délicatement le doigt sur la détente. Il avait déjà tué, mais là, ça n’avait rien de comparable. Sa main tremblait tandis que le balafré le regardait toujours aussi fixement. Son regard était la dernière chose qui rappelait qu'il avait été autrefois un homme. Émile s’attarda sur ce détail autant qu’il le put. Retarder l’inévitable encore et toujours. Le reste humain qu’il avait en face de lui attendait patiemment et, comme pour forcer le détenteur de l’arme à agir, il ouvrit grand la bouche dévoilant une nouvelle fois le morceau de langue qui gisait tout au fond. Il y eût un coup de feu. Un seul.

-Une balle dans la tête, redoutable, dit le légiste qui venait de finir d’examiner le corps. Je suppose qu’on a affaire ici à un ancien soldat.

-Affirmatif. Émile Destin 34ème régiment d’infanterie, gravement brûlé au thorax et défiguré par un éclat d'obus pendant la bataille de Verdun. Sa femme et sa fille sont mortes pendant la guerre. En 1916, d'après le dossier.

-A mon avis messieurs, ce n’est pas le dernier que l’on retrouvera dans cet état.

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