Eclosion
Deviens un homme. Voici ce que son père ne cessait de répéter à son aîné. Son frère n’était resté qu’un enfant, aujourd’hui, il était mort. Assassiné par un clan rival, il venait de prendre la tête de la famille suite à leur digne père. Le plus court Oyabun de l’histoire, une disgrâce sur leur nom. Et voilà que les yakuzas responsables de sa mort réclamaient les lambeaux de leur clan. Baka Nii-San.
Son visage impassible se déforma d’une grimace de colère, et de douleur. Ses lèvres rosées et ourlés, semblables à de délicats pétales s’entrouvrirent. Une fissure dans sa beauté japonaise. Son teint de porcelaine se tâchait de rouge, ses yeux en amande sublimaient le vert de ses iris assombris par la détermination de ses pupilles. Sa mâchoire se contracta, serrant ses dents mal alignées.
Son dos souffrait de l’interminable séance de tatouage pourtant étalée sur plusieurs jours. Les aiguilles perçaient sa peau, plantées dans un morceau de bambou. Juste des finitions selon l’artiste employé par son père depuis plus de vingt ans. Des finitions sur une pièce qui recouvrait la totalité de son dos. Un dragon. De sang et d’or. Dans une mer de chrysanthèmes. La gueule de la créature s’ouvrait sur son omoplate droite, suivie d’une tête épaisse dont les moustaches flottaient au gré de ses courbes. Son long corps s’enroulait, disparaissait dans les flots de fleurs blanches. Sa queue émergeait sous le tumulte et terminait sa course sur sa fesse gauche dissimulée à moitié par le kimono défait qui s’étendait autour de ses jambes repliées sous son corps.
La soie écarlate s’imbibait de la rivière de sang qui s’écoulait des deux cadavres étendus à quelques pas sur le tatami. Les deux lieutenants de son frère encore chauds. Son pouce caressa le plat du katana à moitié glissé dans son fourreau, posé sur ses genoux.
Un bruit sourd traversa les murs de papier de riz. Le portail venait d’être forcé, interrompant le travail d’orfèvre de l’artiste.
« Ne vous arrêtez pas. Est-ce bientôt terminé ?
— Hai, Hime-Sama. »
Diligent, le tatoueur finalisa son travail malgré les pas retentissant sur la terrasse de bois qui bordait la totalité de la maison traditionnelle. Il jurerait qu’une armée envahissait le temple de l’illustre famille de yakuzas.
Une dernière retouche de couleur sur l’ombre d’une écaille, un point d’or et il essuya le chef d’œuvre de sa vie. Quelques gouttes d’eau imprégnèrent la longue chevelure d’encre liquide de la cadette. Il regretta de ne pouvoir admirer plus longtemps la pièce maîtresse de son art, bien qu’il ait entaché la perfection d’une femme pour achever le sommet de son savoir-faire.
Les ombres se dessinèrent comme au théâtre à travers le washi. Akiko soupira, résignée, elle remonta les pans de son kimono, couvrant avec pudeur sa menue poitrine. Elle serra l’obi, glissa son tessen dans la ceinture, une chaude pensée pour son père la traversa. Cette merveille, arme articulée dont chaque branche était une dangereuse lame mortelle, était un cadeau de sa part. Elle l’honorerait.
Elle se leva, pendant que coulissait le pan de mur. Elle abandonna le fourreau de son katana, l’instant qu’analysa son ennemi. Leurs regards se croisèrent, elle ne lui offrait que le temps de voir la mort fondre sur lui. Elle brandit son sabre et avança en quête de la dignité déchue de son nom.
Sois un homme, exigeait son père à son aîné. Connais les hommes, lui intimait-il. Aujourd’hui, Akiko s’élevait à leur rang.
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