Etre ou ne pas être.
Là où je ne me sens pas à ma place n'est ni un environnement spécifique ni un endroit bien précis. C'est subtil, parfois infime mais ça se glisse partout entre les murs de mon quotidien. Je ne me sens pas à ma place parmi les normes, les codes, les suites logiques de la société.
Je sais, il n'est pas censé y avoir de normes, moi aussi c'est ce que je pense tous les jours. La norme, c'est celle que l'on se crée. Elle n'existe pas dans mon coeur mais elle est si présente et bruyante chez les autres qu'elle finit par me bousculer un peu. Je sais qu'elle n'est pas la même pour tous, mais elle l'est pour ceux que je croise, en grande majorité. J'entends qu'un couple doit avoir des enfants, se marier ou acheter une maison. J'entends qu'ils finissent par décrocher un boulot qui leur plaît et que les disputes sont évidentes. J'entends qu'il faudrait que je songe à investir dans la pierre et que je me trouve une ambition professionnelle et un mec.
Oui mais voilà, je ne suis pas tout cela. Par ma décision de ne pas vouloir d'enfant, qui est tout le temps remise en question. Comme si changer d'avis était une solution. Par le fait que je suis célibataire, comme si je n'étais considérée que par une situation amoureuse à cocher dans un petit carré noir. Par ma vision de voir mon travail, qui est alimentaire uniquement, non pas par manque d'objectif professionnel mais parce que mes passions prennent le pas sur le reste et que ça me suffit. Par mon petit studio qui est juste à côté de chez mes parents, comme si être leur voisine m'empêchait d'être indépendante et de m'ouvrir aux autres alors que je suis toujours ailleurs. Comme si je n'avais pas le droit de vouloir être près d'eux, qu'il fallait absolument que j'aille louer un appartement très loin. Et par mon opinion de préférer prendre mon temps et ne pas emménager avant un long moment chez la personne avec laquelle j'aimerais partager mon chemin de vie. Comme si il fallait absolument déménager et acheter à deux le plus vite possible.
Je ne demande rien aux autres. C'est épuisant, cette sensation de se justifier en permanence. Ce sont des réflexions, des inflexions ou des remarques entendues à l'égard d'une question que l'on me pose et à laquelle je réponds, avec ma façon de voir les choses. Evidemment que c'est contesté et contestable, il y a toujours des retours lorsque l'on ouvre la bouche. C'est pour cela que je garde le silence, en général. Mais nous n'étions pas en débat, je répondais à une question comme : "Et toi, tu veux des enfants?" Je ne trouve pas qu'il faut ajouter : "Tu changeras d'avis." avec une certitude absolue lorsque je réponds non. Il se peut que je change d'avis, comme d'autres changeront d'avis. Mais je ne dis pas à ceux qui veulent des enfants qu'ils changeront d'avis. Je ne le dis pas.
Alors mon bocal à moi, c'est la bulle que j'ai fabriquée, le rempart indestructible contre lequel les phrases et les codes se cognent sans m'atteindre. Ca fait du bien de ne rien entendre. La nuit, c'est là que je préfère tout le monde : le silence ne bouscule rien, il me fait du bien.
L'autre jour on m'a dit, laisse glisser. Je trouve cela bien, comme image : il faut laisser glisser sur soi les petites remarques acerbes balancées au hasard, comme écrites sur un post-it. Et les laisser glisser c'est le mieux, parce qu'elles descendent toujours plus bas jusqu'à ne plus être visibles. C'est bien, de temps en temps, de s'aveugler pour se protéger. Et comme je place mon coeur bien haut dans mes pensées, pas de risques que je baisse la tête pour les regarder.
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