Ce matin-là était comme les autres, en apparence. Cependant, Britta avait comme un pressentiment, inexplicable, mais un ressenti que quelque chose d’important allait arriver. Elle ne s’en était pas ouvert auprès de Boraz, pour ne pas l’inquiéter. Mais il avait quand même perçu cette nervosité chez son épouse. Lors du petit déjeuner, Myra avait détecté cette tension entre ses parents, mais sans mettre les mots dessus. Le regard de son père sur elles deux était plus doux, plus inquiet et plus protecteur encore que d’habitude tandis qu’elles trempaient leurs fruits dans des tasses de zajh fumantes.

• Que t’arrive-t-il, mon Boraz ?
• Rien, ma douce, rien…
• Je sens bien que tu es inquiet ?
• Je sens que toi aussi tu es inquiète, ma douce Britta.
• Oui, tu as raison : je sens que quelque chose d’important va arriver aujourd’hui. Je ne sais pas quoi, mais cela va changer notre vie.
• Tu sens un tel changement à venir ?
• Oui, je ne sais pas comment je le sais, mais j’en suis certaine.
• Attendons, ce qui doit arriver arrivera et comme on dit, chaque moment est le bon moment. Si cela nous arrive, c’est que ça va nous apporter quelque chose et que nous y sommes prêts, tu ne crois pas ?
• Oui, tu as raison, mon Boraz
• Pas de raison de s’inquiéter en fait ?
• Non

Myra passait son regard d’un de ses parents à l’autre durant leur échange. Elle pouvait sentir tout l’amour qu’ils partageaient. Cet amour lui faisait chaud au cœur et la rassurait quant à ce changement qui devait leur arriver dans la journée. Ses parents seraient là.

Myra vit ses parents se prendre dans les bras l’un de l’autre alors qu’elle partait se laver. Elle avait beaucoup de chance d’avoir des parents comme ça. Ses copines lui parlaient parfois de disputes entre les leurs. Jamais elle n’avait entendu de cris entre les siens. Jusqu’à maintenant, elle avait baigné dans une maison pleine d’amour et de douceur, sans un mot plus haut que l’autre.

Elle sortit jouer dehors, devant la maison en attendant qu’arrive l’heure de la classe du jour : ils devaient aller dans le sous-bois apprendre (ou réviser) quels champignons utiliser pour quel usage. Tout à coup, elle s’aperçut que les oiseaux venaient de cesser leur pépiement. Plus un bruit. Quelqu’un devait approcher dans la futaie. En tendant l’oreille (elle avait de toutes petites oreilles mais une ouïe particulièrement affutée pour son âge) elle put entendre des pas dans les feuilles. Un adulte, ou deux et puis des pas moins forts et plus rapides d’un enfant sans doute. Elle avait étonné ses parents par sa faculté d’analyse acoustique, dès son plus jeune âge, même avant la fin de son second cycle complet.

Elle ne s’était pas trompée : de la lisière des arbres, elle vit apparaître le responsable du conseil des jeunes, ou plutôt la responsable. Il s’agissait de Fran, qui était aussi celle qui enseignait aux enfants du village. Elle tenait par la main un petit garçon, tout roux. Il devait être à peu près aussi vieux qu’elle (c’es-à-dire pas très vieux, sans doute moins de six cycles lui aussi) et avait le visage constellé de taches de rousseur, comme s’il avait été au soleil derrière une passoire. Son regard s’illumina quand il vit Myra et il lui fit un grand sourire en agitant sa main libre.

Ça allait bien se passer, si c’était ça le changement dont parlaient ses parents ce matin. Tout de suite, ce garçon lui plut. Britta, attirée par l’arrêt du bruit des oiseaux, arriva derrière sa fille et fit un grand sourire aux deux arrivants.

• Bonjour Fran ! Mais qui nous amènes-tu là ? Qu’il est mignon ce petit !
• Bonjour Britta, tu n’as pas l’air surprise de ma venue, ni que je sois accompagnée…
• Non, je savais qu’un événement important allait arriver aujourd’hui. Quand je te vois avec cet enfant, je me doute de ce que tu vas me demander...
• Ah bon ?
• Oui, je me doute qu’il s’agit d’un petit garçon sans parent et que tu viens pour nous le confier ? Il a quasiment le même âge que ma petite Myra, ça va très bien se passer…
• … Mais, Britta, comment sais-tu tout ça ? Tu es une sorcière, ma parole ? Une Enchanteresse ?
• Pas du tout, Fran. C’est tout simple : tu es la responsable du conseil des jeunes, tu es trop jeune pour avoir des enfants et celui-ci n’est donc pas le tien... En plus comme c’est moi qui vais accoucher toutes les femmes de la région, je l’aurais remarqué ce petit garçon avec sa chevelure de feu, il n’est pas d’ici et ses parents ne sont pas avec lui. Tous les autres couples du village ont deux enfants, nous sommes les seuls à n’en avoir qu’un. C’est aussi simple que 2+2 font quatre.

Myra, elle savait bien qu’il y avait autre chose. Sa mère savait beaucoup plus de choses qu’elle en voulait bien le laisser entendre. Mais si elle n’en parlait pas, c’est que c’était un secret. Et elle était très forte pour garder des secrets.

• Et comment s’appelle-t-il ce petit, demanda Britta ?
• Il s’appelle Mat et il a effectivement le même âge que ta fille, à quelques lunes près. Le conseil des jeunes voudrait te le confier pour que tu l’élèves en même temps que Myra.
• Eh bien c’est d‘accord, avec plaisir, Fran ! Viens me voir Mat, lui dit-elle en s’accroupissant devant lui et en lui tendant les bras

Il lâcha la main de Fran et s’approcha de la femme souriante. Près d’elle, il découvrit qu’elle sentait bon, un mélange de fruits, de pain chaud et aussi elle sentait la douceur et la tendresse. Il se blottit dans les bras ouverts en comprenant qu’il venait sans doute de trouver un chez-lui, enfin.

Au bout de quelques instants d’un gros câlin, sous le regard de Fran et de Myra, elle ouvrit se bras, libérant de garçonnet et dit :

• Myra, tu lui montres la maison, ta chambre (qui sera aussi la sienne) et les alentours ?
• Oui, Maman, fit la fillette en attrapant la main de Mat. Allez, viens avec moi, je vais te faire visiter !

Myra lui montra tout, sa chambre, ses jouets, toutes les pièces de la maison (il n’y en avait que quatre avec les deux chambres, la salle de lavage et la pièce principale, pour faire à manger, manger et se raconter des histoires). Ensuite, elle l’entraîna dehors et lui fît découvrir tous les coins et recoins autour de la maison. Son enthousiasme la faisait parler sans discontinuer, ne reprenant son souffle que très rapidement, entre deux phrases. Toute la journée se passa comme ça, en découvertes pour Mat et en babillages pour Myra. Même pendant les repas, elle n’arrêtait pas, sous le regard attendri de ses parents.

Boraz avait passé la journée à construire un lit pour le nouveau venu, lit qu’il avait été installer dans la chambre de Myra, qui était devenue leur chambre à tous les deux. Quand ils se couchèrent, peu après le lever des deux lunes, Myra était encore en train de parler dans son lit. Brusquement, gagnée par le sommeil elle s’arrêta. Mat apprécia le silence et avait encore le tournis après cette journée : tellement de nouveautés en si peu de temps. Cette Myra lui plaisait bien, même si elle parlait quand même beaucoup. Et Britta et Boraz étaient vraiment très gentils. Il allait bien se plaire parmi eux.