Préparation
Döug’s sortit de son étroite tente et leva les yeux. Il ne savait pas trop ce qu’il recherchait, peut être un signe, un augure, de la chance ? Le ciel était rose, mais pas d’un beau rose, un rose sale, et les nuages qui s’y promenaient n’étaient guère plus attrayants. Il faisait chaud, l’air sec et presque électrique annonçait un orage. Il se dirigeait vers la petite place au centre du camp pour rejoindre ses camarades. Les tentes, ocres et toutes aussi sales que le ciel, n’avaient pas fière allure. Certaines étaient même à moitié détruites, à moitié rafistolées. Tout sentait le souffre, le cuir chaud et le métal rouillé.
Les personnes qu’il croisait avaient un visage fermé, parfois triste, souvent terriblement souriant. Quelques-uns de ces hommes revenaient de la guerre, encore obsédés par les corps qu’ils avaient tranchés, les vies qu’ils avaient prises ou les femmes qu’ils avaient violées.
Le camp n’était pas grand et se trouvait en lisière du village. Ce dernier était placé en hauteur de manière à ce que les sentinelles aperçoivent les ennemis rapidement et avant eux. Une forêt qui ressemblait plutôt à une touffe épaisse d’arbres mi vivants mi pourris leur avaient servie de muraille défensive autour du village. L'emplacement de ce dernier était donc stratégique, ce n’était certainement pas pour la vue sur les plaines désertes qu’ils s’étaient installés là.
Sur la place, il y avait quelques personnes qui s’affairaient à diverses occupations, certaines s’entraînaient au combat, d’autres affûtaient leurs armes ou encore parlaient entre elles. C’était bruyant, chaque raclement du métal contre le métal faisait déferler une vague de frissons sur la peau translucide de Döug’s. Il ne se sentait jamais à sa place dans ce genre de lieu, comme un chiot perdu au milieu des chiens les plus vicieux. Dans cette foule, Jasmin et Huv attendaient Döug’s avec impatience.
Jasmin, le plus vieux des trois, avait des parents très fortunés, ce qui lui ouvrait de nombreuses portes. Quant à Huv, c’était l’un des Fells les plus forts de leur régiment et sa famille était assez populaire, réputée pour sa force de combat et sa grande résistance au Royaume, qualité très appréciée dans leur société guerrière surtout en ces temps agités.
Döug’s, lui, n’avait ni famille riche, ni famille populaire. Fils d’ouvrier et de couturière, il avait une famille banale, de plus elle vivait bien loin de lui. Il en avait été séparé à cause de la guerre. Il avait été enrôlé malgré lui dans l’armée, un chef de guerre avait pris connaissance de son génie stratégique qui n’était pour Döug’s, encore jeune à l’époque, qu’un jeu. La guerre pour les enfants, c’est juste des méchants que les gentils combattent et battent. Les armes, ça ne fait pas vraiment mal, et le sang c’est de la confiture de framboise à maman. Quant aux jeux de stratégies ce n’est que pour s’amuser, et travailler un peu avec son cerveau pour une fois. Mais pour les adultes, c’est une manière d’apprendre aux enfants Fells ce qui guidera leurs vies. Döug’s étant très intelligent, il était le champion au Malhar, une sorte de jeu d’échec Fell, avec un plateau bien plus grand et des règles plus brutales.
Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, peu s’intéressaient à ce qu’il pensait sur le sujet avant une bataille. Il était petit et maigre, deux défauts majeurs pour les Fells si prompts à la guerre et à la force physique. C’est pourquoi il rêvait d’avoir la carrure et la force de Huv, qui lui était plus grand qu’un humain et assez large, et très puissant. Döug’s l’appelait souvent « l’armoire vivante » ou encore « le buffle ». Cependant, ses rêves le portaient parfois à plus de richesses pour pouvoir vivre mieux comme Jasmin, qui n’avait pas à se soucier de sa subsistance ou de son accoutrement.
Huv et Jasmin attendaient leur compagnon pour aller au temple. Aujourd’hui était un grand jour, le « Nerka Tomo », une grande fête aurait lieu pour les villageois, avec de nombreux spectacles, beaucoup de combats, de la musique violente, de l’alcool à foison et des danseuses nues, et quelques fois des danseurs, arborant des tatouages de scènes sanglantes et de démons. Le village nouvellement installé était petit et reclus. Comme le temple venait d’être construit il allait, selon la tradition Ellemaënne, être inauguré et son représentant le « Nerk » (littéralement le gardien) allait être choisi grâce à une séries d’épreuves. Cette étape était importante, le Nerk représentait le village et il le protégeait, il était donc nécessaire que le meilleur des guerriers soit choisi. Un Nerk restait cinquante ans à sa place et il ne pouvait pas être un faible, il aurait rendu le village indigne de sa reine et risquerait de l’amener à sa perte. C’était la reine qui avait choisi les épreuves, et pour certains c’était la reine qui choisissait les Nerks à travers ses épreuves, comme un choix divin, que personne ne pouvait contester.
Le rêve de Döug’s était d’ailleurs de devenir Nerk. Cela pouvait paraître étrange, mais il sentait au plus profond de lui que tel était son destin, et que c’était en étant Nerk qu'il se sentirait le mieux. Il s’était donc inscrit pour passer les épreuves. Tout le monde pouvait s’inscrire mais tout le monde ne pouvait pas le devenir. La charge était lourde et les épreuves étaient dures. Elles pouvaient même être mortelles.
Pour le jeune Fell c’était « ces épreuves ou rien », autant dire maintenant ou jamais. Il voulait vraiment y arriver. C’était son rêve depuis toujours, presque sa raison de vivre. Il était prêt à y laisser la vie.
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