Green River, Wyoming
Ce récit a été écrit pour « À chacun son histoire », autrefois sur Doctissimo et maintenant sur le forum Slygame. Il faut s'inspirer d'une photo pour écrire un texte, celui-ci est d'abord publié anonymement.
Logan débarqua du bus Greyhound à Green River, Wyoming, vers 8 p.m. avec deux heures de retard et de fort mauvaise humeur. Il avait quitté la veille Kansas City, Missouri, et n’avait pas pu dormir, son masque, la clim glaciale et les ronflements de son voisin obèse qui empiétait sur son espace vital l’en avaient empêché. Les arrêts prévus pour les repas n’avaient pas pu être assurés et il avait dû se contenter de minuscules sandwiches immangeables vendus à prix d’or par le chauffeur. Quelle imagination d’appeler jambon un agglomérat d’additifs et de colorants. De plus, il avait reçu un mail le matin, le motel où il avait réservé une chambre avait déposé son bilan et fermé.
Il récupéra son sac à dos et sa valise dans la soute, jeta rageusement son masque dans une poubelle, respira un bon coup et réfléchit : la priorité était de pisser et de manger, on ne va pas au combat la vessie pleine et l’estomac vide. Il se soulagea contre un poteau de la compagnie électrique en espérant qu’aucun transformateur ne lui tomberait sur la tête.
Il eut de la chance, il avisa un restaurant, il pensa à un tableau de Hopper en temps de pandémie, vide. Le gouverneur local avait peut-être renvoyé les habitants à la maison. Il s’approcha, repéra avec soulagement l’écriteau « OPEN » à la porte, soupira en voyant le dessin d’un masque, en sortit un neuf de son sac, le mit et entra.
Un homme assis à une table se leva, vint à sa rencontre, c’était un Noir, qui devait avoir le même âge que lui, autour de vingt-cinq ans, il éteignit le téléviseur et le salua :
— Hello, je suis Tony, que puis-je faire pour toi ?
— Hello, moi c’est Logan, je meurs de faim, on peut manger ?
— Le cuisinier a congé, mais je ne veux pas être accusé d’homicide par négligence, je ne sais faire que les hamburgers et les frites, le temps de faire chauffer l’huile et sortir tout cela du congélateur.
— Parfait, je prends un double cheeseburger, des big frites, avec beaucoup de mayonnaise.
— Toi, tu as des soucis. Chagrin d’amour ?
— Je te raconterai. Mais je dois d’abord manger.
— Enlève ton masque, le shérif ne viendra pas nous emmerder ce soir. Il doit être collé devant son poste avec un pack de canettes pour fêter la réélection de Trump.
— Il est en tête ?
— D’après les sondages. Je m’en fous, l’autre n’est pas mieux, il devrait être en maison de retraite et Trump à l’asile. Tu bois quoi ?
— Un Diet Coke.
L’odeur de l’huile rance envahit la salle, Tony prépara le repas, Logan l’engloutit.
— Je t’offre le dessert et le café, dit ensuite Tony, un cheesecake, ça te va ?
— Parfait. Un decaf. Je recommanderai ton troquet sur Tripadvisor.
Tony s’assit à la table de Logan, respectant une certaine distance.
— Alors, tes soucis ?
— Le motel Western Inn a fermé, je n’ai pas pu en trouver un autre, je n’avais pas de réseau et mon portable s’est déchargé.
— Rien que ça ? Ce n’est pas bien grave. Je pensais que ta copine t’avait plaqué.
— Aussi, à part que c’était mon copain, il n’a pas voulu me suivre dans ce trou perdu.
— Il n’a pas eu tort, de ne pas te suivre j’entends, par contre il a eu tort de plaquer un beau gosse comme toi.
— Tu es sincère ou te le dis à tous tes clients ?
— Je suis sincère. Pas un mal si le Western Inn a fermé, ce n’est pas agréable de dormir avec des cafards.
Logan mangea son cheesecake et but son café. Tony lui demanda :
— Que viens-tu faire dans ce trou perdu ?
— Je vais travailler dans la nouvelle usine de matériel ferroviaire.
— J’en ai entendu parler, bonne chose pour la région, j’espère que les affaires reprendront, sinon je finirai comme le Western Inn.
— Je te remercie pour tout. Tu connais un autre motel pas cher, sans cafards si possible ?
— Ouais, ici.
— Ici ?
— J’ai une piaule vide à l’étage, mon copain m’a aussi plaqué.
— Vous faisiez chambre à part ? demanda Logan en riant.
— Il ronflait, mais je t’accueillerais volontiers dans la mienne.
— C’est vrai que les Noirs ont une grosse queue ?
— Tu verras. Il ne viendra plus personne ce soir, on ferme.
Tony verrouilla la porte et tourna l’écriteau sur « CLOSED ».
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