Ronde de nuit
Ce récit a été écrit pour « À chacun son histoire » sur le site recit.slygame.fr. Il faut s'inspirer d'une photo pour écrire un texte, celui-ci est d'abord publié anonymement.
Arnaud et Ghislain étaient policiers depuis peu dans une petite ville de province. Ils s’appréciaient beaucoup et aimaient bien se retrouver ensemble pour patrouiller. Ce soir-là, ils débutèrent la patrouille de nuit vers 21 heures, Arnaud était au volant, comme d’habitude. C’était un lundi, la boîte de nuit était fermée et il n’y aurait certainement pas de rixes. Ils firent le tour de la ville sans itinéraire planifié à l’avance et se retrouvèrent dans le quartier le plus récent.
— C’est amusant de voir les fenêtres des appartements encore allumées, fit Arnaud. On dirait que tous les architectes ont les mêmes plans, que tous les habitants ont les mêmes vies : le couple sur le sofa d’inspiration nordique, endormi devant une émission débile à la télévision, les ados boutonneux dans leurs chambres en train de se branler en visionnant des pornos sur leur smartphone.
— Tu n’as pas tort, mais n’as-tu pas la même vie qu’eux ? En quoi es-tu différent ?
— Je n’ai ni femme, ni ado boutonneux. Et c’est moi qui me branle en matant des pornos.
— Je te ressemble, mais je préfère lire des récits érotiques.
La radio grésilla et interrompit leur conversation :
— Central à patrouille 001. Une mémère à chien-chien nous signale un homme nu couché dans l’herbe au Parc Hervé Guibert.
— Patrouille 001 à central, répondit Ghislain, bien compris. Mort ou vif, le gars ?
— Elle n’a pas osé s’approcher trop près. Elle vous attend.
— C’est mieux ainsi, on y va.
Arnaud alluma les gyrophares et ils furent en quelques minutes sur le lieu du crime, enfin ils ne savaient pas encore s’il y avait vraiment eu un crime. Le chien-chien de la dame, un minuscule caniche blanc, était très excité et les accueillit avec des aboiements à réveiller tout le quartier.
— Du calme, Bijou, dit la mémère, ce sont de gentils policiers et ils ne vont pas me violer.
Bijou fut à moitié convaincu et se mit à grogner.
— Bonsoir messieurs, continua-t-elle, vous l’excuserez, nous devrions être rentrés à cette heure, il est fatigué.
— Bonsoir madame, fit Ghislain, nous ne vous retiendrons pas longtemps, je pense que vous avez donné votre nom au central, on vous rappellera demain si nous avons besoin d’un témoignage.
— Je serais ravie, je pense même qu’un reporter de « La Dépêche du Soir » m’interviewera si j’ai découvert un cadavre.
— Je crois que ce journal a cessé de paraître. Où est le corps ?
— Ici, dit la dame en le montrant du doigt. Ce qui m’a troublé est qu’il est entièrement nu et qu’il a un gros… zizi. Bien plus gros que celui de mon défunt mari, paix à son âme.
— Parfait, dit Arnaud, vous pouvez rentrer chez vous.
— Je ne peux pas rester ?
— Cela nuirait au sommeil de Bijou. Bonne nuit, madame.
— Oui, bonne nuit, messieurs.
La dame s’éloigna pour observer discrètement la scène de plus loin, cachée derrière un buisson. Ghislain passa un masque et des gants puis s’approcha prudemment du corps, il tâta le pouls au poignet.
— Tu peux venir, dit-il à son collègue, c’est Marcel et il n’est pas mort, sûrement bourré, comme à son habitude.
Arnaud s’approcha, il éclaira les différentes parties du corps avec sa lampe de poche.
— La dame avait raison, il a vraiment une grosse bite.
— J’avais déjà remarqué lors d’une fouille au corps.
— Il a une blessure au mollet, je me demande ce que c’est.
— Sais pas, une piqûre d’insecte peut-être.
Le dénommé Marcel ouvrit les yeux et dit :
— Où suis-je ? Ah, je vous reconnais, mes anges gardiens.
— Ouais, encore toi, fit Arnaud. Tu vas passer une nouvelle fois la nuit dans la cellule de dégrisement.
— Assez confortable, à part les chiottes qui puent.
— Je m’inquiète quand même de cette rougeur à la jambe. Sais-tu ce que c’est ?
Marcel leva la tête :
— Je suis à poil ! Où sont mes habits ?
— Sais pas, on reviendra les chercher plus tard, lorsqu’il fera jour. Réponds plutôt à ma question.
— Non, je ne sais pas ce que c’est.
— Tu as de la chance, tu passeras la nuit à l’hôpital plutôt qu’au trou. Cajolé par une infirmière, ça te dit ?
— Ça ou autre chose…
— On va t’aider à te lever.
Les deux policiers soutinrent Marcel et le menèrent jusqu’à la voiture.
— Pisse et dégueule avant de monter, nous ne voulons pas passer le reste de la nuit à nettoyer tes déjections.
Marcel pissa longuement, mais assura qu’il n’avait rien dans l’estomac. Arnaud enclencha à nouveau les gyrophares pour être le plus vite possible à l’hôpital et réduire les risques.
Un médecin et une infirmière, sortis d’un roman de la collection Harlequin Blanche et égarés par erreur sur ce site, les accueillit. C’était le Dr Thibault d’Arbois de Jubainvile, jeune interne qui venait de terminer ses études, irrésistible, courageux, charmeur et sexy, et Mademoiselle Nadège Dupont, infirmière cherchant depuis des années un héros, un vrai, afin de vivre une passion tumultueuse.
— Bonsoir messieurs, dit le médecin, que puis-je faire pour ce jeune homme ?
— Bonsoir docteur, fit Ghislain, vous pourriez regarder s’il a assez de sang dans l’alcool, mais c’est surtout cette rougeur à la jambe qui nous inquiète. Si c’est suspect, examinez-le partout et faites-nous un rapport.
— Contrôlez aussi ses hémorroïdes, vous voyez ce que je veux dire, ajouta Arnaud. Il est connu des services de police pour avoir du sexe tarifé avec d’autre hommes.
— J’en profiterai pour le tester au VIH et autres IST.
— Bonne idée, et si vous pouviez le convaincre de ne plus boire… mais je crains que ce soit mission impossible.
Les policiers donnèrent le nom complet du jeune homme à l’infirmière et la prièrent d’appeler le central dès qu’ils sauraient ce qu’était la blessure. Ils accompagnèrent Marcel jusqu’à un box, c’était le seul patient en cette douce soirée de juillet.
Mlle Dupont était déçue, elle avait pensé que le Dr Thibault la prendrait sauvagement dans ce box cette nuit-là et la déflorerait. C’était raté. Ce patient avait une grosse bite, mais elle imaginait que le docteur en avait une encore plus grosse. Elle avait regardé discrètement son dossier médical, mais n’avait pas trouvé cette information. Elle avait juste trouvé qu’il était circoncis, la connaissance de ce détail intime était un petit secret entre les deux qui la laissait augurer d’un avenir radieux.
Les policiers reprirent leur ronde de nuit, sans rien voir de suspect. Une heure plus tard, après avoir contrôlé si tout allait bien pour un sans-abri couché sur un banc, Arnaud dit à son collègue :
— Nous sommes plus des assistants sociaux que des policiers, nous aidons tous les paumés de la société.
— Ne sommes-nous pas nous aussi un peu paumés ?
— Pourquoi dis-tu cela ?
— Sais-tu ce que l’on murmure lorsque nous avons le dos tourné ?
— Je devine, que nous sommes deux pédés, fit Arnaud
— Oui, malgré des cours, ils continuent à traiter les gens de pédés et ne peuvent pas dire gay, homosexuel, LGBT, que sais-je encore de plus politiquement correct.
— Nous avons tutoyé Marcel, nous aurions dû le vouvoyer et lui dire « Monsieur », c’est ce que l’on apprend aux cours.
— Pas faux.
La radio grésilla et interrompit leur conversation :
— Central à patrouille 001. Rien de suspect pour le dénommé Fleury Marcel retrouvé nu dans un parc. Enquête terminée.
— Patrouille 001 à central, répondit Ghislain, bien compris.
— Le jour se lève, dit Arnaud, on va récupérer ses habits.
Ils les trouvèrent facilement, près de l’endroit où le corps gisait. Ghislain prit un sac en plastique, passa un masque et des gants et ramassa chaque objet l’un après l’autre.
— Capote usagée, dit-il, le gars qui l’a baisé a au moins pris ses précautions. On la garde ?
— Non, ce n’est plus une pièce à conviction.
— Portemonnaie vide, bouteille vide, tee-shirt, jean, godasses, jock-strap, c’est plus rapide pour se faire enculer. Pauvre type, il me fait pitié.
— Allons, les flics sentimentaux ça n’existe pas.
Ghislain jeta la capote et la bouteille dans une poubelle et ils retournèrent à l’hôpital. L’infirmière lisait un roman de la collection Harlequin Blanche. Le médecin leur dit :
— Merci d’avoir retrouvé ses habits. Le patient dort, il m’a prié de vous remercier pour ce que vous avez fait pour lui.
— Nous ne faisons que notre métier, fit Arnaud.
— Je lui ai parlé longtemps, il désire s’en sortir, il veut faire une cure de désintoxication et arrêter de se prostituer, trouver du travail.
— Serment d’ivrogne.
— Non, je pense qu’il est sincère, il a eu honte de se retrouver nu dans ce parc.
— Espérons qu’il tiendra parole.
Les deux policiers quittèrent l’hôpital, c’était l’heure de rentrer au poste et de faire un bref rapport des évènements de la nuit. Arnaud dit à Ghislain :
— Tu n’es pas obligé de me répondre. Es-tu gay, homosexuel ou LGBT ?
— Oui, gay, et toi ?
— Aussi. Ils ont raison nos collègues. On dit que les homosexuels sont efféminés, c’est inexact, je t’ai vu à poil sous la douche après le sport, tu es très viril… et sexy.
— Arrête, on se croirait dans un roman à l’eau de rose.
— Tu m’as dit que tu aimais la littérature.
— Pas ce genre, dit Ghislain, il me faut des vraies scènes de cul. Que fais-tu après le travail ?
— Je vais dormir dans mon appartement aux meubles d’inspiration nordique, dit Arnaud.
— Pas de plan cul prévu ?
— Non, même pas de branlette, je suis trop crevé.
— Et si tu venais dormir chez moi dans mon appartement aux meubles d’inspiration nordique ? Je te préviens, ma télé est en panne.
— Pas de souci, on trouvera bien une autre occupation au réveil.
Arnaud arrêta la voiture et ils échangèrent leur premier baiser.
Deux fins heureuses pour cette historiette :
Le mariage des deux policiers fit grand bruit. Le maire, gay lui aussi, avait discrètement demandé à son service de communication de faire de la pub afin de prouver que toutes les orientations sexuelles et tous les genres cohabitaient harmonieusement dans ses services et qu’il ne laissait passer aucune discrimination. Les collègues d’Arnaud et de Ghislain furent déçus, ils durent se rabattre sur deux pervenches qui étaient assurément des gouines.
Le mariage entre le Dr Thibault d’Arbois de Jubainvile et Marcel Fleury fut beaucoup plus discret, la vieille noblesse n’aimait pas trop avoir des gays dans la famille, les lectrices de la collection Harlequin Blanche non plus. Marcel avait arrêté de boire et débuté une formation d’infirmier, au grand dam de Mlle Nadège Dupont. Heureusement, peu après, un nouvel interne débarqua à l’hôpital, irrésistible, courageux, charmeur, intact et sexy.
La littérature est faite pour rêver, n’êtes-vous pas de cet avis ?
Annotations