Joseph et la vitre
Comme chaque jour, Joseph était là. Fidèle au poste, agenouillé devant la vitre.
Il est entré en trombe dans la pièce, claquant la porte contre le mur. Depuis le seuil, il a balayé du regard la salle, vérifiant que chaque objet était à sa place : les murs blancs avec ses étagères aux piles impeccables, les chaises, les tables où s’amoncelaient tas et panières, les appareils en surchauffe… jusqu’à fixer la vitre. Hypnotisé, il s’est approché à petits pas pour venir coller son nez au carreau épais. Plissant les yeux, louchant, tant il était proche pour scruter à travers la surface transparente. Il a fini par reculer un peu et ses yeux se sont écarquillés.
Lui, c’était bien lui sur la vitre !
Il a décalé sa tête dans différentes directions, testant la distance où son reflet disparaissait. Apparaissait. Disparaissait. Apparaissait. Disparaissait. Apparaissait.
Il a alors approché sa main du verre, pour la retirer aussitôt, toujours surpris par ce premier contact. A la fois sur ses gardes mais de plus en plus excité, il a renouvelé l’expérience, plaquant une main puis l’autre. Le reflet a disparu de sa vue, de son intérêt et de ses pensées. Il s’est laissé envahir par les sensations : les vibrations, le bruit, la chaleur et le mouvement. Il a décalé ses mains afin d'observer l’eau qui dégoulinait de l’autre côté de la paroi, le tourbillon blanc créé par la force centrifuge et, au coeur du maelstrom, le trou noir. Fasciné, il s’est laissé absorber.
— Joseph… Joseph ? Tu sais que tu n’as pas le droit d’être tout seul dans la lingerie. Ton éducatrice te cherche. Il faut que tu y ailles maintenant.
Joseph s’est laissé emmener. Sa petite main tirée vers la sortie, la tête dévissée pour pouvoir regarder le plus longtemps possible le hublot… " 1600 tours minute. 1600 tours minute.1600 tours minute" a répété Joseph, longtemps encore après que la porte se soit refermée.
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