Chapitre 1 - Recherches - Partie 5
Être archiviste offrait un statut particulier, qu’on le veuille ou non. Cette fonction était exclusivement masculine. Pour d’obscures raisons, les rares phases d’humaniformation qui avait été menées s’étaient toutes, sans exception, terminées très mal pour les sujets féminins. Ainsi, en désespoir de cause, les femmes avaient été écartées définitivement de la fonction d’archiviste. Outre la gestion de l’Encyclopedia Humanis 55 Cancri, appelée plus communément Humania, ils impressionnaient par une faculté surhumaine. Les archivistes détenaient une mémoire eidétique surdimensionnée. Les moindres détails des événements d’un jour, d’une semaine, s’inscrivaient profondément en eux, avant d’être retranscrits dans l’Humania.
Alban Romani faisait partie de cet ordre depuis son plus jeune âge. En effet, les résultats de ses analyses génétiques confortèrent ses parents à lui faire prendre cette voie. Plus tard, avant l’âge adulte, il décida de recevoir l’humaniformation, un choix lourd de conséquences, car irréversible. De fait, il ne l’avait jamais regretté. Depuis ses études et sa formation à Vard, il avait montré des capacités tout juste moyennes. En accord avec celles-ci, il avait été affecté à une cité de moyenne envergure, Diop. Il y pratiquait l’instruction des jeunes Dioppois.
Comme à l’accoutumée, Romani devait libérer sa formidable mémoire par la délivrance. Ainsi tous les moments vécus dernièrement rejoindraient l’immense base de savoir humain. C’est après cette séance que l’archiviste repensa aux deux jeunes qu’il avait priés de quitter les lieux. Une intuition le mena à reconsidérer leur présence. Auparavant, il devait s’astreindre à sa séance de recoupage et de validation mémorielle de ses semblables. En parcourant les mémoires d’un de ses confrères, il fut saisi par l’évocation des deux mêmes jeunes ayant surpris une conversation. Il fit le lien aussitôt et arrêta sa séance. Il vérifia les registres de consultation des informations sensibles. Une sueur froide lui parcourut l’échine quand la confirmation tomba. Il avait failli dans sa mission. Tout ce qui tenait récemment aux Hommes-ombres ne devait pas se diffuser dans le grand public. Du moins, pas sans l’accord des centurions archivistes de Vard.
Zack et Josh avaient feint assez longtemps l’intérêt qu’ils prêtaient aux explications détaillées du responsable du site d’exploitation de la comite, Tomas Sverson. D’ailleurs, les termes techniques commençaient sérieusement à leur donner des maux de tête. Pour couper court au monologue qui aurait pu durer encore plusieurs heures, Zack reprit à la volée l’évocation de ladite roche pour tenter d’orienter la discussion sur un sujet plus avenant.
« La comite a été reconnue comme une ressource indispensable pour notre développement technologique, mais j’ai cru comprendre que les Hommes-ombres et toutes les entités liées à Parelia en dépendent. Peut-être qu’une exploitation trop importante pourrait leur nuire ?
À cette question, les deux frères sentirent le regard du responsable plein de bonhommie prendre une tournure plus sévère.
— De toute façon, ça, c’est à Vard que ça se décide. Et puis si on leur nuisait tant que ça, les Hommes-ombres seraient déjà intervenus.
Josh sauta sur l’occasion.
— Justement, Zack et moi, on a entendu dire qu’un Homme-ombre avait refait surface…
Tomas Sverson marqua un silence gêné en regardant les deux adolescents.
— Nous ne les dérangeons pas. C’est tout ce que je peux vous dire.
Puis, enchaînant directement sur un autre sujet, il leur fit signe de le suivre.
— Vous allez voir LA spécificité de ce site. Celle qui fait la fierté de notre décurion ingénieur que je vais vous présenter », commenta-t-il tout en se dirigeant vers un grand pupitre affichant de belles illustrations.
Zack haussa les épaules et fit un léger mouvement de la tête pour inviter son frère, las de la visite, à faire encore un petit effort.
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