Chapitre 2 - Puits - Partie 2
Située à des latitudes moins élevées, la nuit commençait tout juste à recouvrir Diop, la petite cité de Parelas-d. Comme les autres lieux d’implantation humaine, elle était en grande partie autonome grâce aux fonctionnements ininterrompus des synthétiseurs et des recycleurs. Cette technologie héritée de la conquête de Mars avait permis de ne plus dépendre de la faune et de la flore. Ainsi, l’humanité avait quitté le sommet de la chaîne alimentaire. En conséquence, les Hommes dépendaient désormais de ces machines qui leur réalisaient des mets d’une grande qualité nutritionnelle. Cependant, même les modèles les plus avancés de Vard ne pouvaient égaler les plats savoureux servis sur Terre durant la période pré-extra-expansionniste. Malgré tout, ces indispensables infrastructures ne se limitaient pas à la nourriture. L’ensemble des biens et des matériels étaient constitués en leur sein, dès l’instant que l’on détenait le schéma et les ressources nécessaires à leur confection. Ainsi, cette petite société vivait dans un confort raisonné. Et la devise « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » était inculquée dès le plus jeune âge comme la condition sine qua non de la survie de la colonie.
Après avoir validé sa présence, l’archiviste récupéra sa commande au centre de distribution avant de retourner, comme après chaque session de travail, dans le logement qui lui avait été affecté des années auparavant. Dans quelques semaines, cela ferait trois années qu’il vivait seul au sein de cette communauté reconnue pour son calme. Non par devoir, mais par choix, il avait écarté toute vie amoureuse pour le moment. Il n’y avait aucune injonction donnée aux archivistes pour pratiquer l’abstinence. En effet, les préoccupations du centre de peuplement parélien étaient bien loin des principes de population issus d’un économiste terrien de l’ère pré-extra-expansionniste, Thomas-Robert Malthus. Pourtant, son quotidien si monotone avait été troublé. Les deux jeunes avaient créé dans sa vie une vaguelette, certes. Mais il craignait par-dessus tout que celle-ci se transforme, tôt ou tard, en une vague scélérate qui viendrait le fracasser contre les devoir de sa caste.
Alban Romani avait terminé rapidement sa session de travail sans rien laisser en suspens. Il s’était arrangé pour s’avancer sur des travaux supplémentaires afin de se dégager un peu de temps. Il était conscient qu’il devrait peut-être en disposer si la situation s’envenimait. Il avait quitté prestement le bâtiment qui recelait une copie du savoir humain pour récupérer sa commande synthétisée à un point de distribution.
La boîte contenant son repas du soir à la main, l’archiviste dépassa une ruelle. À la nuit tombante, les allées de Diop prenaient des atours fantomatiques, de nombreux vaporisateurs tournaient à plein régime pour humidifier la petite cité et ses installations. Alban Romani s’arrêta un instant, pensif. Il regarda si l’horaire n’était pas trop tardif. Pourtant, il devait en avoir le cœur net et s’entretenir rapidement avec eux. Rebroussant chemin, il se laissa guider par son pupitre d’information mobile ancré à son poignet. En quelques minutes, il arriva à destination. Il hésita. Puis s’avança vers l’entrée du logement. C’est en qualité d’instructeur de Zack et Josh que l’homme se présenta à leur domicile. Le père des deux frères, Sven Reigh, d’une stature moyenne et aux épaules musclées, le reconnut et l’accueillit chaleureusement.
« Salutations Archiviste Romani, en quoi puis-je vous aider ?
— Eh bien, d’abord je m’excuse de vous déranger si tard.
— Oh, pas de souci. Nous venions de terminer notre repas avec Malia. Pour une fois que l’on ne doit pas attendre Zack et son frère pour manger, lança-t-il sur un ton satisfait.
L’archiviste resta immobile un instant, assez de temps pour que son interlocuteur le remarque.
— Archiviste Romani…
— Oh ! Rien de grave. Je passais à proximité, indiqua l’archiviste en montrant sa livraison. Je voulais juste demander une précision à Zack. Josh avait oublié, semble-t-il, son sac. Mais, cela peut attendre.
Un peu étonné, Sven Reigh enchaîna avec le sourire.
— Pas de souci. De souvenir, Josh l’avait bien. D’ailleurs, ça me revient, il l’a pris avant de partir. Ils reviennent demain. Encore merci à vous de les avoir intéressés à ce site d’extraction de la comite. Je ne sais pas comment vous vous y êtes pris, mais ils ne pensaient qu’à cela.
Il continua avec la même ferveur.
— Et puis, vous savez, entre nous, on les couve trop. Ils ont depuis bien longtemps dépassé la période de Lekia.
La luminosité blanche de l’entrée renforçait le visage blême de l’archiviste.
— Le site d’extraction de comites… Oui, bien sûr. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Je vous souhaite une bonne soirée.
— Vous de même, Archiviste Romani », lui répondit le père avec un large sourire en refermant doucement la porte, ravi de retrouver le calme de son domicile et enfin de profiter de sa soirée en tête à tête avec Malia.
L’archiviste fit quelques pas pour reprendre le chemin de son logement. Derrière lui, les voiles de fine vapeur passaient en rafraîchissant l’atmosphère. Soudain, l’archiviste fit demi-tour en forçant un petit robot d’entretien à l’éviter. Il força le pas pour retourner vers le bâtiment renfermant l’Humania de Diop. Il s’approcha d’un recycleur et y déposa son colis-repas. Il ne mangerait pas ce soir.
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