Chapitre 1 : Le briseur de cœurs.
Je restais jusqu’à la fin du concert pour avoir une discussion avec Dossan. Ce fut difficile pour une casanière de ma sorte de rester éveillé jusque si tard. Vers une heure du matin, je le vis remonter du sous-sol, trempé de sueur. Le patron du bar se dirigea vers lui et ses compagnons, leur tendant leur paye. Le blondinet sépara le paquet d'argent en quatre, comptant avec soin les billets et cria au barman que c'était sa tournée. J'avais attendu toute la soirée, alors je pouvais bien encore attendre un peu.
- Plein aux as ! Et grâce à qui ? Grâce à mon trésor, ma mine d'or, et le garçon le plus mignon que je connaisse, hein petit corbeau ? fit le blond en pinçant ses joues pâles.
- Lew’ ne m'appelle pas comme ça, rechigna-t-il en dégageant sa main d'un geste.
- Tout le monde te connait sous le nom du corbeau maintenant ! s'écria le contrebassiste qui buvait une chope à côté du batteur, muet.
- Ne t'étonne pas, cette chanson serait un hit, si on avait accès aux radios ! Tu souris, mon chou ? Ne sois pas si humble, trinquons à ta gloire, briseur de cœurs.
- Et tu brises le mien, s'éleva une voix pleine de sarcasme.
- Voilà les riches, gloussa le batteur.
Chuck se présenta devant Dossan, l'invitant dans une accolade. Il se blottit directement dans ses bras. Son point faible. Louis le poussa, réclamant sa place de meilleur ami à son tour. Bien sûr, il eut droit aux étreintes tout comme Elliot et Michael. La présence de ce dernier m'étonna fortement.
- Ne vous battez pas pour moi, les gars, rit-il enfin.
- Comme si j'allais laisser ces mecs poser ne serait-ce qu'un doigt sur toi ? dit Chuck.
-Trop tard, on a même pris une douche ensemble l'autre soir !
- Oh, tu es passé de l'autre bord ? ricana Elliot à son tour.
- Qui sait, exagéra-t-il, je plaisante, c'était dans les bains publics. Je vous paye un verre les gars ?
- On va bientôt rentrer, la prochaine fois, répondit Michael.
- J'en aurais bien pris une, ajouta Louis, mais Alicia m'attend. Le concert était génial, vous gérez les gars !
- Pas trop mal, en effet, s'amusa Chuck à embêter Lewis. Mais c'est Dossan le meilleur, bien sûr !
- Ahahah merci…
Le peu de bonheur qui s'aventurait sur son visage marqué s'envola lorsque nos regards se croisèrent. Il se dégagea du groupe, sans rien dire, pour venir à ma rencontre tout en me dévisageant de haut en bas. Je lisais la haine dans ses yeux. Puis, arriver à ma hauteur, il se mit à rire.
- Madame la psychologue, quel bon vent vous amène donc, ici, si tard ? Vous êtes venus voir le concert ? J'espère que le spectacle vous a plus. Vous ne devriez pas être en train, je ne sais pas, de trier les dossiers de vos patients ? gloussa-t-il en s’accoudant à ma table.
- Bonjour Dossan, moi aussi je suis heureuse de te revoir. J'étais un peu curieuse de découvrir ce que tu faisais comme musique avec ton groupe, alors je suis venue jeter un œil.
- Pas trop déçu ? J'espère que la vue vous écœure pas trop, persifla-t-il en se rapprochant de mon visage.
- Je devrais l'être ? demandais-je en retour.
Il dissimula un sourire contrarié en baissant la tête tandis qu’une jeune fille, blonde platine, mini-jupe en cuir et talons haut vint nous interrompre. Elle glissa son bras autour du sien. Je vis au peu de lui qui restait dans son regard qu'il ne la connaissait pas. Mais il joua le jeu, provocateur.
- Désolée Madame, je suis très demandé, dit-il sur un ton de rigolade.
Tout le monde se l'arrachait : les gars de son groupe voulant trinquer avec lui, ses amis de l'école qui voulaient profiter de lui avant de repartir et cette fille qui ne l'aimait sûrement que pour son joli minois et sa popularité. Moi aussi, je tentais de le retenir.
- Je te garde une place lundi après-midi, lui criais-je alors qu'il s'engouffrait dans une autre pièce.
- Ça ne sert à rien, me lança Chuck. Il a juste besoin de s'amuser un peu.
- Il vaudrait pourtant mieux qu'il revienne…
- C'est vous la psy ! On se dit à lundi madame ? Entre le rendez-vous louper de Dossan et celui de Michael. Quelle bande de copain foufou on fait ! balança-t-il à haute voix. Bah quoi ? Combien de temps on va faire semblant qu'on ne voit pas tous la même psy ? ajouta-t-il avant de sortir du bar.
Allons donc, ils n'avaient toujours pas crevé l'abcès. Chacun d'entre eux passait tour à tour dans mon bureau depuis des mois et le sujet était encore tabou ? Je m'étonnais qu'ils passent sous silence cette information. Peut-être que ça leur permettait de garder un équilibre. Je restais pour finir mon verre, dans l’espoir de le voir sortir rapidement de cette pièce.
Une fois seul, la jolie fille lui avait littéralement sauté dessus, le poussant sur le fauteuil pour le chevaucher. Il déposa ses mains sur ses hanches pendant que leurs langues se rencontraient, elle, glissant ses doigts dans son plumage.
- Le corbeau, tu sais ce qu’on dit de toi ? Il y a une rumeur qui dit que tu brises les cœurs parce que tu n’acceptes jamais d’aller jusqu’au bout, fit-elle en s’essuyant les lèvres. Pourtant tu as l’air en forme, ajouta-t-elle en passant sa main dans son entrecuisse.
Elle s’agenouilla au sol et écarta ses jambes pour détacher sa ceinture. Lorsqu’elle eut en main ce qu’elle convoitait tant, il la regardait de haut, prit entre plaisir et dégout. Il déposa sa nuque contre le dossier et quand il sentit ses lèvres s’approcher dangereusement, il devint livide et la poussa, vomissant ses tripes sur le côté. Elle poussa un cri et s’empressa de redescendre sa jupe avant de le laisser à son sort. J’entendis le fameux Lewis dire “encore” lorsqu’il la vit sortir. Dossan suivit quelques minutes après, blanc comme un linge et s’installa prés du reste du groupe. L’un d’eux déposa une main dans son dos. Il avait l’air si malade, attrapant pourtant une autre bière. Il l’affona et claqua le verre contre la table. Je compris à son regard intimidant que je n’obtiendrais plus rien de lui ce soir-là. Alors, je payais mon verre et décidai de rentrer à l’appartement. Quelle fut ma surprise, quand je découvris Michael assis sur un des bancs près de l’internat, abattu.
- Décidément, vous tombez toujours à pic, dit celui-ci lorsque je m'assis à mon tour.
- Le hasard fait bien les choses, en effet. Voudrais-tu en parler ?
- Oh vous savez, c'est toujours la même rengaine, on pourra en parler en séance bientôt, pouffa-t-il d'un rire peu sincère.
- Mais c'est ce soir que tu as besoin de parler, sinon tu ne serais pas là. À quoi penses-tu ? Dis-moi ce qui te traverse l'esprit ?
- Je ne me rendais pas compte à quel point Dossan n'allait pas bien, je remets tout en question, avoua-t-il. Pas besoin d'être un Richess, pour souffrir autant, je l'ai ressenti dans sa voix et ça m'a rappelé… Je ne sais pas, ses paroles m'ont secoué.
- Moi aussi, je suis contente d'être venu le voir chanter. Je crois que je peux le comprendre un peu mieux...
- Vous pensez qu'il reviendra ?
- Tu dévies le sujet, n'est-ce pas ?
- En effet, dit-il après un temps. Madame, peu importe le nombre de séances, peu importe les efforts que je fournis… Je n'arrive pas à l'oublier, peina-t-il à dire. À chaque fois que je la vois avec lui et même quand je suis avec ma… future femme… je...
- Doucement, ne panique pas et respire avant de parler, lui dis-je en voyant qu'il perdait le contrôle.
- En fait, je me dis que tout aurait pu être différent. S'il n'y avait pas eu cette foutue toile !
- Penses-tu vraiment que ça aurait différent ?
- Non le résultat aurait été le même, répondit-il raisonnablement. Mais peut-être que les choses se seraient faites plus doucement, que ça n'aurait pas été si radical. Je vais rentrer Madame, dit-il soudainement après s’être levé. Merci pour tout, nous nous verrons à l’école, ajouta-il en me tendant la main.
Je sentis toute sa peine lorsque je la saisis. Vous savez ce qu’on dit, qu’avec des si on referait le monde. Michael restait enfermé dans ses souvenirs les plus heureux, se torturant en imaginant ce qu’aurait été sa vie, s’ils n’avaient pas trouvé le tableau. En effet, si ça avait été le cas, ils auraient peut-être pu se quitter avec dignité.
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