Chapitre 21 : À plus tard.
Je regrettais immédiatement de n’avoir rien dit à Dossan, prenant ma propre ignorance comme excuse. Est-ce que je rencontrerais mes prétendants durant les vacances ? Je n’en avais aucune idée, mes parents n’ayant pas encore clarifié leurs envies à ce propos. Même si nous avions promis de nous revoir à la rentrée, quand il quitta ma chambre, m’y laissant à moitié nue, j’eus l’impression de le quitter à tout jamais.
Nous avions déjà vécu une longue séparation à cause des grandes vacances, mais cette fois était différente. À tout moment, mes parents m’annonceraient qu’il serait temps de rencontrer ceux que je n’aimerais sûrement jamais. Comment pouvais-je aimer quelqu’un d’autre que Dossan après tout l’amour qu’il m’avait donné ? Comment pouvais-je ne serait-ce qu’imaginer une vie sans lui ?
Parce que les autres Richess avaient déjà choisis leurs partenaires, j’étais certaine que ma mère ne résisterait pas à la tentation de les imiter. Nous étions tous censés commencer la course aux prétendants à la rentrée, mais la découverte de nos relations avait accéléré le processus. Il était impossible que ma mère ne s’en sente pas menacer ou que sa fille soit la dernière à trouver son futur mari, bien que ce fût déjà le cas.
Je somnolais dans la limousine, remémorant chaque détail de ma dernière journée avec Dossan. Sa gentillesse, sa joie, son sourire m’apportait réconfort. Et son affection, ses initiatives pour simplement me faire plaisir me touchait. Le contact de ses doigts sur ma peau, de sa bouche contre la mienne, avide du reste de mon corps. Je rougissais seule dans la voiture et me redressais. Quelle torture de me rappeler ses caresses en cet instant. Le chauffeur me lançait des regards insistants, se demandant si j’allais bien. Un peu de fièvre ? Oui, celle de Dossan, voulais-je répondre.
Découvrir la façade de ma maison, me rappela que j’y serais pour deux longs mois, loin de celui que je considérais comme mon premier amour. Mon cœur s’écrasa lorsque je le revoyais quitter la chambre. Comment survivre à son absence ? Et lui à la mienne ? À l’inverse de Dossan, j’avais la chance d’avoir un fils.
Celui-ci, courut dans mes pattes dès l’instant où je traversais la porte du grand hall de notre maison pour me donner tout l’amour dont j’avais besoin. Au contact de son frêle corps, je sentis un peu de ma peine s’évanouir. Le nez plongé dans son cou fragile, je me remplissais mes narines de l’odeur de Billy. Il était mon plus grand réconfort. La paire de jambe qui s’arrêta à notre niveau m’aiderait aussi à surmonter cette épreuve.
- Bon retour à la maison, m’accueillit une voix chaleureuse.
- John, je pensais que tu rendais visite chez tes grands-parents à Londres ?
- J’en reviens, j’ai pensé qu’il serait bien que tu passes le début des vacances avec Billy, me répondit-il d’un sourire courtois.
- Et toi ? Est-ce que tu sais combien de temps tu peux rester ici ?
- Autant de temps que tes parents ne seront pas présents, et autant de temps que tu le souhaites, bien sûr. Je ne veux pas être une gêne, fit-il en attrapant Billy dans ses bras qui le réclamait.
- Tu sais que tu es toujours la bienvenue quand ils ne sont pas là, est-ce que tu sais quand ils rentrent ?
- Fin juillet, m’annonça-t-il plus sérieusement.
- Et où sont-ils ? Je n’ai même pas eu un message…
- Ils sont aussi partis à Londres Madame, m’interrompue la servante. Ils essayaient d’établir un contact avec le Lord Singh, dans votre intérêt.
- Madame ? m’interloquais-je à cette appellation, mettant de côté cette nouvelle ahurissante.
- Vos parents pensent que vous êtes en âge d’être appeler ainsi, alors…
- Josette, appelle-moi Blear quand ils ne sont pas ici. Est-ce que tu serais gentille de me préparer un bain ? Le voyage m’a fait suer et j’aimerais partir en promenade avec Billy.
- Tout de suite Ma… Blear, se reprit-elle avant de partir exécuter sa tâche.
John-Eric m’aida à porter mes affaires dans ma chambre, prenant soin de ne pas amener le sujet sur la table. Il s’occupait de Billy pendant que je profitais de la chaleur du bain. Malgré le soleil tapant dehors, l’envie de me plonger, me couper du monde, le temps d’une méditation me démangeait. Le Lord Singh ? Évidemment, je connaissais tout de la noblesse londonienne et je ne me surprenais pas d’un tel choix. Cela dit, je n’avais aucune envie de sortir avec un étranger ? Ni même avec quelqu’un qui parlait ma langue, je voulais juste Dossan. Autrement dit, je souhaitais l’impossible.
Le soir même, alors que je mettais coucher Billy avec une histoire, John-Eric se joint à nous. Déposant un baiser sur le front de notre fils endormis, je relevais les yeux vers lui. Il était vraiment un père aimant et mon plus grand confident.
- Il y a quelque chose que tu aimerais me partager ? dit-il en répondant à mon regard. Ne sois pas étonné, je te connais un minimum pour savoir quand quelque chose te chiffonne.
Mais comment avouer à son ex-petit ami, au père de mon fils que j’avais peur du retour de mes parents et des nouvelles qu’ils apporteraient. Il devait le savoir, mais le formuler était bien plus difficile : “je ne veux pas me marier à quelqu’un que je n’aime pas, je veux être avec Dossan”. Je ne pouvais simplement me résoudre à lui dire. Parce qu’il m’aimait profondément, au point d’accepter mon silence et d’accompagner ma souffrance. En effet, sa présence durant tous le mois de juillet fut d’une grande aide. Il me permit de ne penser qu’au nécessaire, c’est-à-dire à Billy et au cours de l’année prochaine. Sorties en famille, promenade à la plage ou autour du lac, dîner au restaurant et session de sports, il occupait mon esprit par tous les moyens. Cependant, John était aussi quelqu’un de raisonnable et s’entêtait à vouloir résoudre le bon comme le mauvais.
Une après-midi alors que j’apprenais du vocabulaire à Billy, il me prit le livre des mains et invita le petit à le rejoindre dans le fauteuil. Je me fâchais instantanément et il ne me répondit qu’avec dédain.
- Prends un peu de temps pour toi et appelle-le.
- Dring driiing ! s’en alla Billy qui faisait le sot avec les coussins.
- Je… je ne peux pas…
- Bien sûr que tu le peux, tu devrais profiter de ces instants où nous sommes seuls pour discuter avec lui.
- Et que devrais-je lui dire à part qu’ils veulent me marier avec un Lord ?
- Tu n’en es même pas encore certaine, tu lui parleras de ça quand tu sauras ce qu’il en est. En attendant…
- En attendant, rien du tout. Je devrais agir comme s’il n’y avait rien ? Aucun risque que je doive le quitter ? J’en suis incapable… Si je lui sonne, je vais tout lui avouer et il n’y aura plus de “nous” à la rentrée. Bon sang, qu’est-ce que je raconte devant toi. Et il n’y aura toute façon plus de nous…
- À propos de ça, j’ai réfléchi et je pense pouvoir parler à tes parents quand ils rentreront. Peut-être pourrais-je leur faire comprendre que tu as déjà mieux qu’un Lord...
- John, je sais que tu voudrais que toi et moi…
- Je ne parle pas de moi, mais de Dossan. C’est un bon garçon, très intelligent, je suis certain qu’il pourrait accomplir de grandes choses. Le tout serait de faire un effort pour toi, je ne sais pas s’il serait prêt à accepter tout ce qui entoure ton nom…
- Mais même s’il était prêt à se plier à notre mode de vie, ils n’accepteront jamais !
- Tu ne le serais pas tant que nous n’auront pas essayé, répondit-il convaincu de son idée.
- Pourquoi ferais-tu ça ? m’étonnais-je soudainement.
- Parce que je t’aime, et que tu mérites d’être heureuse. Si ça ne fonctionne pas, nous trouverons une autre solution, je te le promets.
- Ne fais pas de telles promesses…
- Blear, je te le promets, répéta-t-il sans hésitation.
Je ne croyais pas une seule seconde au fait que mes parents puissent accepter quelqu’un comme Dossan. Peut-être que le problème résidait dans cette croyance. Si j’arrive à m’en convaincre est-ce que cela fonctionnerait ? Je ne tardais pas à recevoir cette réponse. À l’inverse de ce qui était prévu, seulement ma mère rentra fin juillet. Je n’eus le temps de lui dire bonjour qu’elle m’annonça la nouvelle du siècle.
Prépare tes affaires, nous retournons à Londres dans deux jours. Le fils du Lord Singh est prêt à te recevoir, c’est le meilleur parti que nous puissions te trouver. Ton père nous attends là-bas, tu pourras le remercier d’avoir de si bons atouts...
- Madame Makes, bonjour, intervint directement John-Eric.
- Tu es encore là toi ? Je pensais avoir été clair sur le fait que je ne voulais pas voir ta tête dans cette maison.
- Mère, nous devons vous parler de quelque chose, me lançais-je de suite.
- Oh non, la dernière fois que j’ai entendue ces mots, c’était pour me dire que tu étais enceinte !
- Il ne s’agit pas de ça, je vous invite à vous asseoir…
- Dans ma propre maison ? Quel culot ! fit-elle en prenant siège. Eh bien allez-y, je vous écoute !
- Mère, je ne souhaite pas me rendre à Londres…
- Cette conversation commence très mal, marmonna-t-elle en croisant ses jambes.
- Je dois vous avouer que j’ai quelqu’un dans ma vie… Un petit-ami, nous sortons ensemble depuis un an et…
- Et alors ? Qu’est-ce que ça peut me faire ? Je viens de te dire que le Lord avait accepté de te rencontrer.
- C’est vrai, mais je ne veux pas le rencontrer. J’aimerais que ce soit vous qui appreniez à connaître mon petit-ami…
- Hors de question, je n’ai pas léché les bottes de cette famille pour que tu traînes avec un vaurien ? Parce qu’il s’agit bien d’un vaurien n’est-ce pas ? sourit-elle vicieusement.
- C’est un garçon très respectable et je suis certain qu’un grand avenir l’attends. Il serait un très bon beau-père pour Billy, le parfait gendre. Très intelligent et…
- Tu as fini ? N’est-ce pas pitoyable que tu défendes le petit-ami de la femme que tu aimes ? Je dois dire que je ne m’attendais pas du tout à cette nouvelle et elle est insignifiante. Quel est le nom de ce garçon par ailleurs ?
- Il n’appartient pas à une famille connue, mais…
- Tu as tout dit, pourquoi accepterais-je une telle personne dans ma famille ? Alors que tu pourrais être la femme d’un Lord ? Franchement, ne me faites pas rire de si bon matin !
- Je vous assure qu’il s’agit d’un bon parti…
- Et je devrais prendre en compte le jugement d'une personne qui ne sait même pas mettre un préservatif ? rétorqua-t-elle en se levant pour mieux le prendre de haut.
- Je… J’étais… Ce n’est pas le sujet…
- Abandonne John, répondis-je abattue. Cette personne n’a ni morale, ni empathie, c’est peine perdue.
- Parfait, tu n’as plus qu’à préparer tes affaires, répondit-elle amplement satisfaite.
Je sais qu’il ne voulait que mon bonheur, mais j’en voulus légèrement à John de m’infliger autant de douleur. Il n’y avait maintenant plus d’espoir que je puisse rester avec Dossan. La réelle coupable était ma mère à laquelle je n’osais faire face. Elle aurait ce qu’elle souhaite : une fille mariée à un riche et qui reprendrait les rennes de sa société. Malgré ma colère, je fus contente de savoir que John et Billy ne serait loin de moi en Angleterre. Et la nouvelle que la filles des Makes fréquentait le fils du Lord Singh frappa toute la presse dans le courant du mois d’août. Il devait avoir entendu la nouvelle. Qu’est-ce qu’il devait penser de moi ? Comment l’avait-il pris ? Je n’osais imaginer sa peine. Trop honteuse pour l’appeler, je restais sur mes positions de le revoir à la rentrée.
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