Tu l'auras voulu, Max
Tandis qu'un soleil de plomb harcelait de ses rayons maudits le moindre caillou de cette terre aride, l'horizon grondait. Chevauchant son fidèle destrier, le justicier masqué fonçait vers la ville proche. Un premier panneau, écrit hâtivement à la peinture blanche d'une main fébrile, annonçait aux voyageurs leur arrivée prochaine dans la cité:
"Etranger, si tu tiens à notre tranquillité, passe ton chemin"
Le bruit assourdissant du cheval au galop ainsi que l'épais nuage de poussière réveillèrent le vautour qui sommeillait au sommet du second panneau de bois craquelant sur lequel on pouvait encore lire :
"Sickening City - Son cimetière - Sa potence"
Quatre hommes à l'allure inquiétante étaient postés devant l'épicerie du vieux Jim. Ils s'apprêtaient à pénétrer dans le bâtiment quand le justicier masqué arriva à vive allure, sauta de son cheval vers un rocher derrière lequel il se plaqua. Les desperados comprirent qu'il était là pour eux. Très vite ils se déployèrent et adoptèrent la position de combat.
Un premier coup de feu retentit : c'était le justicier qui venait de tirer sur l'homme qui avait grimpé au sommet de l'édifice. Celui-ci poussa un cri de douleur et tomba de tout son long dans l'abreuvoir des chevaux. Suivit un grand silence, troublé de temps à autre par le bruit du tonnerre de l'orage qui approchait.
Le justicier masqué s'empara d'une branche qui se trouvait là, derrière le rocher. Il n'y avait pas d'arbre à dix lieues à la ronde, mais il y avait quand même une branche, là, derrière le rocher. Peut-être un gamin qui jouait avec l'avait laissée là, enfin, bref, il y avait une branche et le justicier s'en empara. Il accrocha son chapeau au sommet de ce bout de bois.
Bon, c'était une branche, mais ça aurait pu être tout autre chose ... une flèche, par exemple, au pays des indiens, ça pourrait se faire. Bref, le chapeau, le bout de bois, par ce stratagème, le justicier fit croire qu'il laissait dépasser un bout de sa tête du rocher.
Ou alors une canne ...
Donc, le stratagème ... une canne à pêche ? Non, quand même pas... Mais allez-vous me la laisser terminer, cette histoire ?
Le malfrat le plus proche du rocher vit le chapeau et tira dessus. Le justicier alors sortit de sa cachette, effectua une roulade jusqu'au rocher suivant en tirant plusieurs coups de feu vers l'endroit d'où provenait la déflagration. Un autre râle, et le second bandit tomba à terre.
Plus que deux, il fallait aller les chercher.
Le temps s'assombrit. Quelques gouttes de pluie commencèrent à tomber.
Un des deux méchants bandits restants longea à pas feutrés le magasin à la recherche de sa proie quand soudain il entendit un grand bruit et ressentit une vive douleur entre les jambes. Il s'écroula, mort. Le justicier s'était caché sous l'estrade qu'il était en train d'arpenter.
Il ne restait plus que le chef des scélérats à anéantir. Pas une mince affaire, il allait falloir l'affronter en face cette fois.
Un pied de biche, peut-être ? Pourquoi pas ? Mais que viendrait faire un pied de biche derrière un rocher ? Non, restons-en au morceau de branche.
Postés chacun à une extrémité de la rue, les deux hommes s'approchèrent l'un de l'autre lentement, menaçants.
C'est bien, un morceau de branche, c'est simple ...
" Qui es-tu ? retire ton bandeau, quand je tue un homme j'aime bien savoir qui c'est !
- Mais certainement, avec plaisir, répondit le justicier en découvrant son visage.
- Comment ? toi, Joe ? Est-ce possible ? je t'avais déjà tué !
- Hé ! hé ! La balle a ricoché sur ma montre à gousset, et quand je suis tombé dans le ravin, il y avait une charrette de foin en bas qui a amorti ma chute.
- Enfer et damnation !"
Le brigand se rapprocha de Joe en tenant ses deux pouces en l'air :
" Co !
- OK, co ... Qu'est-ce que tu veux ?
- Eh bien ... si tu t'en es vraiment sorti indemne, pourquoi tu boites ?
- Euh ... dans la charrette de foin, il y avait une fourche."
Le malandrin retourna sur ses pas et se plaça à distance raisonnable, en position de tirer.
"Max, j'ai deux questions à te poser avant de te transformer en passoire, dit Joe. La première, c'est pourquoi t'avais essayé de me tuer ?
- Tu t'apprêtais à quitter la ville avec l'institutrice, mon salaud, cette pépé elle était à moi, tu m'entends ? A moi. T'aurais pas dû faire ça ! Et c'est quoi ta deuxième question ?
- Ma deuxième question, c'est "qui t'a payé pour venir refroidir Jim, ce brave vieil épicier" ?
- Ça, tu ne le sauras jamais, répondit Max en dégainant son arme."
Mais Joe fut plus rapide. Plus vite que son ombre il sortit son révolver et logea une balle bien placée dans sa cible. Max s'écroula, essaya péniblement de se redresser en regardant son adversaire s'approcher lentement. Quand celui-ci arriva jusqu'à sa victime, il se pencha et réitéra sa question :
"Qui t'a payé ?
- Je ... je vais mourir, répondit Max d'une voix étouffée par la douleur. Que s'est-il passé ? Nous étions bons amis tous les deux, pourquoi suis-je devenu si méchant ? Je regrette tellement tout ça.... Je vais te dire qui m'a payé pour attaquer le vieux Jim, c'est ..."
Puis Max perdit connaissance, et mourut dans un dernier soupir sous la pluie fracassante.
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