Chapitre 1
Elle se souvenait parfaitement du jour où elle s'était retrouvée dans cette pièce pour la première fois. Du stress qui avait pris possession de chaque partie de son corps, surtout de sa jambe gauche qui n'avait de cesse de trembler. Nous étions en début décembre, il faisait un froid digne de l'âge glaciaire pourtant Sophie avait chaud. Sa veste de tailleur d'occasion lui paraissait incroyablement étroite et elle avait l'impression que ses dessous de bras s'humidifiais au fil des secondes. Si l'on continuait ainsi elle aller finir par faire une crise de panique, lors de son premier entretien d'embauche, de quoi se faire de merveilleux souvenir. Heureusement, tandis qu'elle plaquait une main sur sa jambe défaillante, son employeur fit son apparition.
C'était une vieille dame de petite taille a l'allure antipathique. Il lui suffit d'une seconde plongée dans un regard chargé de suffisance pour comprendre que cette entrevue ne serait pas de tout repos. Sophie n'en fut pas étonnée, avant de venir elle s'était bien entendu renseignée sur l'hôte. Madame An Wu était connue pour beaucoup de choses mais pas pour sa bonne humeur. Elle était accessoirement l'une des femmes les plus intelligentes de ce monde, étant à l'origine de grande avancée scientifique comme la découverte du gène responsable de la métamorphose chez les loups garous ou encore de la mutation LC68 qui affectait la production de spermatozoïde chez les elfes mâles les rendant dans la majorité des cas stériles. Elle était un pilier pour la médecine moderne et pouvait donc se permettre d'être désagréable.
Le simple fait de la rencontrer en personne était une chance et la possibilité d'être prise dans son équipe un honneur. A l'issue de son entretien, Sophie était persuadée d'avoir tout foiré. A part bégayer et se tripoter inlassablement les mains elle n'avait pas fait grand-chose. Elle qui voulait passer pour une jeune femme confiante et ambitieuse tous juste diplômés d'Harvard, c'était finalement comporté comme une gamine reçue dans le bureau du principal. Le soir même elle s'était engouffrée dans le lit de sa chambre d'hôtel avec un panier rempli de biscuits chinois qu'elle avait volé à la réception. Elle se voyait déjà retourner à Madrid, déçu et brisé pour se blottir dans les bras de la Mère Supérieure. Seulement le destin en avait décidé autrement car juste avant de s'endormir elle reçut un appel, celui qui changea sa vie.
Un an plus tard jour pour jour, elle se trouvait à nouveau dans ceux fameux bureau. Toujours aussi angoissé mais ayant développé des armes pour ne pas le montrer. Elle croisa ses jambes, ce qui la rendait plus féminine et ce persuada qu'elle n'avait aucune raison de transpirée. Elle ne portait plus de tailleur mal cousu mais une blouse blanche de laboratoire qui recouvrait une chemise en coton de la même couleur et un pantalon classique bleue nuit. Elle s'autorisait même à portée des escarpins, elle qui auparavant n'avait dieux que pour les ballerines à fleur. Sophie se sentait prête, les résultats de sa dernière expérience entre les mains, persuadées que c'était le sujet de ce rendez-vous.
Comme prévu Madame An Wu pris son temps pour se montrer, à présent la jeune femme savait que ce n'était pas une manœuvre pour l'intimider mais une conséquence de son emploi du temps bien chargé. Et puis ces quelques minutes de répit lui servirent à préparer sa présentation. A chaque entretien elle voulait que sa patronne ne doute pas du fait qu'elle était un bon élément, un maillon essentiel de la chaine. Lorsqu'elle entendit la porte s'ouvrir elle se leva immédiatement et abaissa le buste en guise de salutations.
– Bonjour Sophie. La salua à son tour la vieille dame avant de venir s'installer derrière son bureau.
Sophie attendit qu'elle lui face signe de s'assoir puis pris directement la parole, lui tendant le rapport révélant les derniers résultats du séquençage d'ADN d'orcs.
– Nous avançons rapidement madame, d'ici la fin du mois nous pourrons affirmer avec certitude avoir séquencé tout le génome.
Madame An Wu accueillit l'information en hochant la tête mais ne pris même pas la peine d'ouvrir le dossier. La jeune femme en fut surprise mais ne se laissa pas déstabiliser, sur un ton confiant mais teinté de douceur elle continua sa prise de parole s'attaquant à présent à quelque détail technique relatif à son projet.
– Cela fait combien de temps que vous travaillez pour moi, Sophie ? Coupa la chef alors que la concernée n'avait même pas finit sa phrase.
– Euh... Eh bien cela fait tous juste un ans Madame.
– Déjà, s'étonnât elle en posa sa tête sur sa main droite, comme le temps passe vite. Votre entretien d'embauche ne peut pas remonter a si loin.
Elle rit. Madame An Wu se mit à rire. On se croirait dans un univers parallèle. N'en croyant pas ses yeux Sophie la dévisageait avec attention, tentant de son côté d'étirer ses lèvres pour la suivre dans son délire. Même en plaisantant elle avait l'air d'un monstre, son visage se déformait dans une grimace marquée de rides. Consciente qu'elle rendait sa recrue mal à l'aise la vielle dame se calma et repris la parole.
– Vous étiez mon second choix vous savez. Révéla-t-elle. Ce jour-là, je devais recevoir deux candidats pour votre poste. D'un côté nous avions Yi Yuan, un jeune homme brillant, issue de l'une des plus anciennes familles de vampire de Pékin. Et de l'autre, vous.
Elle illustra son dernier mot en sortant d'un tiroir une boîte de médicaments. Sophie n'eut pas le temps d'en apercevoir l'étiquette qu'elle la rangea rapidement après en avoir sorti deux gélules. Puis elle lui montra la carafe d'eau et la jeune femme s'empressa de la servir.
– Le fait de vous engager m'a valu beaucoup de problèmes.
– Des problèmes, demanda t'elle sur le même ton hésitant, auprès de qui ?
– De mes supérieurs, de mes collègues, de toute homme pensant avoir son mot à dire. Répondit-elle lascivement.
– J'en suis navré madame.
Ne sachant trop comment l'expliquer, Sophie se sentit coupable.
– Ne le soyez pas, au contraire, c'est le moment de prouver votre valeur.
Face à l'incompréhension de son interlocutrice, la vieille femme tira à nouveau un des tiroirs de son bureau afin d'en sortir un dossier. Lorsque Sophie l'eu en main elle avala nerveusement sa salive puis souleva la couverture au couleur du campus.
– Je ne comprends pas... laissa-t-elle alors échapper tendit qu'elle lisait en diagonale les noms d'une longue liste.
– Suite à une discussion des plus houleuse avec mon médecin, j'ai décidé d'alléger ma charge de travail. Le fait est que je n'ai plus vingt-cinq ans, je ne suis plus capable d'assurer la gestion du département et l'enseignement des deuxième année de licence. Je vous confis donc cette tâche.
Des mots, pour l'instant Sophie n'entendait que des mots. Et parmi eux un seul retenue son attention : enseignement. Elle aller devoir enseigner, prendre la parole en public, un public composé de plus de quatre cents étudiants.
– Ma secrétaire vous communiquera par mail tout ce que vous devait savoir sur le programme, l'emploi de temps et les dates des mi-partiels. J'ai déjà hâte de lire le sujet que vous allez leur pondre. Plaisanta t'elle sans tenir compte de l'état de panique dans lequel Sophie se trouvait
Tout en continuant son monologue elle se leva difficilement avant de tendre la main pour que sa jeune recrue l'aide à se déplacer.
– Je sais que vous êtes anxieuse mais vous verrez ces nouvelles responsabilités vont vous stimuler et vous permettre de faire vos preuves. La rassura t'elle faussement en tapotant sa main tandis qu'elles se dirigeait vers la sortie.
Sophie avait l'impression que le temps passer en accéléré, comme si une entité divine avait appuyé sur un bouton pour que les minutes filent à toute vitesse. Quand est ce que le rythme de la discussion était devenu si rapide ? Son esprit était tellement embrouillé qu'elle ne remarqua pas qu'elle se trouvait déjà à l'extérieur de la pièce. Sa patronne ayant lâché son avant-bras pour se tenir au niveau de l'encadrement de l'entrée.
– J'ai choisi personnellement votre nouveau bureau, j'espère qu'il vous plaira. Lui confia t'elle en mimant un sourire. Ne faites pas cette tête voyons, vous venez d'avoir une promotion. Réjouissez-vous et mettez-vous au travail. N'oubliez pas que j'en attend beaucoup de vous mademoiselle Durant.
Puis la jeune femme sentit un léger souffle contre son visage, elle cligna des yeux et la seconde d'après elle faisait face à une porte fermée. Elle resta plantée comme une perche un long moment, avant que la secrétaire de Madame An Wu n'eût pitié d'elle et ne l'invite à quitter le hall.
***
En sortant du campus Sophie se demandait qui devaient elle appeler. Elle venait d'apprendre une bonne nouvelle, certes déroutante mais qui méritait néanmoins d'être confiée à quelqu'un. A une personne qui pourrait se réjouir et appréhender le tournant que prenait sa carrière en même temps qu'elle. Le seul nom qui lui vint à l'esprit était celui de Laura Jin, mais Sophie se refusait à l'appeler. Il était tard et sa meilleure amie devait sûrement avoir commencé son service depuis longtemps. Même si elle cherchait à la contacter, elle n'aurait sûrement aucune réponse. Elle se résolut donc à fêter sa promotion en solitaire devant un documentaire animalier.
Seulement pour assurer cette soirée des plus triste, elle devait au moins se garantir un bon repas. Et son Food truck préféré fermait dans moins d'une heure. Sophie ne savait pas cuisiner, cela faisait partie de la longue liste de compétence qu'elle ne possédait pas. Le nombre de casseroles qu'elle avait brûlé dans sa jeunesse se comptait par dizaines. De même que les fois où elle avait failli finir à l'hôpital en voulant se rendre utile. En emménageant dans son nouvel appartement, elle s'était promit de n'utiliser la cuisine que pour ce faire du café ou pour chauffer des plats en micro-onde. Elle pressa ainsi le pas, ne voulant pas rater le métro qui la mènera, avec un peu de chance à temps, vers son dîner.
Ce fut avec surprise qu'elle découvrit la foule qui entourait les bornes. La station de Xizhimen était le point d'intersection entre plusieurs districts, le fait d'être collé à des étrangers durant un long trajet n'était pas nouveau. Néanmoins ce soir le niveau de proximité était anormal, Sophie avait littéralement l'impression de fusionner avec les futurs passagers. Et les chose ne s'arrangea pas une fois à l'intérieur du wagon. Elle n'eut même pas le temps de vérifier qu'elle avait bien prise la bonne ligne qu'elle se retrouva à nouveau entouré de toute part.
Et comme la vie était bien faite, son emplacement ne lui permettait pas d'attraper une barre pour s'appuyer.
Elle ne pouvait par conséquent que compter sur la force de gravité et ses escarpins pour se maintenir à l'équilibre. Deux choses qui ne firent pas le poids face au brusque démarrage du chauffeur. Impuissante, elle se vit tombée à la renverse en entraînant dans sa chute la dame se trouvant juste derrière elle. Heureusement, une main vint se poser sur son dos et l'empêcha ainsi de s'écrouler. Ignorant la sensation étrange qu'elle avait ressenti au contact d'une paume puissante contre son manteau, elle s'empressa de baisser la tête.
– Merci. Avais t'elle bredouillé.
Elle n'eut aucune réponse. A la place l'homme recula légèrement pour la laisser entrevoir une barre d'appuis fixer au milieu du wagons. Son immense stature l'avait empêché de la remarquer auparavant. Elle le remercia à nouveau puis se plaça rapidement avant que le chauffeur ne prenne un autre virage. Sophie se tenais à présent immobile mais n'en était pas moins embarrassé. Son sauveur était si proche qu'elle pouvait sentir son souffle effleurer le haut de son crâne.
A chaque expiration elle entendait son cœur battre plus fort dans sa cage thoracique et elle s'en voulut d'être aussi démonstrative. Elle aurait tant aimé disparaître, devenir invisible, afin que personne ne puisse remarquer le rouge qu'arborait ses joues. Et lorsqu'elle pensait que la situation ne pouvait pas être pire d'autre passager firent leur entrée dans le wagon, comblant alors l'infime espace qui la séparait de l'homme.
– Désolé. S'excusa t'elle lorsque sa tête frôla son immense buste.
Sophie n'eut de nouveau aucune réponse et se persuada qu'il était peut-être muet, ou lui aussi beaucoup trop gêné pour parler. N'insistant pas elle se concentra sur le maintien de son corps, se démenant pour ne pas tanguer face à la conduite plus que douteuse du chauffeur. Elle commença à croire qu'il cherchait à en finir lorsqu'il ne s'arrêta pas au passage d'un autre tram en sens inverse. Les deux véhicules se frôlèrent tout en ce clac sonnant vigoureusement ce qui lui arracha plusieurs sursauts.
– Vous devriez la tenir à deux mains. Fût-elle conseillée sur un ton à la fois bien veillant et autoritaire.
Instinctivement Sophie releva la tête à s'en tordre le coup et rencontra des pupilles d'un noir profond enfermé dans des yeux fins. Elle déglutit péniblement, ne comprenant pas comment un inconnu pouvait générer autant d'émotions en si peu de temps.
– Je ne pense pas que cela soit nécessaire, je vais bientôt descendre de toute façon. Rétorqua-t-elle en lui adressant poliment un sourire.
Son regard devint alors plus sombre en contradiction avec son visage qui lui resta de marbre. Elle comprit immédiatement avoir fait ou dit quelque chose de mal et dans un besoin pressant d'y remédier elle posa sa seconde main sur la barre. Ses mouvements furent rapides et incontrôlés si bien que la jeune femme se demanda s'ils venaient bien d'elle ou si quelqu'un d'autre avait pris le contrôle de son corps. Le plus étrange était la réaction de l'homme lorsqu'elle lui obéit, il gronda avec une intonation si basse qu'elle fut la seul à l'entendre. S'en était trop pour elle.
Dès qu'elle entendit le nom de son arrêt prononcé par le microphone, elle se tourna vers les portes automatiques qui s'ouvrirent immédiatement après l'arrêt du tram. Sans plus attendre elle se faufila vers la sortie telle un chaton voulant fuir une bête plus grosse et menaçante. Une fois sur le quai elle put enfin calmer la fête qui se déroulait dans sa poitrine et peut-être aussi, a sa plus grande surprise, au fond de sa culotte. Ce ne fut qu'une fois avoir perçu le grincement des rails qu'elle reprit entièrement ses esprits. Perdue entre du soulagement et de la déception a l'idée que ce genre d'altercation ne se reproduise plus jamais.
Annotations